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À propos de la publication intitulée «l'aphasie de l'enfant», OPU 2008

par Zellal Nacira*

Dans son historique de l'aphasie doublé de la description des tests classiques de B. Ducarne, Mme Sam Nadia, enseignante en licence d'orthophonie à l'Université de Blida, m'a fait l'honneur de citer mon travail de mémoire d'orthophonie (1) en page 70.

Toutefois, elle me reproche d'avoir:administré le bilan d'aphasie tel qu'il a été conçu après l'avoir traduit en langue arabe et d'avoir commis l'erreur méthodologique de ne pas l'avoir étalonné (Zellal, 1987), écrit-elle. Ceci me donne donc l'occasion d'apporter un éclairage d'ordre théorique, concernant la spécificité des tests neuropsychologiques, dans leur approche à la fois classique et actuelle.

 D'abord, l'intitulé même de la source, dont elle ne donne que la date (inexacte : 1987 au lieu de 1980) est pourtant clair comme de l'eau de roche : Méthodologie d'adaptation d'un test de langage à la langue arabe: Application à l'Examen de l'aphasique de B. Ducarne. En effet, adapter n'est point traduire. C'est un travail de recherche spécialisé, qui exige beaucoup de rigueur. Cette méthodologie est exposée et appliquée à des cas aphasiques en pages 34 à 58 du mémoire publié à l'OPU en 1982(2). En outre, je la reprends de façon circonstanciée, dans le livre qui accompagne les composants du Protocole plurilingue d'aphasie, le MTA 2002(3), seule batterie algérienne-internationale neuropsychologique, pour enfant et adulte aphasiques, disponible depuis l'indépendance. Je n'en rappellerai, ici, que les trois conditions de base à respecter pour adapter un outil étranger au réel psychosocioculturel et linguistique algérien :

1) avoir une formation de base en linguistique arabe, en psychologie cognitive, en psycholinguistique et en neuropsychologie ;

2) maîtriser le contexte socioculturel algérien ;

3) prouver la sensibilité du pré-test (test originel adapté) auprès de sujets aphasiques, en rapportant des exemples concrets de corpus phonétiquement transcrits. En effet, l'oral ne s'écrit pas, il se transcrit selon des règles théoriques correctement appliquées et il constitue le réservoir des affects et du bagage cognitif de l'homme.

Ensuite, l'étalonnage d'un test n'a pas besoin d'être rapporté dans un travail universitaire, du fait qu'il s'agit d'une tâche de routine, qui ne sollicite pas d'effort de réflexion scientifique. Dans un travail de recherche, on s'attache à la connaissance de la qualité des performances pathologiques et non à leur quantité. Je ne développe pas, ici, l'actuelle remise en cause théorique de la quantification des troubles en sciences humaines cliniques ; je ne souligne que deux faits :

1- L'étalonnage n'est, en effet, qu'un comptage en % de réussite aux items d'un test à un taux d'au moins 80% chez le sujet normal, ce qui permet de tracer des normes référentielles, elles mêmes utilisables pour :

1) poser un diagnostic et pour :

2) contrôler l'évolution des résultats des thérapies.

2- En plus, nous savons tous que le praticien (y compris Mme Sam), qu'il soit orthophoniste ou psychologue, ne recourt pas à l'étalonnage et encore moins à l'adaptation de ses tests au contexte algérien, sans compter qu'il n'utilise pas la multitude de tests déjà adaptés et étalonnés (travaux de mémoires de licence notamment).

 Par ailleurs, j'attire l'attention de Mme Sam sur le point des données actuelles des recherches en neuropsychologie, mettant l'accent sur la notion de fluctuation des réponses aux tests. En effet, passé à des moments différents et dans des circonstances différentes, un test donne des aphasiogrammes différents. Lorsque Mme Sam «administre» un zéro à un patient n'ayant pas su dénommer un objet, ce zéro n'aura plus de sens si l'on réfléchit sur la base d'une théorisation de l'approche des résultats aux tests. En effet, si le patient sait dessiner, désigner ou décrire l'objet cible, il ne «méritera» plus le zéro flanqué de façon mécanique. En théorie, le langage affère à toutes les formes d'expression et le sujet qui ne peut pas s'exprimer par le signe linguistique, est en droit de se faire comprendre autrement (dessin, écriture, geste,?). Par conséquent, la quantification des déficits présente l'écueil de l'inexactitude du diagnostic, ce qui, indubitablement, se répercutera sur la qualité de la rééducation neuropsychologique.

