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Dollar vs Real

par Akram Belkaid, Paris

2011, année de la guerre des monnaies ? Tout porte à le croire tant le désordre monétaire semble s’aggraver depuis quelques semaines. On connaît l’habituelle polémique qui oppose les Etats-Unis à la Chine à propos de la valeur du yuan, jugée trop faible par Washington. Mais le fait est que d’autres pays font entendre leur mécontentement vis-à-vis du système monétaire international, et leur problème n’est pas le renminbi (nom officiel de la devise chinoise) mais bien le dollar américain que la Réserve fédérale (Fed) s’emploie à maintenir à un niveau peu élevé par rapport à ses concurrents. Dans le même temps, on assiste à un affaiblissement sérieux de l’euro, ce qui complique la situation et empêche toute prévision sérieuse pour 2011.

Les pays émergents vont debout contre le dollar

Pour Kenneth Rogoff, ancien économiste du Fonds monétaire international (FMI), il est néanmoins très vraisemblable que les monnaies des pays émergents asiatiques vont peu à peu s’apprécier vis-à-vis du billet vert. Il y a deux raisons à cela. D’abord, leurs Banques centrales vont tôt ou tard être obligées de relever leurs taux afin de lutter contre une inflation de plus en plus forte, conséquence de la bonne santé des économies de la région. Ensuite, la perspective de sanctions commerciales américaines contre les pays qui affaiblissent leurs devises va empêcher ces derniers de continuer à vendre leurs propres devises sur les marchés. C’est le cas, par exemple, du Japon dont la Banque centrale continuera certes de manœuvrer pour faire baisser le yen, mais tout en évitant de s’attirer les foudres de Washington.

A l’inverse, il est presque certain que le Brésil va défier les Etats-Unis pour empêcher que le real ne s’apprécie encore par rapport au dollar ( 40% en 2010). Très offensif, Guido Montega, le ministre brésilien des Finances, a été clair : son pays, affirme-t-il, dispose de moyens « infinis » pour contrer la hausse du real et s’engager « dans une guerre monétaire ». Du coup, on s’attend à ce que Brasilia prenne de nouvelles mesures après avoir augmenté le niveau de la taxe sur les investissements étrangers en titres obligataires à 6% (les capitaux qui entrent au Brésil ont pour effet de pousser le real à la hausse). En effet, les dirigeants brésiliens n’oublient pas qu’en 2010, conséquence de la vigueur du real, les importations ont augmenté plus vite que les exportations ( 40% contre 31%). De son côté, la Banque centrale du Chili va lancer un programme d’achat de 12 milliards de dollars sur un an pour freiner la hausse du peso ( 8,4% en 2010 par rapport au dollar).
Quant à l’euro, il est évident que les problèmes de l’Europe vont continuer à l’affaiblir. Si jamais il se confirme que la Grèce va restructurer sa dette – peut-être que le Portugal et l’Espagne en feront autant – la devise européenne perdra automatiquement de sa valeur. La baisse de l’euro est d’ailleurs une bonne nouvelle pour les pays émergents car c’est elle qui empêche une plus forte glissade du dollar. En effet, face à la perspective d’une crise de la monnaie unique européenne, les traders sur les marchés se disent qu’il vaut mieux prendre quelques assurances en achetant du billet vert, même s’il s’agit de quantités minimes.

Le yuan s’internationalise

Bien entendu, l’actualité monétaire sera aussi dominée par le sempiternel feuilleton de la valeur du yuan même s’il est peu probable que les Etats-Unis décident d’accuser officiellement la Chine de manipuler sa monnaie (accusation qui ouvre la voie à des poursuites auprès de l’OMC). Mais derrière les gesticulations diplomatiques, un mouvement de fond va se poursuivre. Il s’agit de l’internationalisation du yuan. C’est ainsi que la Banque mondiale va bientôt émettre pour 500 millions de yuans (75 millions de dollars) en obligations à Hong Kong. Ces «dim sum bonds» - le nom de ces nouilles chinoises désigne ces titres libellés en renminbi - vont contribuer à faire de la devise chinoise une monnaie d’émission (pour les opérations financières et boursières) en attendant qu’elle devienne une monnaie de transactions commerciales et, plus important encore, une monnaie de réserve internationale.