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La réforme LMD: l'Université algérienne était-elle prête?

par B. Moussa Boudjemâa *

Il y a une vingtaine d'années, des pays européens ont décidé d'harmoniser leurs cursus universitaires et d'adopter un système de diplômes commun, dans le but de permettre les comparaisons et les équivalences, de favoriser la mobilité des étudiants et leur accès au monde du travail dans toute l'Europe.

Cette volonté politique a pris forme avec la déclaration de la Sorbonne en 1998, complétée par la déclaration de Bologne en 1999 et précisée par la conférence de Prague en 2001. La réforme dite du «L.M.D.» est née. Le niveau «L» pour Licence à bac + 3: sanctionne un niveau correspondant à l'obtention de 180 crédits. La formation est organisée en 6 semestres. Le niveau «M» pour Master à bac + 5: ouvert aux licenciés, sanctionne un niveau correspondant à l'obtention de 120 crédits, au-delà de la licence. La formation est organisée en 4 semestres et se décline en un Master professionnel ou un Master recherche. Le niveau «D» pour Doctorat à bac + 8: ouvert aux titulaires d'un Master recherche, sanctionne un niveau correspondant à l'obtention de 180 crédits.

 Le nouveau régime LMD, aujourd'hui généralisé en Europe, permet (en théorie du moins) à l'étudiant de construire par lui-même un parcours de formation personnalisé. Le LMD a permis de rendre possible des comparaisons et ainsi des équivalences des diplômes au niveau européen. Le LMD paraît comme la clé de l'excellence et la compétitivité. Il permet la libre circulation des étudiants et facilite leur insertion dans les programmes des autres universités du monde. Le système LMD favorise l'offre de la formation universitaire et l'insertion professionnelle, la mise en ligne des programmes (cours) des différentes filières, du contenu des cours pour la formation à distance.

 La globalisation a créé une situation de compétition mondiale obligeant ainsi les pays à rechercher plus de qualité dans la formation de leur élite. L'Algérie ne pouvait pas demeurer en marge de l'évolution du monde et les autorités ont décidé d'adopter le L.M.D. Celui-ci a été introduit par le décret exécutif n° 04-371 du 21 novembre 2004 portant création du diplôme de licence «nouveau régime» et ce, en application de la loi 99-05.

En Algérie, a-t-on signifié, le système LMD, allait avoir pour corollaire la modernisation des universités avec la construction de plus d'amphithéâtres, de salles de cours et de travaux dirigés et de laboratoires qu'il allait permettre aux étudiants de voyager dans des universités et de naviguer sur le net dans les cybercafés qui verront le jour dans les différents campus. On pourrait même croire que l'époque des échecs dans nos universités ne serait bientôt qu'un lointain souvenir. Sur le plan social, le système LMD serait peu sélectif il semble donc approprié à notre pays. L'université sera organisée de manière à offrir les conditions propices (ressources humaines et infrastructures: salles de classe, bibliothèques, autres dispositifs de recherche, ordinateurs, etc.) à un enseignement et à un apprentissage de qualité, ainsi qu'aux recherches fondamentales et appliquées qui répondent aux besoins de l'Algérie. Ainsi vues, les études supérieures, version LMD, paraissent plus attractives: le système LMD est composé d'Unités d'Enseignements (U.E.). Chaque unité a une valeur (exprimée en crédits) proportionnelle au travail que l'étudiant doit fournir pour valider son U.E. Outre les Unités d'Enseignement disciplinaires, des UE de langues, d'informatique, ainsi que des enseignements d'ouverture culturelle et socioprofessionnelle sont proposés aux étudiants. L'apprentissage de compétences transversales telles que la maîtrise des langues vivantes étrangères et celle des outils informatiques se trouve ainsi renforcé.

 Par la similitude de son architecture, le système LMD permettrait donc une meilleure mobilité des étudiants en Algérie et à l'étranger. La mise en œuvre du système européen d'unités d'enseignement capitalisables et transférables (le système ECTS European Credits Transfer System existe depuis 1989) allait permettre la prise en compte et la validation des périodes de formation acquises dans une autre université, même à l'étranger. On va gagner plus de souplesse et de lisibilité dans les cursus. Dans ce système, les U.E. sont capitalisables: une U.E. est acquise définitivement quelle que soit la durée d'un parcours. La validation des acquis de l'étudiant dans une matière s'accompagne de l'attribution de crédits (30 crédits par semestre). Les crédits représentent un volume d'heures, de cours, de travaux dirigés (TD), de travaux pratiques (TP), de travail personnel. Ils peuvent aussi valider un stage, une expérience associative, un séjour à l'étranger. Dès lors que l'étudiant a obtenu la moyenne, les crédits sont reconnus au niveau international, ils sont capitalisés et transférables même à l'étranger.

