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5 juillet 1962, une Indépendance très «chair» de l'Algérie trop «chère»

par Mohammed Guétarni

Avant tout, «Bladi nabghik»

La colonisation française programmée Le 30 janvier 1830, le Gouvernement français, dirigé alors par M. Polignac, décide de lancer une expédition contre l'Algérie. Le prétexte pour l'envahir était tout trouvé : le Dey a donné un coup d'éventail au consul français qui a fait mal à toute la France, qui se trouvait alors profondément touchée dans sa dignité nationale. Ce qui justifia l'expédition sous le commandement du maréchal Bourmont, commandant en chef de l'armée française. Le corps expéditionnaire, composé d'une véritable armada de 37.000 hommes, dont 31.000 fantassins, embarqua le 14 juin 1830 du port de Toulon avec 675 bâtiments de guerre et des provisions pour quatre mois. Le débarquement a commencé à Sidi Ferruch. Le 5 juillet 1830, et après un combat acharné, le gouvernement algérien de l'époque se voyait contraint de capituler. A partir de cette date, la colonisation française a suppléé à la domination de l'Empire ottoman sur l'Algérie. La population algérienne, à cette époque, était estimée à trois (3) millions d'âmes environ. La conquête française a enclenché un processus de tout un enchaînement de hautes luttes sans merci, depuis l'Emir Abdelkader jusqu'à la victoire finale du peuple, sous l'égide du FLN, le 5 Juillet 1962.

Le 1er juillet, les Algériens ont participé massivement, pour la première fois, au référendum de l'autodétermination attendu depuis plus de cinq générations. Ils étaient 99,7% à voter en faveur de l'Indépendance. Celle-ci a coûté plus que très cher aux Algériens qui l'ont payée de et dans leur «chair»: plus de huit (8) millions de martyrs se sont sacrifiés (autant dire massacrés) sur l'autel de l'Indépendance pour que vive leur pays et leur peuple libres et indépendants. Le 5 juillet de la même année (1962), l'Algérie est proclamée indépendante après une longue nuit coloniale de 132 ans d'affres et d'injustices.

Ce massacre, qui n'était rien d'autre qu'un nettoyage ethnique, était judicieusement échafaudé puisqu'il faisait partie du plan de la colonisation. Il se voulait bénéfique à la colonisation sur le plan sociopolitique afin de réduire, numériquement, le déséquilibre démographique qui séparait colons et indigènes. Ce déséquilibre était à l'avantage de la population autochtone. C'est, somme toute, la politique actuelle pratiquée par Israël dans les territoires occupés. La méthode coloniale conserve toujours la même recette criminelle qui n'a pas évolué humainement d'un iota depuis.

De l'avis de nombre d'historiens français et algériens, les exactions inhumaines exercées contre le peuple algérien avaient pour objectif cardinal d'abêtir les Algériens afin de les rendre taillables et corvéables à merci au service du colonisateur. Parmi ces méthodes, citons, entre autres, enfumades, razzias, massacres, exécutions sommaires des civils et des prisonniers, destructions d'habitations, de cultures, de cheptels pour affamer le peuple indigène? En un mot : l'analphabétiser, l'affamer, le spolier, le paupériser. Autrement formulé, le système colonial devait destituer l'Algérien de son statut d'être humain pour le ravaler au rang d'une simple bête de somme à son service.

Dans un rapport adressé à Napoléon III, un général met à nu son objectif militaire satanique qui consistait à détruire les institutions culturelles et surtout cultuelles des Algériens. Ce qui revient à dire, « détruire le peuple algérien matériellement et moralement ».

Guy de Maupassant, pour sa part, écrivait dans »Au soleil» (1884), le récit de ses pérégrinations en terre algérienne, notamment où il parle de la population autochtone: « Il est certain aussi que la population primitive disparaîtra peu à peu ; il est indubitable que cette disparition sera fort utile à l'Algérie, mais il est révoltant qu'elle ait lieu dans les conditions où elle s'accomplit ».

