Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Un Pacte de stabilité extérieure pour l'Europe

par Sebastian Dullien * & Daniela Schwarzer *

La crise économique actuelle a mis au jour deux grandes faiblesses de l'Union monétaire européenne, inhérentes à sa conception. La première a trait à la viabilité à long terme des finances publiques d'une série d'Etats membres de la zone euro. La seconde, à la mauvaise coordination de la politique macroéconomique, source de rivalités internationales entre ces membres et danger pour l'existence même de l'euro.

Des pays, dont les finances publiques semblaient encore fondamentalement saines l'an dernier, sont en butte à de sérieuses difficultés budgétaires. L'Irlande s'attend à ce que sa dette augmente de presque 80% de son PIB d'ici 2010, alors qu'il y a un an à peine, la Commission européenne prévoyait pour ce pays une augmentation de moins de 30%. Et l'Espagne est susceptible, par rapport à 2007, de multiplier son ratio dette/PIB par deux d'ici 2010, jusqu'à dépasser 60%, alors que ce pays était censé voir décroître son coefficient d'endettement.

 Les mécanismes de surveillance fiscale de l'Union européenne n'ont pas permis de prévoir cette évolution, parce qu'ils n'intègrent pas une variable essentielle: celle de la dynamique de l'endettement du secteur privé. Avec ce que coûte une crise bancaire sur le plan économique, les gouvernements ont tendance, quand survient une crise, à absorber les dettes du secteur financier, comme l'ont fait récemment le Royaume-Uni et l'Irlande, et, au cours des crises financières des années quatre-dix, l'Amérique latine et l'Asie. Il en va probablement de même quand les secteurs-clés du privé sont au bord de la faillite. Un pays dont les finances publiques sont saines peut ainsi tomber dans la débâcle du jour au lendemain.

 Etant donné le resserrement des liens financiers et économiques entre membres de la zone euro, il suffit qu'un seul des pays de l'UEM connaisse un accroissement de sa dette publique pour que tous les membres en subissent le contrecoup, aucun n'autorisant de défaillance de la part des autres. Par conséquent, comme la responsabilité de la dette du secteur privé des pays partenaires incombe indirectement aux membres de l'UEM, celle-ci devrait également être placée sous le contrôle de l'Union monétaire européenne.

 Autre problème perceptible, l'absence d'une coordination effective des politiques économiques, du moins jusqu'à maintenant. Avant la crise déjà, la concurrence et le cycle des affaires étaient sujets à conflits. La constant déclin de la compétitivité au cours la dernière décennie est l'une des raisons pour lesquelles la crise a si durement frappé certains pays du sud de l'Europe, tels que l'Espagne et l'Italie.

 Le défaut de contrôle de la politique fiscale et le manque de convergence économique inquiètent de plus en plus la Banque centrale européenne, ainsi que les ministres des finances de la zone euro. Aucune initiative pour affronter ces problèmes n'a été envisagée jusqu'ici, mais ces questions vont certainement faire l'objet de débats au sein de l'UEM.

 Pour combattre les problèmes liés à la dette publique et améliorer la coordination des politiques économiques, il suffirait d'élargir les critères existants: un ?Pacte de stabilité extérieure? pourrait être institué pour accompagner les régulations de l'UEM. Ce pacte contrôlerait les déséquilibres des balances courantes et pénaliserait les déficits excessifs ou les excédents des balances extérieures.

 Ce contrôle des balances extérieures serait un instrument de mesure efficace des futurs risques de défaillance, étant donné que la persévérance des déficits de la balance courante conduit à l'augmentation de la dette extérieure nette. En outre, il y a un lien direct entre la dynamique de l'endettement du secteur privé des pays de l'UEM et les déséquilibres de leurs balances courantes dans la zone euro. Tant qu'un gouvernement national s'en tient à un déficit raisonnable, le déficit de la balance courante reflète ce que le secteur privé emprunte à l'étranger (ou la vente d'actifs étrangers préalablement amassés). Si la balance courante est évaluée avec la position fiscale, il devient possible de tirer des conclusions sur les tendances du risque d'endettement dans le secteur privé.

 Mathématiquement, la dynamique de l'endettement démontre qu'aucun pays de la zone euro ne peut se permettre le déséquilibre de sa balance courante, qu'il s'agisse d'un déficit ou d'un excédent, au-delà du seuil de 3% du PIB. Des exceptions pourraient être accordées à des pays qui ont de gros afflux d'investissements directs dans de nouvelles infrastructures. Cette règle devrait s'appliquer à la fois aux pays endettés et aux pays créditeurs. Après tout, il faut être deux pour créer un déséquilibre de paiement, et les pays en déficit ne devraient pas être les seuls à porter le poids de l'ajustement. Un tel pacte obligerait les gouvernements à recourir à des mesures fiscales et salariales, ainsi qu'à une politique économique globale pour équilibrer leur balance extérieure. Cela assurerait une meilleure coordination des politiques économiques, surtout pour ce qui concerne le plafonnement des salaires, parce que les gouvernements seraient forcés d'utiliser la législation nationale et les accords salariaux du secteur public pour influencer la politique salariale de manière à réduire les disparités entre les pays de la zone euro.

 De plus, un Pacte de stabilité extérieure obligerait les gouvernements à prendre en compte les conséquences de leurs réformes économiques nationales sur les autres Etats membres. Si un ?pays excédentaire? comme l'Allemagne voulait baisser les coûts salariaux indirects et augmenter la taxe sur la valeur ajoutée, de façon à stimuler sa compétitivité, il lui faudrait simultanément adopter une politique fiscale généreuse, pour en compenser les effets négatifs sur ses partenaires commerciaux.

 Dans le cadre de ces règles, les pays pris individuellement garderaient la possibilité de concevoir leurs propres mesures. En Espagne, par exemple, le gouvernement aurait pu répondre au boom immobilier et au déficit commercial par des augmentations d'impôts ou des restrictions salariales. Sinon, il aurait pu intervenir en régulant la planification ou en limitant les prêts hypothécaires.

 Un Pacte de stabilité extérieure n'aurait pas seulement pour rôle de donner l'alerte sur les risques menaçant la stabilité fiscale; il donnerait également corps à un principe fondamental de la législation de l'Union européenne, à savoir que les Etats membres considèrent enfin la politique économique comme un ?intérêt commun.?

Traduit de l'anglais par Michelle Flamand

* Sebastien Dullien est professeur d'économie internationale à l'université des sciences appliquées (FHTW) de Berlin.  * Daniela Schwarzer est chercheur spécialiste de l'intégration européenne à la Sriftung Wissenschaft und Politik (SWP)