C'est donc la qualité du trouble qui prévaut sur sa quantité et sur sa diversité sémiologique, dès lors que le souci est d'ordre thérapeutique. Ceci veut dire aussi qu'un processus thérapeutique est lui-même théoriquement justifié. Des thèses thérapeutiques, il en existe et nous en avons proposé une, dont voici la substance.

En fait, c'est le corrélat anatomoclinique (lequel ne date pas d'aujourd'hui, mais du 18ème siècle), qui, du fait qu'il rend compte de classifications plurielles des déficits, a engendré la prolifération de tests plurifactoriels. À chaque fonction cognitive ou exécutive correspond un test particulier, comme si l'on pouvait saucissonner le cognitif humain en petits bouts séparés les uns des autres. Or, le fonctionnement cérébral et la psychologie humaine ne sont pas assimilables à une machine composée de pièces, dotées, chacune, d'un rôle autonome. L'imagerie cérébrale permet, depuis la fin des années 80, de l'objectiver.

 En bref, puisque le comportement social (le symptôme à travers les actes, dont le langage est le plus spécifiquement humain) est le reflet du bagage cognitif, il faut en rechercher l'explication théorique dans l'observation de ce bagage. Le soin démarrera alors de cette explication (et explication en sciences humaines = étiologie en sciences médicales) et non du symptôme décrit et quantifié. Ceci veut dire que tout dépend du niveau et de la qualité théoriques de l'analyse de la qualité des résultats aux tests.

Aujourd'hui, dans la lignée de Jackson, Luria, Vygotsky et D. Cohen, nous pouvons unifier les syndromes neuropsychologiques, d'un point de vue cognitiviste. Ceci incite donc à réfléchir à l'unification des tests.

Personnellement et dès le milieu des années 80, j'ai, en effet, relativisé l'apport des batteries de tests multiformes, en théorisant l'approche des performances neuropsychologiques, compte tenu de leur dénominateur commun cognitif : une observation fine du comportement aphasique : practo-gnosies, dessin, écriture, récit, graphisme, phonème, mot, phrase, langage conversationnel, fonctions exécutives, ?, qu'il s'agisse de l'enfant, de l'adolescent ou de l'adulte, mono, bi ou plurilingue et quelles que soient la nature et la topographie lésionnelles cérébrales, permet de constater que tous les aphasiques souffrent d'une déstructuration temporo-spatiale (espace-temps = autonomie). Aucune performance aux tests neuropsychologiques n'échappe à ce modèle d'explication théorique unificateur des syndromes neuropsychologiques(4).

Ceci débouche sur l'idée qu'il semble actuellement dépassée, de tester chaque fonction cognitive ou exécutive à l'aide d'un test particulier. Il faut donc pour avancer, commencer à réfléchir à des techniques d'évaluation directement orientées vers ce qui rassemble les troubles et non vers ce qui les sépare. Outre le fait de privilégier la qualité sur la quantité du trouble, l'une des réponses au moins, est fournie par la primauté donnée par le clinicien-théoricien avisé, à l'observation du langage conversationnel, du récit.

La thérapie neuropsychologique de l'enfant aphasique est donc basée sur, strictement, le même principe de restructuration temporo-spatiale que celui de l'adulte(5). Le choix des techniques ne varie qu'en fonction de l'intérêt du patient.

Je précise le fait que, si de 0 à 5 ans, l'enfant est dans un processus d'acquisition, passé 5 ans, il est scolarisé, il est donc dans un processus d'apprentissage et adopte parfaitement le registre de l'adulte. En pathologie, il importe de redonner le langage au sujet qui l'a perdu et non de s'évertuer à calculer et à rechercher à trancher entre déficit aphasique versus productions erronées inhérentes à l'âge de l'enfant, comme si cela était possible ou rentable.

La possibilité d'extension à l'approche de l'enfant aphasique, d'un test d'aphasie pour adulte est donc, également et aujourd'hui, théoriquement justifiée. Voici, concrètement, l'explication que j'en propose(6) :

1) depuis le cri de la naissance, c'est l'espace-temps qui se développe chez l'enfant. L'acquisition de la conscience phonologique lui permet l'accès au sens : dès que l'enfant oppose, par exemple, le phonème pharyngal [] au phonème post-vélaire [X] : [fè:l] voeu à [Xè :l] oncle, il acquiert l'autonomie par le langage. L'enfant arabophone, ai-je constaté vers le milieu des années 70, acquiert les oppositions entre phonèmes postérieures avant celles entre phonèmes antérieurs. Cet ordre d'acquisition, propre à l'acquisition du système linguistique arabe, connaît donc le cours inverse de celui préconisé par Jakobson pour les enfants anglophones et francophones. Il est lui-même explicable de façon théorique : rendement fonctionnel et rendement statistique très élevés en comparaison avec les phonèmes antérieurs, des phonèmes, qui, tous postérieurs, sont spécifiques à la langue arabe (pharyngales ; pharyngalisation par emphase ; laryngales ; post-dorso-post-vélaires)(7).

