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Kerviel jugé, le système épargné

par Akram Belkaid, Paris

l y a déjà quelques livres dont le sien. Il y en aura d’autres, sûrement. Il y aura même des films et, peut-être, des pièces de théâtre. Vingt-huit mois après avoir défrayé la chronique de ce qu’il convient d’appeler, désormais, les faits divers financiers, l’ancien trader Jérôme Kerviel sera devant ses juges, durant deux semaines. On se souvient de l’affaire. En janvier 2008, on apprenait avec stupeur que ce jeune homme avait fait perdre près de 5 milliards d’euros (500 milliards de dinars !) à la Société Générale après des opérations spéculatives risquées sur le marché. A l’époque, la « SG » avait eu recours à une défense classique en clamant qu’il s’agissait d’un acte isolé. Le décryptage de ce scandale et l’analyse de la crise qui agite encore la planète incitent, toutefois, à penser le contraire.

L’impossible acte isolé

 On a du mal à croire qu’un trader, aussi retors soit-il, puisse engager de tels paris sans que personne dans sa hiérarchie ne soit au courant. Certes, il est possible que Kerviel n’ait jamais reçu le moindre feu vert officiel mais dans les salles de marché, le silence des managers vaut pour approbation. C’est l’un des grands enseignements de cette affaire. Derrière les systèmes de contrôle et les procédures, il y a surtout des règles implicites. Il y a d’abord celle du « pas vu, pas pris » et c’est ce que Kerviel a longtemps appliqué puisque ses pratiques remontaient au moins à l’été 2007, voire avant. Ensuite, il y a celle du « vous pouvez franchir les lignes rouges mais à deux conditions : celle de ne pas se faire attraper et, surtout celle de faire gagner de l’argent à la banque». Laquelle banque saura se montrer généreuse en matière de bonus. Bien entendu, cette seconde règle est contestée par la Société Générale. Reconnaître son existence, c’est, en effet, admettre une complicité et donc, sa culpabilité.

 En réalité, personne ne croit à l’acte isolé et, en ce sens, le procès de Jérôme Kerviel ne devrait pas être celui d’un seul homme mais bien celui d’un système, tout entier, tourné vers la prise de risque pour toujours plus de profits. Un système comparable à un gigantesque casino qui a fait dérailler l’économie mondiale et dont les dégâts se font ressentir, aujourd’hui encore. Et ce système n’est pas uniquement constitué par les banques et leurs salles de marchés. Pour agir comme il l’a fait, le trader français n’a pas eu uniquement besoin de l’approbation, même tacite, de ses chefs. Il a aussi profité du laxisme des régulateurs et de leur incapacité à contrôler le marché de manière efficace.

La responsabilité des politiques

 Et qui d’autre que les dirigeants politiques ont provoqué l’affaiblissement de ces régulateurs ? Qui d’autre qu’eux ont laissé faire durant toutes ces années de dérégulation de la sphère financière. Incompétence ? Sûrement. Idéologie ? C’est certain. Intérêt matériel ? C’est fort possible. On pourrait penser que l’affaire Kerviel mais aussi les pratiques douteuses de Goldman Sachs sans oublier l’affaire Madoff, agiraient comme un aiguillon auprès des gouvernements afin qu’ils se rendent compte de l’urgence de reprendre les marchés en main. Cela n’a pas été le cas et à l’heure même où Jérôme Kerviel est jugé, d’autres traders sont en train de prendre les mêmes risques que lui sinon plus grands. Loin d’être calmée, la spéculation sur les marchés financiers a repris de plus belle. En attendant qu’éclate une nouvelle affaire de trader fou…