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Le coût du Maghreb désuni

par Akram Belkaid, Paris

L’intégration économique régionale est-elle le préalable au décollage du Maghreb central ? C’est l’un des thèmes abordés lors d’une journée d’étude organisée par l’Institut français des relations internationales (IFRI) (*). Cette question est en effet incontournable dès lors qu’il s’agit de réfléchir à l’avenir d’une région dont les pays semblent rivaliser en ingéniosité pour s’ignorer les uns les autres, au mépris de peuples qui continuent d’appeler de leurs vœux à la création d’un Maghreb uni. C’est peut-être paradoxal ou mystérieux mais, malgré le temps qui passe, l’idéal maghrébin survit encore.
 
Des bénéfices évidents
 
 On connaît les bénéfices qui seraient induits par une plus grande intégration maghrébine. Nombre d’économistes estiment ainsi que la croissance moyenne de la région augmenterait de un à quatre points, ce qui aurait un effet immédiat en matière de réduction du chômage. Surtout, cette croissance serait moins dépendante des aléas conjoncturels, tels que la chute des prix du pétrole ou les mauvaises récoltes agricoles. En ouvrant leurs marchés respectifs, en encourageant les échanges commerciaux entre eux, en autorisant la libre circulation des personnes et la mobilité professionnelle d’un pays à l’autre, les pays du Maghreb doperaient leurs économies et gagneraient encore plus de crédits vis-à-vis des investisseurs internationaux. Le Maghreb pourrait prétendre alors au label de «zone émergente», après avoir donné, des décennies durant, l’impression qu’il refusait cette émergence.

 Il faut entendre ce que disent les experts. Pour l’économiste algérien El-Mouhoub Mouhoud, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine, «le coût de la non-intégration Sud-Sud est plus élevé que celui de la non-intégration Nord-Sud ». En clair, il faut cesser de se lamenter sur le fait que l’Europe ne déploie pas suffisamment d’efforts, notamment financiers, pour aider le Maghreb à se développer, contrairement à ceux qu’elle a consentis pour ses nouveaux membres de l’Est. C’est donc aux pays maghrébins de se prendre en charge et de faire le pari de l’union. Et c’est peu dire que le chantier est énorme.

A l’exception de la coopération énergétique et sécuritaire, la construction maghrébine n’est à ce jour qu’un vœu pieux.

 Un seul chiffre permet de résumer la situation : les échanges entre les pays maghrébins correspondent à peine à 2% du total de leurs échanges commerciaux (5% entre les pays du Golfe !). Il n’existe pas d’autre région dans le monde avec un tel niveau dérisoire de flux commerciaux entre pays voisins. Rivaux, souvent divisés, le Brésil et l’Argentine arrivent toutefois à dépasser leurs désaccords pour commercer entre eux. Comment expliquer alors que l’Algérie et le Maroc, pour ne citer que ces deux pays, en soient incapables ?
 
A qui la faute ? Aux élites aussi !
 
 Si le Maghreb uni ne se construit pas, la faute en incombe aux dirigeants politiques des trois pays. C’est ce que l’on entend le plus souvent et cette affirmation est évidemment loin d’être fausse. Mais elle est incomplète. Si l’union maghrébine, ne serait-ce que sur le plan économique, demeure une chimère, c’est aussi parce que les élites des trois pays pensent y trouver leur compte. Nationalisme étriqué, petits calculs d’épiciers, xénophobie : les pouvoirs politiques ne sont pas les seuls à être coupables de non-assistance à région en stagnation. Il serait temps que les élites, à commencer par les chefs d’entreprises, comprennent que le Maghreb uni ne se construira pas tout seul et qu’il est urgent pour eux d’en faire une revendication politique permanente et sans ambiguïtés.

(*) Le Maghreb dans l’économie mondiale :

défis et opportunités, 14 juin 2010.