Extrait de cette approche théorique du processus d'acquisition(8), un test neuropsychologique de langage et de parole pour enfant arabophone aphasique, dysphasique (ou qui présente tout autre trouble de la communication, hormis celui qui est lié à une déficience auditive, lequel a besoin de labio-lecture et de sons d'abord visualisables et donc antérieurs), a été élaboré(9).

2) l'aphasique perd l'espace-temps (acquisition + apprentissage) ;

3) le principe théorique duquel sont puisées les techniques rééducatives neuropsychologiques est qu'il faut remonter, en compagnie de l'aphasique, quel que soit son âge, le cours du temps, depuis son enfance et restructurer son espace-temps. Une phase de la thérapie appelée «le déclic» fera que, spontanément, il se remettra à communiquer par le langage. Les exercices structuraux ne sont, alors, qu'un appoint, renforçant constamment cet acquis thérapeutique basé sur l'exploitation d'une théorie (10).

En conclusion, la neuropsychologie est une science, ce qui veut dire que, pour élaborer un test d'aphasie, il faut d'abord théoriser et redéfinir l'aphasie, tout comme pour approcher l'enfant par des tests, il faut d'abord proposer un nouveau modèle théorique d'acquisition. Le psychologue et l'orthophoniste ne sont pas des guérisseurs, leur acte clinique est scientifiquement justifié, faute de quoi, cet acte sera sans résultat ou occasionnera la récidive du trouble.

Aujourd'hui, la scientificité de l'orthophonie, discipline universitaire à part entière, dotée de sa graduation autonome (y compris en LMD), de sa post-graduation, de son doctorat, de son Laboratoire, de ses infrastructures de recherches, de ses projets nationaux et de coopération, de ses revues et de ses associations scientifiques et de loin plus jeune que la psychologie, est prouvée. Elle est devenue autonome, clairement identifiée par rapport à la psychologie, dans ses enjeux professionnel, scientifique et pédagogique et elle ne cesse de se développer, intégrant actuellement la e-therapy et l'imagerie cérébrale (thèmes neuroscientifiques du magistère et du master habilités pour 2010-2011)(11).

Une science n'est science que par les solutions apportées en son sein par la recherche. Née à la fin des années 60, la psycholinguistique, forme d'évolution actuelle (et non spécialité puisqu'elle intègre la linguistique) de la psychologie, s'occupe de la connaissance de la notion de communication, afin de permettre au chercheur d'aller plus loin : en soigner les troubles et c'est ce soin qui s'appelle orthophonie, speech therapy ou logopédie. Donc, la contemporanéité de la naissance de la psycholinguistique et de l'orthophonie n'est pas fortuite.

Ainsi, la psychologie en Algérie, pour se moderniser et pouvoir traiter les maladies du siècle (troubles cognitifs dus aux maladies dégénératives, trisomies, dysphasies, autisme, dysarthries, aphasies,?) ou troubles universels et ne pas rester cantonnée dans la description des «malheurs sociaux» ou troubles spécifiques, dus, pour l'essentiel, à une pédagogie scolaire qui contrarie le développement cognitif de l'enfant algérien, est appelée à intégrer deux paramètres en son sein : le paramètre linguistique (le langage exprime notre psychologie) et le paramètre médical (la psychologie est une science et les solutions qu'elle doit trouver par la recherche affèrent à un soin clinique exercé en équipe médicale). Son intégration dans l'actualité, les neurosciences cognitives, en dépend. Je signale, enfin, qu'aucun orthophoniste algérien, spécialiste en neuropsychologie, n'est cité dans la bibliographie de Mme Sam, sans compter que dans son copié-collé des épreuves de B. Ducarne, elle n'a sorti de la thèse thérapeutique qui lui a été pourtant enseignée et du «MTA2002», que le comptage des % de réussite du sujet normal : ceci me rappelle un peu celui qui regarde le doigt quand on pointe la lune?

Je la remercie quand même grandement, pour m'avoir permis d'exprimer, par ce nouvel article médiatique, le parcours théorique et technique de l'orthophonie développé depuis trois décennies, à travers celui de l'une de ses principales spécialités : la neuropsychologie(12).

