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L’Allemagne à plein régime

par Akram BelkaId, Paris

Alors que nombre de pays industrialisés peinent à échapper à la récession, l’Allemagne affiche des performances impressionnantes. Qu’on en juge : au deuxième trimestre de cette année, son économie a enregistré un taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) de 2,2% par rapport aux trois mois précédents. Il s’agit d’un record historique puisque jamais un tel chiffre trimestriel n’avait été atteint depuis la Réunification de 1990. Et si l’on se base sur un glissement annuel - c’est-à-dire si l’on compare avec les données de la même période en 2009 – ce taux de croissance atteint 4,1%. De quoi faire des envieux en Europe comme en Amérique du Nord…
 
La demande interne frémit

 Cette bonne tenue de l’économie germanique n’est pas étonnante puisque l’Allemagne est l’un des premiers pays européens à être sorti de la récession au deuxième trimestre 2009. La nouveauté réside plutôt dans les facteurs à l’origine de cette croissance vigoureuse. On sait que ce sont les exportations qui tiraient jusque-là la machine allemande et, cette fois encore, leur hausse de 8,2% par rapport au premier trimestre prouve que le «made in Germany» est toujours très recherché dans le monde. Mais la surprise, c’est que la demande interne a représenté plus de 60% de cette croissance. Longtemps anémique, la consommation des Allemands a progressé de 0,6% (-0,1% au trimestre précédent) de même que les investissements, l’autre grande composante de la demande interne. C’est ainsi que les investissements de biens d’équipement ont augmenté de 4,7% et ceux du bâtiment de 5,2%.

 Ces chiffres concernant la demande interne allemande ont leur importance. Ils prouvent que les exportations ne sont plus les seules à soutenir la croissance allemande. Cela devrait offrir des arguments à Berlin face à ses partenaires commerciaux, dont la France et les Etats-Unis qui n’ont cessé de lui reprocher de faire cavalier seul en privilégiant les exportations et en ne faisant aucun effort pour doper sa demande interne (l’augmentation de la consommation allemande offrirait de nouveaux débouchés aux entreprises françaises et étasuniennes). On se souvient, par exemple, que la ministre française de l’Economie Christine Lagarde s’était attaquée, au printemps dernier, avec virulence au modèle économique germanique, en accusant Berlin de trop se reposer sur ses excédents commerciaux au risque de créer des déséquilibres en Europe. Mais s’il va être plus difficile de critiquer l’Allemagne pour sa stratégie économique, il n’en demeure pas moins que la reprise de la demande interne reste fragile. Certes, les Allemands se remettent à consommer, notamment parce qu’ils semblent avoir plus confiance en l’avenir depuis que le taux de chômage s’est stabilisé à 7,8%. Mais cette consommation reste inférieure à ce qu’elle était en 2009 et les ménages attendent encore de meilleures incitations pour dépenser plus. L’une d’elles est évidemment une augmentation des salaires, ce à quoi ne semblent guère disposés le patronat et le gouvernement, le premier étant attentif à ses marges et le second à l’évolution de l’inflation (laquelle a pourtant encore reculé en août). Pour autant, le débat sur le pouvoir d’achat ne fait que commencer. Mettant en avant les bonnes performances de l’économie, le puissant syndicat IG Metall donne d’ailleurs de la voix pour réclamer des augmentations anticipées de salaire.
 
Une urgence imposée par une nouvelle rechute mondiale

S’il est probable que le patronat fasse un geste, il n’est pas dit que les ménages allemands n’en profiteront pas pour augmenter leur épargne plutôt que de consommer. Quoi qu’il en soit, le redémarrage de la consommation allemande devrait être une urgence pour le gouvernement Merkel. Si l’économie mondiale rechute vraiment comme en témoigne la récente agitation des marchés financiers (certains experts prédisent même un krach imminent), les exportations germaniques vont nécessairement baisser faute de commandes. Il faudra alors que Berlin se rabatte sur les ménages en acceptant de baisser les impôts et de laisser filer les salaires. Deux conditions nécessaires mais certainement pas suffisantes pour que les consommateurs allemands arrêtent enfin de se serrer la ceinture.