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Urtne hydre appelée banques d’affaires

par Akram Belkaid, Paris

 Le beurre, l’argent du beurre et la dot de la crémière… Cette formule très souvent employée reste la meilleure pour résumer le comportement de Goldman Sachs vis-à-vis de la Grèce. Résumons l’affaire. Au début des années 2000, la Grèce, qui a finalement été admise dans la zone euro, a un besoin urgent de diminuer son déficit public pour être en règle avec les critères du Traité de Maastricht. L’un d’eux stipule en effet que le déficit public ne doit pas dépasser l’équivalent de 3% du Produit intérieur brut (PIB). Comme Athènes n’a, à ce moment là, aucune chance d’augmenter ses recettes, c’est vers l’ingénierie financière sophistiquée que son gouvernement va se tourner.

Un swap et tout est réglé

 C’est ainsi que la banque d’affaires américaine Goldman Sachs va concevoir un produit financier basé, pour simplifier, sur un échange (ou swap) de devises dont la Banque centrale grecque a la propriété. L’astuce a pour avantage de diminuer de manière comptable la valeur du déficit grec. L’affaire aurait pu en rester là d’autant que le procédé employé par Goldman Sachs semble avoir été utilisé par d’autres pays membres de la zone euro. De plus, il n’enfreignait visiblement aucune loi européenne si ce n’est le fait que sans lui, la Grèce aurait certainement subi les foudres de la Commission européenne pour déficit excessif.
 Mais là où l’affaire se corse, c’est qu’il semble que Goldman Sachs a par la suite gagné de l’argent en pariant, pour son compte et celui de ses clients, sur un éventuel défaut de paiement de la Grèce. En somme, et pour résumer : Goldman Sachs a aidé la Grèce à maquiller ses comptes puis a parié sur le fait que, tôt ou tard, ce maquillage ne serait plus efficace et que la Grèce se retrouverait confrontée aux difficultés budgétaires qu’elle a évité en 2001. Cela explique pourquoi la Réserve fédérale américaine (Fed) a décidé d’ouvrir une enquête sur les pratiques de la banque d’affaires en Grèce. On comprendra aussi pourquoi Phil Angelides, président de la commission américaine d’enquête sur la crise financière (financial crisis inquiry commission) s’est dit très préoccupé par un procédé «qui consiste à créer un produit financier pour le compte d’un client puis de parier contre ce même produit.»
 Cette affaire grecque braque donc de nouveau les projecteurs sur les pratiques pas toujours orthodoxes des banques d’affaires car, en l’occurrence, Goldman Sachs n’est certainement pas le seul établissement à faire montre d’une telle ambivalence. On se souvient par exemple du comportement de cette industrie lors de la bulle internet. Des analystes vedettes de ces maisons conseillaient des titres à l’achat lors d’introductions en Bourse – introductions menées par ces mêmes maisons – tout en sachant pertinemment que les sociétés qui entraient en Bourse ne valaient pas grand-chose. Ces pratiques plus que douteuses ont finalement été connues du grand public. Il y a eu quelques sanctions, des codes de bonne conduite ont été édictés et tout le monde feint de croire qu’il n’y a plus de dérives.
 
L’impossible régulation

 L’affaire grecque démontre pourtant que les pratiques des banques d’affaires mériteraient un peu plus de régulation et de surveillance. Car c’est en leur sein que se conçoivent les techniques financières et les produits toujours plus sophistiqués qui déconnectent chaque jour un peu plus la finance de l’économie réelle. Ces banques sont comme le lait sur le feu : elles doivent absolument être surveillées et rendre des comptes sur leurs activités et leurs innovations. Mais cela semble peu probable tant ces établissements constituent un lobby puissant. Qui oserait s’attaquer sérieusement à Goldman Sachs quand on sait que nombre de ses cadres sont aujourd’hui présents dans maints gouvernements à commencer par l’administration américaine ?