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Cette guerre qui vient

par Akram Belkaid: Paris

A entendre la cohorte d'experts et de politologues en tous genres, une nouvelle guerre s'annoncerait au Proche-Orient, plus exactement au Liban, entre Israël et le Hezbollah. Pour la majorité d'entre eux, ce ne serait qu'une question de mois voire de semaines et rares sont ceux qui estiment que la probabilité d'un affrontement armé est faible. Les uns prédisent même que l'attaque israélienne aura lieu cet été tandis que d'autres pensent que ce serait plutôt à la rentrée, juste après le ramadan, histoire de ne pas embraser le monde arabo-musulman (comme si le mois du jeûne avait empêché Israël d'envahir le Liban en 1982?). En tout état de cause, tous les ingrédients semblent être réunis pour une nouvelle déflagration.

Il y a en effet trop de voix qui concordent dans le concert médiatico-diplomatique pour ne pas deviner que quelque chose se prépare. C'est ainsi qu'Israël multiplie les mises en garde et les menaces à l'encontre du Hezbollah libanais accusé de s'être massivement réarmé au sud-Liban grâce à l'appui de l'Iran et de la Syrie. On se souvient aussi que l'Etat hébreu a mis officiellement en cause Damas pour avoir livré des missiles Scud au « Parti de Dieu ».

Dans le même temps, et dans un bel élan d'unanimisme, les chancelleries occidentales font état de leur préoccupation ? formule habituelle qui prélude aux avertissements plus musclés ? à propos du non respect de la résolution 1701 de l'ONU. Pour mémoire, c'est ce texte onusien qui donne mandat depuis 2006 à la Force des Nations unies au Liban (Finul) pour empêcher l'acheminement d'armes au sud du Liban. A Washington comme à Londres ou à Paris, on se dit inquiet des heurts qui opposent la Finul à la population libanaise et on y voit la main d'un Hezbollah lassé de jouer au chat et à la souris avec les casques bleus pour faire passer ses armes. Les dirigeants de ce parti sont eux-mêmes persuadés que quelque chose se trame ce qui, de manière implicite, justifierait le réarmement de leur formation. Pas question pour eux de permettre aux Israéliens de mener une offensive éventuelle jusqu'au fleuve Litani sans rencontrer de résistance.

Mais si guerre il y aura, on a du mal à penser que c'est uniquement parce que le Hezbollah aurait profité d'un relâchement de la vigilance de la Finul pour approvisionner ses caches d'armes et de roquettes au sud-Liban. De fait, il y a plusieurs éléments qui renforcent le caractère inéluctable de ce conflit. D'abord, il faut rappeler que la guerre de 2006 a sérieusement écorné le prestige de l'armée israélienne tant pour ses bavures contre les civils libanais que pour les revers que lui ont infligés les combattants chiites. L'hypothèse que les généraux israéliens sont obnubilés par l'idée de prendre leur revanche et de démontrer que leur armée est la plus puissante de la région n'est certainement pas à écarter.

 Le contexte régional a aussi son importance. Si les chars israéliens franchissent demain la frontière, ce sera aussi parce que le Liban jouera, comme de coutume, le rôle de variable d'ajustement, de pays martyr qui paie le prix humain et matériel des conflits des autres puissances de la région. En effet, il est fort possible qu'Israël ne puisse pas, du moins dans un premier temps, s'en prendre à l'Iran et à ses projets nucléaires. Du coup, attaquer (et vaincre) le Hezbollah, serait dans l'esprit des stratèges israéliens une bonne manière d'amoindrir l'influence iranienne dans la région.

 Ce serait priver Téhéran, et son allié Damas, d'un relais précieux. On peut aussi ajouter qu'Israël ne peut attaquer l'Iran sans se prémunir d'une riposte qui viendrait non seulement des Iraniens eux-mêmes mais aussi du Hezbollah. Voilà pourquoi la guerre qui menace risque d'être encore plus violente et plus dure que celle de 2006. Elle sera le premier coup d'une séquence dont le but ultime vise à briser l'Iran et à mettre au pas la Syrie et cela passe d'abord par la défaite du Hezbollah.

 Ce conflit annoncé risque aussi d'être différent de celui de 2006 parce que la position des grandes puissances n'est plus tout à fait la même. Aux Etats-Unis, Barack Obama a démontré son impuissance à modifier la donne au Proche-Orient. Il est d'ailleurs saisissant de voir à quel point les responsables israéliens prennent de haut le président américain. Est-ce parce qu'il s'agit d'un démocrate ? Ou est-ce parce qu'il s'agit d'un Noir et que, consciemment ou non, les Netanyahu et consorts ont tendance à le mépriser ? Voilà qui mérite réflexion mais il est quasiment certain que Washington se fera une raison si demain Israël envahit de nouveau le Liban.

 L'autre grand changement concerne la France. En 2006, Jacques Chirac, ami de nombre de Libanais, était encore président et la diplomatie de son pays avait fait pression pour que cessent les bombardements israéliens. Cette fois-ci, la donne a changé. Pour ceux qui ne s'en seraient pas aperçus, la France se situe aujourd'hui clairement dans le camp israélien comme en témoignent les déclarations récurrentes de Bernard Kouchner mais aussi les prises de position de Nicolas Sarkozy. C'est une évidence, la politique arabe de la France est morte si tant est qu'elle ait existé un jour.

Cela signifie que les Occidentaux seront sur la même ligne de soutien à l'Etat hébreu et que ce dernier aura donc carte blanche pour vaincre le Hezbollah. Dans cette affaire, les régimes arabes ne pèseront guère d'autant qu'ils sont très hostiles au parti de Nasrallah et, par ricochet, à l'Iran. De leur côté, la Russie et la Chine ne réagiront que si c'est l'Iran qui est directement menacé. Reste la fameuse « rue arabe ». Il est évident qu'elle s'indignera, qu'elle manifestera ? quand on le lui permettra ? et qu'elle obligera la Ligue arabe à se réunir dans l'urgence pour constater son impuissance? Et une fois encore, comme en 2006, les Libanais seront seuls à se battre et à subir le feu israélien.