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Corruption discrète en Afrique

par Akram Belkaid, Paris

Il y a moins d’un mois, la Banque mondiale avait publié un remarquable rapport à propos d’un phénomène de corruption dont souffre l’Afrique et qui handicape son développement (*). Il s’agit de ce que l’institution internationale appelle la «corruption discrète», par opposition à celle, plus connue et bien plus médiatisée, qui consiste à payer des pots-de-vin pour obtenir des contrats ou à monnayer ses services en tant que haut décideur politique, administratif ou économique.

Absentéisme, dilettantisme et détournements

 Comment définir la «corruption discrète» ? Pour la Banque mondiale, il s’agit de l’ensemble des abus des prestataires de première ligne et, selon elle, ces abus seraient l’une des principales raisons du retard de l’Afrique. Cette corruption particulière aurait trois causes. La première est l’absentéisme. Enseignants, médecins, représentants de l’Etat, fonctionnaires et même employés du secteur privé : leur faible assiduité sur leur lieu de travail coûte des millions de dollars, pour ne pas dire des milliards à l’Afrique.
 La seconde raison est liée à tous les prestataires qui se dérobent à leur responsabilité, qu’il s’agisse d’un simple dilettantisme - en Algérie, on dirait du «j’men-foutisme» - ou bien de stratégies destinées à valoriser un quelconque pouvoir de décision. C’est le cas du petit fonctionnaire qui monnaye un coup de tampon contre une «tchippa», mais aussi le responsable qui, par paresse, classe des dossiers pourtant urgents dans un tiroir…
 La dernière forme de corruption discrète est plus connue. C’est la déperdition de production ou de produits essentiels. Il s’agit de situations où ce que l’on appelle habituellement la freinte - terme qui signifie la perte «normale» de production, comme par exemple l’évaporation dans un bidon d’huile d’olive - est trop exagérée.
 Pour reprendre une image familière car ayant été immortalisée en son temps par feu le président Boumediène, c’est lorsque les ouvriers abusent du miel qu’ils sont censés mettre en pot. Autre exemple, celui de la «taxe de transport», c’est-à-dire la tchippa que les forces de l’ordre encaissent sur les axes routiers et que les agents économiques intègrent quand ils fixent leur prix de vente. En Afrique de l’Ouest, cela se traduit au final par un surcoût, pour le consommateur final, de 20 à 27%.
 Autre chiffre qui en dit long sur les dégâts de la corruption discrète en Afrique : dans le domaine de l’électricité, du téléphone et de l’eau, elle serait à l’origine de pertes évaluées à 5,7 milliards de dollars, soit l’équivalent de 1% du Produit intérieur brut (PIB) du continent.
 Tous ces abus monétaires et comportementaux sont, bien entendu, liés, entre autre, à la faible rémunération de ceux qui pratiquent et imposent cette corruption discrète. Cela signifie que la rémunération adéquate des fonctionnaires, mais aussi la régularité dans le versement des salaires sont des conditions nécessaires pour le développement économique. Dans certains pays, les gouvernements qui tolèrent par exemple que policiers et gendarmes taxent les camions - tolérance due au fait que ces gouvernements sont incapables d’augmenter ces fonctionnaires - devraient réaliser qu’au final, cette solution n’est qu’un pis-aller qui pénalise l’économie.

L’Algérie : un cas d’étude ?

 L’étude de la Banque mondiale ne concerne que l’Afrique sub-saharienne. Il serait certainement intéressant d’étendre le concept de corruption discrète au cas algérien. A ce sujet, il fut un temps où l’on faisait des gorges chaudes sur les célèbres 26 milliards de dollars qui auraient été détournés dans les années 1970 et 1980. Pour autant, existe-t-il un chiffrage, même approximatif, de ce que la corruption discrète coûte au quotidien à l’économie algérienne ? On ne peut être sûr que d’une seule chose : un tel chiffre frapperait les imaginations tout autant que ces fameux 26 milliards de dollars.

(*) Silencieuse et fatale, la corruption discrète entrave les efforts de développement de l’Afrique. Exposé fondé sur les indicateurs de développement en Afrique, Banque mondiale, 2010.