 Ainsi, une grande diversité de formations allait en principe s'offrir à l'étudiant tout au long de son cursus. Il allait ainsi pouvoir affiner sa formation en cohérence avec ses acquis et son projet professionnel.

 Dans le cadre d'une licence, outre les enseignements fondamentaux qui justifient l'appellation de la spécialité de la licence, un étudiant peut construire son propre parcours en suivant certains enseignements dans d'autres filières.

 Ce nouveau système est, pourrait-on oser le dire, tout indiqué pour répondre aux besoins du monde socioéconomique. Subséquemment, il favoriserait l'insertion des diplômés dans le monde du travail et il y aurait moins de diplômés chômeurs.

 Le problème est que ce système LMD est entré en vigueur dans notre pays voilà six ans et je crois que nous pouvons esquisser une première analyse de la situation. Les universités algériennes étaient-elles prêtes à faire face à ce nouveau système éducatif plus exigeant que le modèle classique? L'université algérienne peut-elle appliquer de manière qualitative ce système et répondre à ses exigences en termes d'investissement matériel et humain?

 Si l'ancien système de gestion qui situait les préoccupations au niveau global, a montré ses limites que doit-on dire de ce nouveau système dont le centre de préoccupation est chaque étudiant pris individuellement donc des préoccupations au niveau du détail. La mise en place du LMD paraît différente d'une université à l'autre mais force est de constater qu'elle a été (et est toujours) hasardeuse dans la grande majorité de nos universités. Le LMD demeure confronté, sur le terrain, à des difficultés d'ordre pédagogique, matériel, mais surtout de management, Il subsiste à ce jour, des confusions notables dans l'organisation des cours, des volumes horaires, des semestres et des examens. Avant son entrée en vigueur ce système, et comme d'habitude, n'a pas bénéficié d'un effort médiatique pour convaincre les acteurs du monde universitaire et les amener à adhérer à l'idée d'aller le plus rapidement possible vers ce système.

Dans le système LMD, en principe, les Unités d'Enseignement (UE) sont transférables d'un parcours à l'autre (mais on précise bien : sous réserves) et permettent, entre autres, de valider des périodes d'études effectuées ailleurs. Chaque unité d'enseignement obtenue permet de capitaliser définitivement les crédits correspondants. Certaines unités d'enseignement sont obligatoires et constituent le socle de connaissances propres à un diplôme. D'autres sont optionnelles et permettront d'approfondir certaines connaissances, et d'acquérir des connaissances complémentaires cohérentes avec le projet professionnel de l'étudiant. Celui-ci pourrait gagner en mobilité géographique à la fin de chaque semestre (avec l'approbation de l'équipe pédagogique). Ceci permettra d'améliorer la qualité des diplômes. Il faudra redouter moins de cohérence entre les diplômes et les formations. En fait, en réalité c'est le contraire qui s'est produit : l'enseignement reçu par l'étudiant a contribué à réduire sa mobilité car le programme de sa formation aura été unique. Comment poursuivre ses études dans une autre université alors que, bien qu'on y ait prévu les mêmes offres de formation dans les universités, ni les contenus ni les crédits ne sont les mêmes.

 La reforme LMD a laissé aux universités une certaine liberté au niveau des formations qu'elles proposent, leur permettant ainsi de mettre en avant leurs spécificités. Cela n'empêche pas les universités d'être en compétition entre elles. On peut juste redouter, le cas échéant, une université à plusieurs vitesses. Il faut avouer, cependant, que les différences entre les universités existaient avant même la mise en place du LMD, Ce système ne changera pas la réputation établie de certaines universités dans un sens comme dans l'autre. Concernant le niveau des diplômes, en Algérie, il semble qu'à l'inverse des autres pays, les petites universités n'ont rien à envier aux grandes universités. Chez nous, le label Université n'existe tout simplement pas même si on commence à entendre parler de classement des universités algériennes. Et pourtant, la logique concurrentielle doit être acceptée et jouer à plein.

Au niveau de la recherche, cette même logique concurrentielle du LMD, pourrait contribuer à transformer certaines de nos universités en grands lycées de premier cycle limités à La licence, tandis qu'une minorité d'universités monopoliseraient les formations doctorales et les activités de recherche.

