Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Quand pays émergents et capitaux étrangers commencent à faire mauvais ménage

par Akram Belkaid, Paris

Le chiffre démontre à lui seul que le vieil ordre économique et financier mondial est bouleversé. En 2010, les flux de capitaux privés à destination des pays émergents vont ainsi dépasser les 820 milliards de dollars contre 581 milliards de dollars en 2009. Le nom des premiers bénéficiaires de ce torrent de liquidités ne surprendra personne : Chine, Russie, Brésil, Inde et Corée du Sud, c’est-à-dire les fameux BRIC auquel il faut rajouter le « K » de Korea. Mais cette bonne fortune a son revers.

 
La rançon de la gloire

 
Depuis plusieurs mois, les monnaies des pays émergents sont très pénalisées par l’attractivité de leurs pays (1). Le mécanisme qui est en jeu est assez simple. Quand un pays ouvert voit son économie briller de mille feux, ce qui est le cas des BRICK et autres émergents, il attire nécessairement des capitaux étrangers à la recherche de bons rendements. Ces derniers sont le plus souvent placés dans les marchés financiers locaux qu’il s’agisse de la Bourse, du marché obligataire ou de celui des devises sans oublier celui de l’immobilier. De manière automatique, ces achats massifs vont provoquer une appréciation des actifs locaux et, par conséquent, de la devise locale. A terme, c’est la compétitivité même du pays concerné qui risque d’en pâtir puisque ses exportations deviennent plus chères.

 Dans l’actualité des derniers jours, il n’est question que des mesures que les pays émergents prennent ou vont prendre pour limiter la hausse de leur monnaie dans une conjoncture marquée par la baisse du dollar américain. Dans la plupart des cas, ce sont les Banques centrales qui interviennent sur le marché monétaire en vendant de la monnaie locale ou en achetant du dollar. Dans les deux cas, ces opérations visent à affaiblir la devise locale et à soutenir les exportations. Il arrive aussi que les pays concernés décident de taxer les opérations financières réalisées par les investisseurs étrangers afin, c’est un paradoxe, de freiner l’afflux d’argent extérieur.

 Il faut bien noter que, pour l’heure, aucun de ces pays ne songe à fermer totalement ses marchés financiers à l’investisseur étranger. Mais l’idée d’un accès plus sélectif fait son chemin d’autant que nombre de pays émergents avouent ne plus avoir besoin - du moins actuellement - de liquidités étrangères. Certes, ce genre de mesure déclencherait l’ire des pays développés qui hurleraient alors au protectionnisme. Mais la réflexion sur le lien entre la nécessaire protection du dynamisme économique et le degré d’ouverture des marchés financiers est loin d’être terminée. Dans le cas actuel, personne ne démentira le fait qu’il serait avantageux pour les BRICK de continuer à afficher des taux de croissance impressionnants tout en limitant l’afflux de capitaux privés.
 

De l’intérêt d’une Bourse
 

Cette problématique amène à se poser la question de l’utilité d’un marché financier dans le cas d’un pays qui, comme l’Algérie, aspire à devenir émergent. Dans ce cas de figure, ce genre d’environnement doit être protégé et permettre d’abord le financement des entreprises locales par le biais de l’appel à l’épargne publique. La grande erreur serait d’ambitionner d’attirer les capitaux étrangers pour équilibrer la balance des paiements. Car il y a une règle que les BRICK connaissent bien, et c’est ce qui aggrave leur inquiétude : il n’y a rien de plus versatile que les capitaux étrangers puisque ces derniers peuvent repartir aussi vite qu’ils sont arrivés.
 

(1) «La force d’attraction de leurs économies pénalise les devises des pays émergents», Nessim Aït-Kacimi, Les Echos, 18 octobre 2010.