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Le yuan, toujours et encore

par Akram Belkaid, Paris

Voici donc le sujet de la valeur du yuan de nouveau sur la table. Alors que l’on pensait que les Etats-Unis avaient décidé de calmer le jeu, en différant notamment un rapport du Trésor qui risquait de mettre en accusation la Chine, pour manipulation de sa monnaie, les attaques reprennent de plus belle, à propos de la devise chinoise. On connaît la polémique: pour nombre de politiciens américains, qu’ils soient démocrates ou républicains, le renminbi - autre appellation du yuan - est artificiellement sous-évalué par rapport au dollar ce qui expliquerait l’excédent commercial que la Chine enregistre avec les Etats-Unis (10 milliards de dollars pour le seul mois de mars 2010).

Un problème plus large

 Quoique prétende Washington, l’accusation est teintée de mauvaise foi. Certes, une monnaie faible permet d’exporter plus mais dans le cas chinois ce n’est pas le seul facteur de compétitivité pour doper les ventes à l’étranger. Il y a aussi le faible coût de la main-d’œuvre sans oublier un droit du travail peu contraignant qui permet des cadences bien plus importantes que ce qui existe aux Etats-Unis et en Europe. Il est d’ailleurs intéressant de noter que l’absence de libertés syndicales en Chine – le principal syndicat local est plus destiné à briser les grèves qu’à les fomenter – ne passionne pas autant le Congrès que les questions monétaires…

 Mais le problème des Etats-Unis est bien plus large que la question de la devise chinoise. De fait, c’est avec la majorité de ses partenaires commerciaux que ce pays enregistre un déficit commercial (380,7 milliards de dollars en 2009 contre 695,6 milliards en 2008). L’économie américaine est, en effet, peu exportatrice. En 2008, ses ventes à l’étranger avaient atteint un record de 12,6% du produit intérieur brut (PIB). En 2009, ce taux a difficilement dépassé les 10% et, dans cette affaire, le yuan, ne peut tout expliquer à lui seul. En réalité, c’est toute l’évolution de l’économie américaine qui devrait être repensée avec pour objectif la nécessité de redynamiser un secteur industriel qui ne cesse de perdre des emplois depuis vingt ans. Cela signifierait une relocalisation d’usines mais aussi un zeste de protectionnisme pour défendre cette production et lui permettre de s’écouler sur le marché intérieur américain, voire d’être exportée.

 Le cas du Japon pourrait servir d’exemple. Comme les Etats-Unis, ce pays enregistre un déficit commercial avec la Chine (13 milliards de dollars en 2009). Mais il y a un élément qui tempère ce déséquilibre. Pour le Japon, la Chine est, en effet, le premier débouché commercial. Nombre de délocalisations japonaises en Chine ont concerné les activités d’assemblage exigeant une forte main-d’œuvre, tandis que dans le même temps, le Japon arrive à placer ses biens d’équipements et ses produits semi-finis sur le marché chinois. En somme, il s’agit d’un contrat «win - win», pour reprendre une expression très en vogue, où le plus important n’est pas de savoir qui est excédentaire et qui est déficitaire mais plutôt de faire en sorte qu’il existe des flux commerciaux d’importance entre les deux pays (voilà un principe à méditer qui éviterait nombre de bisbilles au Maghreb…).

La discrétion européenne

 Comme le Japon, l’Union européenne (UE) enregistre un déficit commercial avec la Chine (29,3 milliards de dollars pour le premier trimestre 2010). Et comme le Japon, l’Europe n’aborde guère le sujet de la valeur du yuan, si ce n’est de temps à autre, lorsqu’il s’agit de donner quelques gages de bonne camaraderie aux Etats-Unis. Pourtant, on pourrait comprendre que l’Europe donne, elle aussi, de la voix sur cette question monétaire puisque l’euro est bien plus fort que le dollar vis-à-vis du yuan et que le déficit commercial de l’UE par rapport à la Chine est celui qui s’est le plus creusé au cours des dernières années. Pour autant, les dirigeants européens ont une vision plus multilatérale. Dans l’ensemble, l’UE, tout comme le Japon d’ailleurs, enregistre un excédent commercial dans ses échanges avec le reste du monde. C’est cela qui permet de relativiser le déséquilibre avec la Chine. Une hauteur de vue que les Etats-Unis, déficitaires chroniques, ne peuvent se permettre.