Le code de l'indigénat, adopté le 28 juin 1881, distinguait deux catégories de citoyens français : de souche métropolitaine et des sujets français, qui ne sont autres que les Algériens pro-français. Ce code privait la majorité écrasante des Algériens de la majeure partie de leur liberté, de leurs droits politiques. Il ne conservait que ce qui concernait les droits religieux et coutumiers. Les premiers colons achetaient, de force, les terres aux Algériens à très bas prix, sinon ils les confisquaient à leurs propriétaires.

Naissance des mouvements nationalistes

Au début du XXe siècle, plusieurs partis politiques verront le jour pour défendre le droit à l'égalité sociale, politique, culturelle... et surtout l'indépendance. D'où la persécution, l'arrestation et/ou l'exil (si ce n'est des assassinats politiques) de plusieurs personnalités qui étaient de véritables figures de proue du nationalisme durant cette période. Citons, entre autres, Messali Hadj, Ben Badis, Malek Bennabi, Bachir El-Ibrahimi, Larbi Tébessi, Ferhat Abbas?. Ce qui a été à l'origine de la création de plusieurs associations et partis algériens : Associations des oulémas, Parti de l'Étoile nord-Africaine, Parti du Peuple algérien, Amis du Manifeste des libertés?. Après moult dissensions et luttes intestines pour le leadership, les forces nationalistes commençaient à s'effriter. Ce qui empêchait les Algériens d'unir leur force de frappe même dans les moments les plus décisifs de l'Histoire du pays. La lutte pour «le koursi» avait déjà commencé, alors que l'Algérie indépendante n'était pas encore née.

La guerre de libération algérienne

Le vocable de «Guerre d'Algérie» a été remplacé par le substantif «La Guerre de Révolution», dans le sens de transformation de la situation de tous les nationaux en leur faveur. Ils avaient tout perdu sauf leur courage, leur détermination pour leur dignité d'Algériens. Celle-ci était leur carburant moral intarissable.

Le massacre du 8 mai 1945 était resté gravé dans la mémoire des Algériens. Ils étaient bernés par le gouvernement colonial qui leur a promis l'indépendance s'ils participaient à la 2e Guerre mondiale aux côtés des Français dès que les Alliés vaincront l'Axe. Ce génocide de 45.000 victimes a servi d'étincelle qui a provoqué un véritable brasier révolutionnaire. Mais à cette date, pour beaucoup de dirigeants politiques nationaux, la Révolution n'était pas encore suffisamment mûre pour cueillir « le fruit escompté ». Un vaste réseau de révoltes et de colère cumulées au fil des décennies de la colonisation a fini par (r)éveiller les consciences les plus velléitaires. Il n'y a plus d'autre langage à utiliser avec le système colonial que celui des mitraillettes. Les dirigeants de la Révolution avaient su faire la différence entre « vitesse et précipitation », qui n'ont pas forcément la même acception. Il fallait attendre le 1er novembre 1954. L'action allait venir du CRUA. Le déclenchement de la Révolution armée a été décidé conjointement à la Casbah d'Alger et à Batna sous la direction de Mostéfa Ben Boulaïd dans une réunion du Comité des 22 cadres qui formaient le Comité révolutionnaire d'unité et d'action (CRUA). Les six chefs, qui ont décidé que le déclenchement aura lieu le 1er novembre à minuit ? comme pour rappeler la nuit coloniale -, étaient Rabah Bitat, Mostéfa Ben Boulaïd, Mohammed Boudiaf, Didouche Mourad, Krim Belkacem et Larbi Ben M'hidi. La déclaration de la plateforme de la Révolution a été diffusée sur les ondes de Radio Tunis. Elle a pris naissance à l'Est du pays : Batna, Arris, Khenchela, Biskra, avant de s'étendre graduellement à l'ensemble du territoire. Au début, il y avait 500 membres de l'ALN, puis, à peine quelques mois après, ce chiffre est passé à 15.000 hommes qui ont défié 100.000 soldats de l'autorité coloniale. Le courage de ces héros, qui ont écrit l'Histoire de l'Algérie en lettres de sang, n'a d'égal que celui des compagnons du Prophète (QSSSL) parce qu'ils avaient jugé, en leur âme et conscience, que leur cause était on ne peut plus juste et légitime. Alors ont commencé de véritables crimes contre l'humanité, voire des génocides contre notre peuple, dont l'unique tort était de vouloir recouvrer sa dignité d'homme et la souveraineté du pays. Nombre d'intellectuels français et étrangers ont pris position en faveur de l'Algérie en guerre : Albert Camus, l'universitaire Maurice Audin, Frantz Fanon, qui a été expulsé d'Algérie par le gouverneur Lacoste. Jean-Paul Sartre, le Voltaire français du XXe siècle, comme le nommait le Général De Gaulle, dénonçait, dans la Revue des Temps modernes, la torture et revendique le droit des peuples de décider de leur sort. En 1962, par un 5 juillet, la colonisation de l'Algérie a pris officiellement fin. Notre pays est devenu indépendant réellement et effectivement.

