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L’Allemagne ne veut plus payer

par Akram Belkaid, Paris

 «L’Allemagne paiera !» La célère formule de George Clémenceau après la fin de la Première Guerre mondiale a longtemps résonné en Europe. A l’époque, elle était destinée à signifier aux vaincus que c’était à eux de payer les dommages de guerre dans les pays qu’ils avaient envahis. Par la suite, et après la Seconde Guerre mondiale, elle laissait entendre que l’Allemagne, de par l’Histoire récente, et sanglante, du Vieux Continent, se devait d’accepter de faire passer ses propres intérêts au second plan pour, en quelque sorte, se faire pardonner.

Merkel dans les pas de Schröder

 Mais les temps ont changé. S’inscrivant dans la continuité de son prédécesseur Gerhard Schröder, Angela Merkel, confrontée à des tensions permanentes au sein de sa coalition, vient de montrer qu’elle a bien l’intention de défendre les intérêts de son pays à voix haute de manière totalement décomplexée. Alors que certains des partenaires européens de l’Allemagne lui reprochent son trop grand excédent commercial et l’incitent à encourager la consommation intérieure (ce qui leur permettrait de vendre plus sur le marché allemand), la chancelière a monté le ton et défendu âprement le modèle exportateur germanique. «Nous n’allons pas abandonner nos atouts au prétexte que nos produits sont peut-être plus demandés que ceux d’autres pays», a-t-elle ainsi déclaré face aux députés du Bundestag.
 Quelques jours auparavant, sans crainte du ridicule, la ministre française de l’Economie Christine Lagarde avait reproché à l’Allemagne, c’était dans les colonnes du Financial Times, de ne rien faire pour doper la consommation interne par le biais notamment d’une baisse d’impôts. Réponse cinglante de Merkel : «Un gouvernement économique européen doit s’aligner sur les Etats membres les plus rapides et les meilleurs, pas sur les plus faibles.» Autrement dit, ce n’est pas parce que la France a du mal à faire redémarrer sa machine commerciale que l’Allemagne doit cesser d’être le second exportateur mondial derrière la Chine. C’est un peu comme si les mauvais élèves d’une classe demandaient au meilleur d’entre eux de moins bien travailler…
 Le cavalier seul de l’Allemagne avait déjà été mis en exergue dans une chronique précédente (*). Depuis plus d’une décennie, ce pays a su exploiter l’ouverture de l’Union européenne vers l’Est pour transformer son industrie en une plate-forme combinant savoir-faire, assemblage, importations à partir de pays à faibles coûts de main-d’œuvre et réexportation vers les pays émergents mais aussi vers ses voisins (et concurrents). Relevons au passage qu’il ne tenait qu’à la France, et de façon plus générale à l’Italie et à l’Espagne, de copier ce schéma en prenant appui sur le sud de la Méditerranée au lieu de continuer à ne voir dans cette région qu’un simple débouché commercial.

La Grèce, victime collatérale

 La fermeté allemande s’exprime aussi à l’égard de la Grèce, Berlin ne souhaitant pas «récompenser» les dérapages budgétaires grecs. «Un geste de solidarité précipité n’est pas la bonne réponse. Il faut plutôt prendre le problème à la racine», a indiqué Angela Merkel. Cela signifie qu’Athènes ne pourra pas échapper à plus d’austérité et que l’Allemagne a bien l’intention d’utiliser le cas grec pour modifier les règles du jeu dans la zone euro avec la perspective d’une modification du Traité de l’Union européenne pour permettre d’en exclure les mauvais élèves. C’est bien la première fois que l’Allemagne esquisse une telle intention avec tant de fermeté. Cela confirme que ce pays n’a plus l’intention de payer pour les autres.