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Commandant Rouaï : L’homme de l’ombre

par Djamel Belaïfa

Notre histoire est un livre ouvert, chargée d’épisodes héroïques, œuvres d’hommes et de femmes qui sont derrière une partie de cette histoire.

Le registre de la glorieuse révolution retiendra que parmi ces hommes, il y a ceux qui, par modestie et par humilité, ont préféré ne pas étaler au grand jour leurs nombreux fait d’armes. Le commandant Mohamed Rouaï dit Tewfik était l’un de ces hommes. Un authentique soldat de l’ombre.

 L’engagement de ce moudjahid était sincère et total, son parcours politique et patriotique montre que son adhésion a la révolution; était, avant tout, le fruit d’une conviction personnelle.

 Le commandant Mohamed Rouaï, dit Tewfik et dit aussi El Hadj Barrigou était un cadre dirigeant de la wilaya V historique et du ministère de l’Armement et des Liaisons générales (MALG) de feu Abdelhafid Boussouf.

 La rencontre entre les deux hommes a eu lieu à la fin des années 50. Mohamed Rouaï militant du PPA-MTLD avait rencontré Boussouf après la découverte par le colonialisme de l’organisation secrète OS. Depuis les deux hommes ne se sépareront jamais, jusqu’à l’indépendance. Les deux compagnons, la mission accomplie, se retireront de la vie politique. Malgré son rôle très important en tant que responsable durant la guerre de révolution nationale et en tant que nationaliste de la première heure, hormis le témoignage de ses compagnons d’armes, on connaît peu de choses sur l’itinéraire révolutionnaire de Si Tewfik. Un hommage lui est consacré dans l’édition El-Djazaïr.Com de septembre 2009. Des témoignages poignant sur la vie de celui qui fut véritablement l’un des grands soldats de l’ombre. Les photos le montrant aux côtés des figures marquantes de la révolution à l’instar du défunt Houari Boumediene, de l’actuel président de la République Abdelaziz Bouteflika, de feu colonel Lotfi, du colonel Ali Kafi etc. sont autant de témoins de la stature de l’homme et de la place qu’il occupait au sein des hauts cadres de la révolution.

 Mohamed Rouai est né le 26 mai 1929 à Mohamadia (ex-Perrégaux) dans la wilaya de Mascara, la veille du centenaire de la colonisation. Révolté par le système colonial, il fera preuve, dès son jeune âge, d’un engagement total au service de la cause nationale. Cela lui vaudra d’ailleurs d’être très vite remarqué par Abdelhafid Boussouf à l’époque recherché par la police française et qui s’était réfugié à l’ouest du pays pour échapper à la répression menée contre les cadres et militants de l’OS.

 Grâce à sa persévérance, son caractère, son dévouement et son engagement sans faille pour la cause nationale il réussira à gravir très vite les échelons de la hiérarchie. Il sera d’ailleurs choisi pour participer à la formation du MALG. Si Tewfik était parmi le premier groupe ayant doté la révolution algérienne de sa structure sécuritaire destinée à protéger le combat des Algériens de la subversion du colonialisme.

 D’octobre 58 à juin 1962, il fut chargé de superviser, en qualité de directeur des liaisons générales du MALG, l’acheminement du courrier et la transmission des dossiers sensibles. Une mission ultra secrète dont dépendaient des centaines de vies humaines et qu’il mènera à bien. Dans un contexte marqué par la guerre de renseignement menée par l’armée coloniale, Si Tewfik était chargé des liaisons générales. Faisant preuve d’une maîtrise sans faille de toutes les responsabilités qui lui sont assignées, le défunt Si Tewfik sera désigné pour une autre mission tout aussi difficile et délicate, l’acheminement des armes vers les maquis de l’intérieur . Une mission cruciale pour la continuité de la Révolution. Ni le quadrillage des frontières ni les lignes électrifiées de Maurice et de Challe ne réussiront à le faire fléchir.

L’homme de confiance de Boussouf

Ayant fait preuve de ses qualités de meneur d’hommes et de stratège, à travers toutes les missions qui lui ont été confiées, c’est tout naturellement qu’il sera le plus proche et l’homme de confiance de Boussouf . Ce dernier lui confiera une nouvelle mission «ultra secrète», à la tête d’une nouvelle structure appelée «S4». Un service spécial d’une extrême sensibilité, dont même les cadres du MALG ignoraient son existence. «Tous les services que Boussouf avait créés avaient cette caractéristique du secret, mais ce service spécial devait l’être davantage à ses yeux. C’est lui même qui avait dénommé ainsi, sans nous donner d’explication sur la signification du S4. Il avait décidé de confier la direction de cette nouvelle structure à son homme de confiance, le plus proche, son vrai bras droit qui lui est resté fidèle jusqu’au bout, Mohamed Rouai….», tel est le témoignage d’un ancien cadre et responsable au sein du MALG, Mohamed Lamkami sur cette structure secrète. Ce service spécial, tenu par si Tewfik, avait pour mission de faire parvenir le maximum d’armes dans les wilayas et d’approvisionner les combattants de l’ALN de l’intérieur en armes et munitions…

 Au fil des missions, réussies, il deviendra l’un des hommes les plus recherchés, et tous les efforts déployés par les services de renseignement français pour l’identifier ou le localiser se sont avérées vaines.