La première République algérienne

Après 132 ans d'une domination française implacable, une guerre meurtrière de près de huit (8) années et un tribut «chairement» payé avec un million et demi de martyrs de ses meilleurs enfants, l'Algérie accède finalement à son indépendance tant rêvée et,... par moment, sans trop d'espoir, suite aux Accords d'Evian dirigés par le FLN. Celui-ci deviendra le Parti unique (autant dire le Parti-Etat) jusqu'en 1989, date à laquelle le système socialiste fut aboli, à l'instar de tous les pays d'obédience socialiste, et ce suite à un large mouvement de protestation populaire qui laisse encore beaucoup de zones d'ombre. En 1991, ce mouvement a abouti à une guerre fratricide entre Algériens que les Algériens ne comprennent pas, même ses élites intellectuelles. Le pays a traversé une décennie des plus meurtrières depuis son accès à l'Indépendance : près de 200.000 morts en raison de l'injustice qui continue à prévaloir. La notion du 5 juillet 1962, pensait-on, allait sonner le glas à l'idée des Algé-Riens pour qu'ils soient des Algé-Rois, chez eux, sans habiter forcément tous Alger. C'est-à-dire que le bonheur, pensait-on encore naïvement, allait être équitablement partagé entre tous les citoyens. Que seul le mérite devait primer. Que l'honneur allait être à la «méritocratie». Déception. Même à l'ère de l'Indépendance, il y a encore des Algé-Rois, parfois sans aucun mérite. D'où l'actuelle «médiocratie» qui ne manque de rien ou presque (argent, pouvoir, prestige, considération, honneur, bonheur?) et des Algé-Riens qui n'ont rien ou presque, si ce n'est quelques embarcations de fortune pour les harraga, plus précaires que leur avenir et, somme toute, quelques prières pour tenter de débarquer illégalement sur les grèves de quelques pays de cocagne.

 Malgré cela, ne fermons pas les issues à quelques rais de soleil qui pourraient chauffer quelques cœurs encore plongés dans quelque désespoir. La Miséricorde divine est large, celle des hommes (au pouvoir) est étroite. Cependant, dans quelque temps, il y aura un autre temps qui changera de temps (et de ton, aussi) tant les cœurs sont remplis de fiel. Si le pouvoir le décide, ce fiel pourrait se transformer en? miel. L'Algérie sera alors un bon morceau de sucre arrosé de bon miel que tous les Algériens apprécieront. Alors, le 5 juillet aura un sens. Mais malgré tout et après tout?

* Docteur ès Lettres Maître de Conférences à l'Université de Chlef