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Affaiblir l’Etat ou comment affamer la bête

par Akram Belkaid, Paris

On imaginait, peut-être avec une grande naïveté, que la crise financière allait sonner le glas de la pensée ultralibérale et faire voler en éclats les discours habituels sur la nécessité de réduire le poids des Etats dans l’économie. A l’aune de l’épisode irlandais, on se rend bien compte qu’il n’en est rien. Tout se passe comme si cette immense tempête qui menace d’emporter la zone euro n’était finalement qu’une occasion en or pour celles et ceux qui rêvent de «tuer la bête», comprendre l’Etat.

L’occasion d’en finir avec l’Etat…

On s’en rend compte en examinant les grandes lignes du plan de sauvetage de l’Irlande. Les dirigeants de ce pays ont ainsi obtenu que l’on ne touche pas au taux d’imposition des entreprises (12,5%), lequel équivaut à la moitié du taux moyen européen. Question logique : comment réduire alors l’immense déficit budgétaire irlandais ? La réponse sonne comme un leitmotiv : nouveaux emprunts et, ceci étant dû à ce qui précède, diminution drastique des dépenses publiques. Des coupes qui signifient, entre autres, la réduction du salaire minimum et des prestations sociales. Quant aux banques, elles peuvent continuer à dormir tranquilles…

Examinons le problème de manière plus large. Que s’est-il passé depuis 2007 ? Une crise financière a éclaté en raison des pratiques irresponsables et prédatrices du système bancaire aux Etats-Unis et en Europe. Face au risque de faillite des banques, les Etats ont été forcés d’injecter des milliards de dollars et d’euros dans leurs comptes et dans l’économie. Et ces interventions très dispendieuses ont creusé les déficits publics et généré le doute sur la capacité de ces mêmes Etats à rembourser leurs dettes en temps et en heure (cas de la Grèce et de l’Irlande en attendant le Portugal et l’Espagne).

Aujourd’hui, ces déficits fournissent donc l’occasion rêvée de tailler dans les dépenses publiques. C’est ce qui se passe en Grande-Bretagne dont les dirigeants, plutôt que de s’en prendre aux responsables de la crise, autrement dit la faune qui peuple la City londonienne, préfèrent concentrer leurs efforts sur celles et ceux qui resteraient, selon les conservateurs anglais, « assis à attendre les subsides publics ». En s’attaquant à la redistribution et aux dépenses sociales, l’actuel gouvernement britannique va bien plus loin que Margaret Thatcher. Il met en application ce que les ultralibéraux tentent de faire depuis maintenant près de deux siècles : un retrait définitif de l’Etat de la sphère économique.

… et d’empêcher son retour

Mais la perspective de ce retrait ne suffit pas. Il faut aussi qu’il soit définitif et qu’il pave la voie pour une expansion du libéralisme. C’est cela que signifie l’expression « affamer la bête». Affaibli, privé de ressources financières pour mener correctement sa mission, l’Etat, du moins ce qu’il en reste, devient très vite inefficace. Les usagers et les citoyens se plaignent et même si les syndicats – quand ils existent encore – tentent de faire entendre que c’est faute de moyens qu’administrations et entités publiques ne peuvent fonctionner, le résultat final est le démantèlement ou la privatisation. Un exemple ? Ce qui se passe en France avec la restructuration de l’administration chargée de gérer les demandeurs d’emploi. Fusion entre services et diminution du nombre de fonctionnaires aboutissent à une situation chaotique. Pour le plus grand bien des cabinets privés de recherche d’emplois qui devinent qu’un grand marché s’ouvre à eux…

 L’avenir dira donc si cette crise va bel et bien sonner le glas du secteur public en Occident. Cela sera certainement présenté comme un pas en avant en matière de modernisation mais, en réalité, cela constituera un autre signe tangible du déclin du vieux monde face aux pays émergents.