 Le LMD exige de l'enseignant qu'il apprenne à travailler au sein d'une équipe pédagogique sous la responsabilité d'un collègue de rang magistral. Les jeunes enseignants gagneront en assurance et seront plus performants. Malheureusement, ce type d'organisation qui peut constituer une solution adéquate à beaucoup de problèmes d'ordre pédagogique, n'existe que rarement chez nous. Malgré des conditions de travail qui sont loin d'être idéales, L'enseignant -qui cherche à gagner en considération- se doit de se revaloriser par lui-même et revaloriser sa fonction. Il doit faire face au challenge imposé par les nouvelles règles du LMD. Je m'adresse à mes frères enseignants pour leur dire une évidence. L'enseignant doit savoir enseigner, mais enseigner autrement. L'époque du maître détenteur de tout le savoir donnant tout à l'élève est révolue. L'enseignant est devenu simplement un guide, celui qui accompagne l'étudiant dans sa formation. Pour cela, il doit avoir le recul et la sagesse nécessaires pour élaborer des trames de cours; utiliser une méthodologie actualisée; accepter d'être évalué etc. Les nouvelles méthodes d'enseignement et l'innovation pédagogique ne sont pas le point fort de l'enseignant algérien. Il devrait pourtant utiliser toutes les formes et techniques de communication avec pour outils les technologies de l'information et de la communication appliquées à l'enseignement (TICE). L'accès aux outils informatiques ne doit plus être perçu comme un luxe, mais comme un outil indispensable à l'apprentissage des étudiants. Quant à la disponibilité de ces moyens c'est déjà un autre débat.

 Cette année on parle du tutorat pour les étudiants de première année de Licence. Le retard pris dans la mise en place du tutorat illustre bien la difficulté de la démarche LMD. La ruée des bacheliers vers les universités déjà par trop engorgées, rend difficile la gestion des flux et contribue aux échecs. Dans ces conditions, comment peut-on concevoir et mettre en place un dispositif d'accueil personnalisé et un dispositif d'accompagnement pédagogique spécifique exigé par le système? En réalité l'étudiant ne pourra être ni accompagné ni libre pour s'orienter et choisir son parcours estudiantin et bâtir son projet professionnel.

 Il est vrai que l'étudiant doit être accompagné mais il y a maldonne. Le flux des étudiants n'a pas été tenu en compte. Dans le nouveau système l'étudiant devra apprendre à se prendre en charge. Il doit gérer son temps et ses études, il doit apprendre à entretenir ses relations avec les enseignants et l'administration. Il doit apprendre à travailler en groupe, à prendre des notes lors des cours magistraux et à les synthétiser, à chercher les cours en ligne, à maîtriser l'utilisation de l'outil informatique et enfin à maîtriser l'Anglais. Ces informations devront être fournies à l'étudiant à travers un guide méthodologique.

 Dans le système LMD, la relation qu'entreprend l'Université avec son environnement socio-économique est au cœur de sa logique. Cette relation devrait permettre à l'Université d'être à l'écoute de la société et de connaître ses attentes en matière de formations et de professions à pourvoir. A ce sujet et notamment pour les formations à voie professionnelle, les accords conclus avec les entreprises économiques -ne serait-ce que- pour assurer des stages aux étudiants en fin de cursus, ne sont pas légion or un véritable partenariat entre l'Université et le monde du travail est indispensable pour la réussite de ces formations dites professionnelles. A ce rythme, on n'aura à l'université que des licences académiques et là nous ne sommes plus dans l'esprit du LMD. A mon avis on aurait dû éviter cette double voie pour ne faire place qu'à la seule voie de la professionnalisation. Même la recherche est une profession. Ainsi, l'étudiant pourra choisir d'entreprendre une formation de Licence ou une autre de longue durée. Un pareil cursus de formation flexible offrirait, à plusieurs niveaux, la possibilité pour l'étudiant de s'insérer dans le monde socio-économique. L'Algérie reste avec des besoins immenses. L'eau, l'énergie, l'autosuffisance alimentaire, la santé et l'habitat sont

 générateurs de métiers dans lesquels peuvent s'inscrire les priorités de formation. Dans ce cadre, nous n'avons pas besoin d'une pléthore de cadres de haut niveau, nous avons surtout besoin de personnels d'exécution, de techniciens, de cadres de maîtrise capables de travailler dans les entreprises et d'autres secteurs de production. Le LMD pourrait remédier à cette carence par son organisation professionnalisant si tout le monde ne se mettait pas à l'idée d'être Docteur. A ce titre, la mise en place d'un système d'orientation progressive est plus que souhaitable. L'orientation devrait pouvoir diriger l'étudiant dans la spécialité à laquelle le prédestinent ses capacités intellectuelles. En cas d'un échec ou d'un changement d'intérêt en cours de formation, l'étudiant pourra être réorienté.