 Jusqu’aux derniers moments qui ont précédé l’indépendance, il sera présent. Lors des négociations entre le GPRA et l’Etat français, il prendra part à la confection des dossiers stratégiques des négociations.

 L’histoire de la révolution algérienne retiendra d’autres importants faits d’armes du défunt si Tewfik, entre autres, l’infiltration d’un Algérien originaire d’Oran, nommé Mokhtar, qu’il a réussi à envoyer à Genève. Il s’agit du militant qui a eu l’idée d’acheminer des armes en provenance du Maroc camouflés dans des rouleaux de bitume…

 Dès l’indépendance il s’illustra une fois encore en signant en compagnie de sept autres cadres du MALG et militants de la cause nationale, entre autres, Noureddine Yazid Zerhouni, Boualem Bessaih, Mohamed Lamakami, Kasdi Merbah, un communiqué rendu public le 16 juillet 1962 en réaction aux tiraillements entre frères de combat. Un véritable testament de fidélité à la révolution de novembre 54, demandant aux différents protagonistes de dépasser leurs divergences dans l’intérêt du pays et de l’unité nationale. Avec un sentiment du devoir accompli, le défunt se retira de la vie politique juste après l’indépendance. Son humilité et sa modestie l’empêcheront d’étaler au grand jour ses nombreux faits d’armes. Si Tewfik nous a quittés à la force de l’âge (48 ans) le 24 mai 1977 et fut enterré sur les monts de Beni Chougrane à Sidi Dahou dans la wilaya de Mascara, terre de ses ancêtres.

Le pionnier du S4

Boualem Bessaih dira de lui qu’il était un homme secret, rigoureux, d’une grande rectitude morale, fidèle en amitié, affable et courtois, des qualités que lui reconnaissent tous ses interlocuteurs. C’est sans doute pour cela qu’il fut choisi par le colonel Boumediene pour être son officier de liaison et le canal privilégié de ses contacts confidentiels.

 Sa proximité avec Boumediene et Lotfi d’abord, puis avec Boussouf, a contribué grandement à l’affermissement de sa personnalité et à élargir son champ d’observation aussi bien sur les hommes que sur les évènements.

 Pour sa part, M.Abdelkrim Hassani, officier de l’ALN responsable de la formation des opérateurs radio durant la guerre de libération nationale et commandant de la base nationale Didouche Mourad, dira qu’il fut l’un de ceux que Boussouf avait choisi en tant que pionnier du service S4 peu connu du public au cours des années 1960, pour réanimer les réseaux de communication, de liaison et des technologies des armements. Avec ses compagnons, il a marqué le processus de développement des services spécialisés du MALG. Il était à l’avant-garde aux côtés de Bouteflika en 1956, et compagnon de Boussouf dans les rangs de l’OS, bien avant 1954. Il connaissait les hommes, le terrain, les qualités et les défauts des uns et des autres. Il savait juger et jauger. En plaçant Si Tewfik au niveau élevé du service spécialisé S4, Boussouf avait la conviction qu’il pouvait assurer la sécurité de la révolution , ou du moins éviter des surprises d’un ennemi aux abois mais capable de faire du mal.

 D’autres témoignages reflètent largement les valeurs de cet homme au parcours forgé dans le nationalisme, le patriotisme et le dévouement total pour son pays. Tous ont insisté dans leurs témoignages sur ses qualités humaines et les valeurs morales qu’ils ont qualifiées de véritable exemple de patriotisme et de militantisme pour les générations passées et futures. Un symbole de loyauté et de fidélité qui avait assumé toutes ses responsabilités tout en étant conscient, de par son expérience de militant, du poids de ses responsabilités

 «Si l’Algérie a pu construire des universités, assurer des études aux jeunes algériens, c’est grâce à ces personnes qui avaient sacrifié leur jeunesse pour mener la lutte contre le colonialisme. La grande leçon de mon frère est cet amour profond pour l’Algérie. Cela peut paraître dérisoire aujourd’hui, mais à l’époque c’était difficile car nous vivions sous le régime de la colonisation», dira sa sœur Ftima en évoquant le commandant Rouai. Son épouse, la moudjahida Saliha Azzi retiendra de lui l’image d’un homme humble et surtout très discret. «Il parlait très peu de son action au sein du Malg… même après l’indépendance, il n’évoquait jamais ce qu’il avait vécu avec ses compagnons…» Mohamed Rouai était un homme serviable, disponible et à l’écoute des gens qui le sollicitaient.