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A quand le tour du dollar ?

par Akram BelkaId, Paris

Ces dernières semaines, la monnaie unique européenne a droit à toutes les attentions puisqu’elle provoque des frayeurs permanentes. Sur fond de marchés déboussolés, pas un seul jour ne passe sans qu’un économiste de renom ne donne son pronostic sur la possibilité de voir la zone euro disparaître ou du moins perdre un ou plusieurs de ses membres. Et ce ne sont pas les dirigeants du Vieux Continent qui contribueraient à calmer le jeu avec leurs déclarations alarmistes. Des cris d’orfraie dont on est en droit de se demander quel objectif caché ils servent si ce n’est peut-être de préparer des politiques encore plus marquées par l’austérité… Toute cette agitation a fait passer au second plan les autres vedettes de l’actualité économique, notamment celles qui défrayaient la chronique il y a quelques semaines à peine. Qui parle aujourd’hui de la valeur du yuan ? Qui s’attarde sur les cours fluctuant du pétrole et, plus encore, du gaz naturel ? Surtout, qui parle du dollar américain ?

On a oublié le dollar

Résumons la situation : depuis trois mois, l’euro est attaqué par les marchés qui se demandent si l’endettement des pays membres de l’Union économique et monétaire européenne (UEM) ne va pas être tôt ou tard à l’origine d’une cessation de paiement. Pourtant, jusque-là, la zone euro semblait bien plus solvable que les Etats-Unis, très fortement endettés notamment vis-à-vis de la Chine et des pays du Golfe. Dans un monde normal, c’est le dollar qui aurait dû être sous le feu des spéculateurs qui opèrent sur le marché des changes. La problématique est d’ailleurs toujours la même : que se passera-t-il, si d’aventure Pékin décide de ne plus acheter des Bons du Trésor américain ? Où donc le gouvernement fédéral trouvera-t-il les 2 milliards de dollars dont il a besoin quotidiennement pour couvrir son déficit budgétaire ?
De fait, on est en droit de se demander pourquoi c’est l’euro qui est menacé et pas le billet vert. On objectera que tout cela est de la faute de la Grèce et de ses manipulations comptables. C’est vrai mais il ne faut pas se limiter à cette seule explication. En effet, il faut bien comprendre que si l’euro a été attaqué c’est parce que les spéculateurs se sont demandés si, après la Grèce, d’autres pays – les fameux PIGS – n’allaient pas être confrontés aux mêmes difficultés budgétaires. C’est ainsi que fonctionnent les marchés : ils cherchent toujours à anticiper, voire à provoquer, le coup d’après. Et la question est simple : pourquoi ne s’attaquent-ils pas dès maintenant au dollar puisque si l’euro flanche, les banques américaines, et donc l’économie des Etats-Unis et le dollar, seront tout autant pénalisés ?

La retenue des marchés

La réponse à cette question n’est pas évidente. Certes, les agences de notation sont, qu’on le veuille ou non, sous influence américaine et jusqu’à présent elles se sont bien gardées d’évoquer la moindre révision de la note souveraine des Etats-Unis (la dégradation d’une note est un événement qui, en règle générale, provoque l’hystérie des marchés). Mais l’explication la plus rationnelle est que malgré les critiques dont on les accable, les spéculateurs savent qu’il y a une limite à ne pas franchir. Pour eux, le fait d’ébranler la zone euro ne constitue pas une prise de risque énorme (ce qui est peut-être une erreur stratégique grave). Par contre, ils considèrent que s’attaquer au dollar, c’est chercher à enfoncer la dernière ligne de défense de la planète financière et prendre le risque de déclencher une crise encore plus grave que celle de l’automne 2008. Bref, ce serait une «mère de toutes les crises» dommageable pour tous. Cela ne rassure pas pour autant Barack Obama qui suit de près l’évolution de la zone euro car il craint que, tôt ou tard, la tentation soit trop grande pour les marchés de chercher à faire de l’argent en pariant sur un effondrement du billet vert.