 D?autres difficultés d'adaptation vont naître comme celles des formations qui ne s'intègrent pas dans le système LMD, telles que les Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles. Et les études en sciences médicales. En effet comment intégrer un étudiant qui après une année ou deux de médecine ou de pharmacie, ne voudra pas ou ne pourra pas poursuivre dans ces disciplines ?  

Des difficultés liées à la gestion informatique du LMD sont apparues ; Le logiciel en question n'a apparemment pas été bien conçu, à en juger par les nombreux défauts qu'on lui a trouvés. Le personnel en charge de la gestion administrative n'a pas été suffisamment informé encore moins formé. On n'a pas assez fait pour la vulgarisation de l'information sur ce système. Il y a aussi le manque de moyens matériels et humains mis en place pour l'accompagnement de cette réforme et particulièrement les laboratoires de travaux pratiques, les salles d'Internet avec un bon débit, les fonds documentaires. D'autre part, l'expérience nous a montré que l'interprétation des textes reste très élastique soulevant quelques problèmes quant à leur application. Le cas des passerelles entre l'ancien régime et le nouveau en est le parfait exemple. Dans le souci de favoriser la mobilité internationale, le LMD s'accompagne de la mise en œuvre d'annexes descriptives aux diplômes de Licence et de Master afin d'assurer la lisibilité des connaissances et aptitudes acquises. Ces documents annexes sont prévus par les articles 6 et 14 du Décret exécutif 08-265. Chaque annexe doit contenir des informations sur le titulaire, sur le diplôme, sur le niveau de qualification, sur le contenu et les résultats obtenus, sur la fonction de la qualification, des informations complémentaires, certification du supplément et sur le système national d'enseignement supérieur. Qu'en est-il de ces documents ?

 Je demeure convaincu que beaucoup de problèmes de manque de moyens pourraient être réglés par le biais d'une meilleure organisation: les problèmes de salles de cours, d'équipements de laboratoire, de professeurs, de produits ne seraient pas dus à un manque de moyens mais à un défaut de managers.

 L'instauration d'un système de contrôle des connaissances en continu ou en semaine bloquée souple mais sans session de rattrapage permettra à l'étudiant d'avoir de grandes chances de succès. De ma carrière, je n'ai jamais trouvé aussi stupide trouvaille que les sessions de rattrapage.

 Un autre challenge nous attend dans le cadre du système LMD : le renforcement des capacités méthodologiques et communicationnelles de l'étudiant. L'un des axes de la formation concerne la méthodologie, l'éthique et la déontologie du métier ou de la spécialité. Cette formation, augmente la capacité de l'étudiant à communiquer, à maîtriser les différents rouages de son domaine d'intérêt.

 La préparation à l'insertion dans l'activité socio-économique. Le travail personnel de l'étudiant, les stages en cours de formation, les manipulations dans les laboratoires, les sorties pédagogiques renforceront ses capacités d'adaptation, une fois versé dans le monde socio-économique. De plus, certains aspects de sa formation doivent inculquer à l'étudiant l'esprit entrepreneurial. A sa sortie, il devrait être immédiatement opérationnel.

La formation doctorale doit demeurer une référence. Des pôles d'excellence doivent apparaître où seront formées de nouvelles générations de cadres de haut niveau de compétence et ayant une formation pluridisciplinaire, capables de s'adapter à un monde changeant. Notre défi majeur est de ne pas en générer des sous produits. De nouveaux comportements sont donc nécessaires pour enfin arriver à la moralisation tant attendue de la vie universitaire. L'Etat commence à donner les moyens pour la refondation des universités. Cela passe par la dotation des universités en infrastructures suffisantes et même correctes, en équipements, en enseignants. Peut-être faudra-t-il négocier avec les autorités une plus grande démocratisation de l'Université.

 Croire que l'Algérie sortira du sous-développement du fait de la mise en place du système LMD relève de la candeur. En effet, il n'est pas si sûr que le LMD permette à l'université algérienne de mettre sur le marché (comme nous l'espérons) de nouveaux cadres hautement compétents et doués d'une vision versée sur les réalités du pays. En effet, le développement harmonieux d'un pays dépend essentiellement de la qualité des ressources humaines qui s'y consacrent.

 Sans cette prise de conscience, dans l'administration, de l'importance des ressources humaines et sans une conception renouvelée de la gestion des ressources humaines, le système LMD ne constituerait pas une possibilité de sortie de l'apathie qui caractérise actuellement nos universités et assurer la formation de cadres capables de relever le défi.

* Maître de Conférences Université de Tlemcen