* Professeur au laboratoire Sciences du Langage - Neurosciences cognitives ? Communication Université d'Alger 2

Notes :

1- Mémoire dirigé par B. Ducarne & Ph. Van Eekhout, 1980, Paris 6, Faculté de Médecine.

2- Essai de définition de l'orthophonie - Une étude en aphasie, préface de B. Ducarne, OPU, 1982.

3- Batterie neuropsychologique du MTA 2002 : mallette de 33 épreuves destinées à l'exploration neuropsychologique de l'enfant, de l'adolescent et de l'adulte aphasiques, avec guide d'utilisation, de cotation et grilles qualitatives ; livre théorique d'adaptation et d'étalonnage ; cahier du patient ; livret des épreuves et cassette des gnosies, Université d'Alger et Laboratoire SLANCOM, 1999 et 2002.

4- One type of disturbance and one type of aphasia, 7° World Congress of International Brain Research Organisation (IBRO), 12-17 juillet 2007, Melbourne, Australie.

5- Rééducation de l'aphasie par la gestalt, L'Orthophoniste, F.N.O, n° 122, novembre 1991, Paris, pp. 25-29 & Rôle du geste dans la rééducation du langage aphasique, Revue Rééducation Orthophonique, ARPLOEV, Actes de la XII° Journée du G.R.A.A.L, Service de Neurologie, s. d. Dr Jean Metellus, Hôpital E. Roux, Paris, n° 178, vol 32, juin 1994, pp. 147-154.

6- Fondements théoriques de la possibilité d'extension du bilan neuropsychologique du MTA2002, à l'examen neuropsychologique de l'enfant aphasique, Colloque international Neuropsychologie et psychanalyse de l'enfant, organisé avec les psychiatres, les neurologues et les neuropsychologues des hôpitaux de France impliqués dans le Projet CMEP 01 MDU 535, Laboratoire SLANCOM, Beni Abbes, 22-23-24 mars 2003.

7- Du double principe de l'acquisition de la phonologie, Actes du 29° Colloque International de la SILF, Edition Axas, St J. de Compostelle, Espagne, 2006, pp. 263-269.

8- Acquisition de la conscience phonologique chez l'enfant arabophone âgés de 03 à 05 ans ? dialecte arabe algérois, Doctorat de 3ème cycle de Linguistique Générale et Appliquée, s. d. F. François, 500 p., 1979, Paris 5.

9- Test orthophonique pour enfant en langue arabe : phonologie et parole, préface d'A. Martinet, OPU, 1991.

10- Contribution à la recherche en orthophonie - L'aphasie en milieu hospitalier algérois : Étude psychologique et linguistique, Doctorat ès Lettres et sciences humaines, s. d. D. Cohen, 700 p., 1986, Paris 3.

11- Le synthème psychologue-orthophoniste, dénommant le statut professionnel, est une erreur en Algérie, parce qu'il n'existe dans aucun dictionnaire, ni dans aucun pays du monde, ni dans les deux Décrets de la Licence (numéro 73-44 du 02 février 1973 et numéro 32 du 02 juin 1987), lesquels instituent respectivement le Diplôme d'Orthophoniste puis la Licence d'Orthophonie. Cette appellation «hybride» n'est qu'une invention de personnes qui, n'ayant pas pu, pour accéder aux diverses spécialités orthophoniques, poursuivre le cycle Post-graduation + Doctorat d'orthophonie, ont dû se rabattre directement sur un Doctorat de psychologie ou de linguistique dont elles n'ont pas reçu la formation de base. Cette erreur est aujourd'hui largement prouvée par nos travaux, qui indiquent très clairement et comme à l'échelle universelle, que le psychologue et l'orthophoniste exercent deux professions distinctes. Elle est donc appelée à être rectifiée dans le texte (par ailleurs incompréhensible, voir l'ouvrage Études de cas, OPU, 1992, p. 299) du Décret numéro 22 du 15 mai 1991. Ceux qui ont validé ce texte ont été induits en erreur ; en effet, l'université algérienne délivre, à ce jour et au mépris des Décrets de 1973 et de 1987, une Licence de psychologie option (écrite à la main) orthophonie. Concocté en 1991 par des non spécialistes sans nous consulter sur la base de cette appellation illicite du titre gradué, le statut est, en réalité, celui d'orthophoniste de santé publique et non de psychologue-orthophoniste de santé publique.

12- L'orthophonie - historique d'un projet de 30 ans, Le Soir d'Algérie, 30 novembre 2009, p. 15 & Naissance de la neuropsychologie en Algérie : enseignement et recherches, Colloque NEF Neurosciences, 24, 25, 26 mars 2009, École Normale Supérieure de Lyon.