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Le yuan coupable ou bien alors le dollar ?

par Akram Belkaid, Paris

Voilà que l’on reparle encore des monnaies ! Alors que les Etats-Unis peinent à reprendre le chemin de la reprise et que le président Obama est de plus en plus critiqué pour sa politique économique, de nombreuses capitales occidentales remettent la question de la valeur du yuan au goût du jour. On connaît la problématique : l’Union européenne mais aussi l’Amérique reprochent à la Chine de maintenir sa devise à un niveau artificiellement faible pour doper ses exportations. Tous exigent avec plus ou moins de fermeté une appréciation du renminbi, autre appellation de la monnaie chinoise.
 
Un jeu convenu
 
Cette bataille autour de la valeur du yuan est tout sauf une bagarre acharnée. Chaque camp joue en effet une partition connue d’avance, qui a le mérite d’occuper la galerie et de faire en sorte que les vrais problèmes structurels de l’économie mondiale ne soient pas abordés, à l’image de la persistance des paradis fiscaux. La Chine, pour des raisons de souveraineté mais aussi pour ne pas éroder ses exportations, refuse que le monde lui dicte sa politique monétaire. De leur côté, Européens et Américains savent très bien que la faiblesse du yuan, certes artificielle, n’est pas l’unique raison de l’important déséquilibre commercial entre leurs pays et la Chine.

En réalité, c’est d’abord le coût du travail qui entre en jeu. Avec des salaires équivalents parfois à moins de 5% de ce qui se pratique en Occident, la Chine dispose d’un avantage compétitif que les entreprises européennes, japonaises et américaines ont depuis longtemps intégré. De fait, la logique voudrait que ce soit cette question du pouvoir d’achat des ouvriers chinois qui soit posée. Bien entendu, cela n’est guère envisageable. Dans le cas des Etats-Unis, de nombreux lobbies, dont celui de la chambre de commerce, ne veulent pas que les entreprises américaines soient confrontées à des hausses de salaires des ouvriers chinois. Elles ne veulent pas non plus que des pressions soient exercées sur Pékin pour que les droits de ses travailleurs soient mieux respectés et qu’ils puissent par exemple se syndiquer.

De fait, l’instrumentalisation de la question des changes traduit plus la volonté de « l’ancien monde », dans lequel figurent désormais les Etats-Unis, de réitérer son pouvoir face à l’irrésistible ascension de la Chine. C’est une manière de la renvoyer dans ses cordes et de lui signifier qu’elle ne peut encore prétendre au statut de grande puissance à part entière.Fidèles à leur stratégie d’évitement, les dirigeants chinois l’ont d’ailleurs bien compris puisqu’ils ne perdent pas une occasion de rappeler que leur pays n’est qu’une puissance économique émergente qui ne cherche pas à régir le monde.
 
Et le dollar alors ?
 
Les sorties du Fonds monétaire international (FMI) et des pays occidentaux à l’encontre de la valeur du yuan paraissent même étonnantes quand on sait que la première monnaie qui pose problème dans le monde est le dollar. « C’est notre monnaie, c’est votre problème », s’était exclamé en 1971 le secrétaire d’Etat au Trésor John Connolly à l’adresse des Européens qui critiquaient la place disproportionnée du billet vert dans l’économie mondiale (aujourd’hui encore, les Etats-Unis sont le seul pays au monde à pouvoir emprunter dans une monnaie, le dollar, qu’ils peuvent émettre quand bon leur semble). Cette saillie est toujours d’actualité, mais plutôt que de mettre une bonne fois pour toutes cette question sur la table, l’Occident préfère s’en prendre à la Chine.