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De l'identité et l'Histoire : réflexions sur l'individu et sa culture, pour «le vivre ensemble»

par Ghawthy Hadj Eddine Sari Ali

2ème partie

Quant aux enseignements coraniques des valeurs et des prescriptions morales et pratiques, de la umma, l'on peut mettre en exergue ceux concernant l'individu - elfard, sa famille - usra, son milieu social - qurbà wa djàr wa çàhib, les structures étatiques - ùlù el amri, le point de vue concernant les «aïeux», qui furent, eux aussi, socialisés, dans des umma, révolues - tilka ummatun qad khalet:

 o A l'échelle individuelle : l'être humain est un individu - fard doué d'une conscience et vision interne ? baçyra (L/21-25 ; LI/21?), son ego - nefs et ses «angoisses stériles - chàni' abtar et weswàs» (L/16 ; CVIII/3?) le mettent en conflit avec sa raison -?aql ; cet «isolement individuel» est craint par les hommes de foi (XXI/89). Il s'agit de la crainte de cet état «d'individu - fard» qu'il retrouve à «l'examen de ses actes, dont il est responsable» (XCI/7-10 ; XVIII/29 ; LXXXIV/37?), à l'instant de son passage de la vie terrestre vers l'au-delà, présentant le livre de ses actes terrestres, dont témoigneront ses propres sens (XXXI/28 ; III/30; XVII/14 ; XXXVI/65 ; XXIV/46. ; XLI/21.). C'est pour cette raison qu'il est prescrit par les Maîtres en spiritualité islamique l'exercice - ryàdha journalier d'une muhàsabat ennefs - examen de conscience, «bi-l-adzkâr-(de dzikr, évocation de Dieu), par la prière (çalàt) - le meilleur de tous -, qui éloigne le péché et le mal (XXIX/45)», écrit Ibn Khaldùn dans sa Muqaddima (Introduction» (Muqaddima) au «Discours sur l'Histoire universelle» traduite par le professeur Vincent Monteil, page 884 Tome II/Ed. Sindbad - 1978).

 o La vie terrestre, pour l'être humain, est en premier lieu celle que lui prodiguera sa famille - usra : les deux géniteurs - el wàlideyn, les frères et sœurs - ùlù el erhàm, les liens consanguins et alliances par mariages - nassab wa çihr ; les orphelins - yatàmà, les enfants adoptifs - ad?iyà, sont pris en charge, affectueusement et scrupuleusement, ils sont «frères en la religion» (XXV/54 ; XXXIII/4-6... ). Rompre ces liens familiaux mène à la destruction de la société (XIII/25)?

 o La société dans laquelle évoluera l'individu est aussi codifiée. Il est un verset coranique connu comme «verset des dix ayants droit sociaux»-àyat el huqùq el ?ashr (El djàmi? li ehkèm el qor'àn d'El Qortoby-pages 178 à 193, Tome V/ Edition Dàr Ihyà etturàth el ?araby - Beyrouth 1985) : 10 droits 1) - des pères, 2) - mères, 3) ? famille - elqurbà, 4) - les orphelins, 5) - les pauvres et indigents - masàkyn, 6) - les voisins apparentés - djàr dzil qurbà,7) - les voisins étrangers - djàr el djunubi, 8) les collègues ou les compagnons de voyage - çàhib bil djenbi, 9) - les voyageurs de passage ou les quémandeurs - ibn essabyl, 10) - ceux qui sont à votre service ou qui dépendent de votre autorité - mà malakata eymànukum (IV/36). Celui qui manque au respect, aux droits et devoirs, envers ces personnes désignées, en les humiliant par arrogance - mukhtàl dzù el khuyalà' el kibr, ou par outrecuidance - fukhr, c'est comme s'il associait à Dieu autre chose - shirk billàh, une idolâtrie d'eux-mêmes, précisent hadyths et exégètes (référencés par El Qortoby, déjà cité). Les points 6 et 7 sont très largement explicités, relevant l'importance du «voisinage» dans notre culture. Selon un hadyth, que cite El Qortoby, le voisinage correspond à 40 maisons voisines, dans chaque direction, de sa propre maison?c'est-à-dire tous les concitoyens. Un autre hadyth rapporte que le Prophète accordait tellement d'importance aux voisins, fussent-ils non musulmans, que ses compagnons ont craint qu'il en fit des héritiers au même titre que la famille? Un de nos adages populaire ne dit-il pas : djàrek el qryb kheyr min khùk el ghryb (elli fy elghurba)?  

Un autre verset, le verset 60 de la sourate IX, tout aussi important pour la «socialisation» des individus, peut être désigné par «verset des huit solidarités sociales». Il concerne la solidarité par l'aide - el mà?ùn (CVII/7 définissant la religion - dyne) et l'aumône légale ou charité véridique - çadaqa (de çidq, çadq - vérité, droit ferme), où l'intention - nya est primordiale. C'est un concept islamique important, différent de «aumône et charité». On peut l'illustrer par un exemple : faire un don ou apporter une aide à un indigent par suite à une «émotion» personnelle, ou faire «preuve de générosité» au regard des gens (CVII/6-ryà'-ostentation, qui est un shirk, enseigne le Prophète?) n'est pas çadaqa ; la çadaqa c'est choisir par «principe» et respect des règles morales de le faire, sans considération de ses propres intérêts, sans «juger de ce qu'en ferait l'indigent quémandeur - essà'yl» (si je le fais il va en profiter pour ceci ou cela?car «est-ce à moi d'assister celui que Dieu aurait nourri, s'Il l'avait voulu» ) (CVII/7 ; XXXVI/47). Les huit catégories concernées par la çadaqa faryda - aumône-assistance légale, sont 1) - les pauvres démunis - fuqarà, 2) - les nécessiteux - masakyn, 3) - les bénévoles assurant la distribution des dons - el ?àmilyna ?aleyhà, 4) - aux sympathisants sincères, «les cœurs conciliables» - elmu'allafàt qulùbuhum, 5) - les asservis (pour les libérer de leurs servitudes) - fy erriqàb, 6) - les sinistrés sociaux (débiteurs insolvables de bonne foi ou/et sinistrés victimes de tremblement de terre, incendies, inondations?) - el ghàrimyn, 7) - ceux qui se dirigent vers le chemin de Dieu, agissant pour Lui - fy sabyli ALLAH (ce qui est, d'ailleurs, la «formule» qu'utilisent les mendiants?).

 8) - les voyageurs en difficulté - ibn essabyl (litt. ceux qu'apporte le chemin?). Par référence à ce verset, il fut créé des institutions islamiques, des fondations pour intervenir et soulager la misère humaine, les hubùs et waqf. Les revenus de l'Etat ? bayt el màl, furent, dès le VIIème siècle (Constitution de la Cité-Etat Médine), mis aux services de ces fondations (cf. M. Hamidullah : La vie du Prophète, plusieurs éditions). Notons les deux sortes de zakàt - purification de l'être humain et de ses biens, par la çadaqa, que donne Ibn Mundhzùr dans le Lisàn el ?Arab : zakàt el màl - aumône légale matérielle, zakàt el djàh - aumône chevaleresque (murù'a) ; le Prophète membre de l' «Ordre de chevalerie» Arabe ou «hilf el fudhùl» qui proclamait ?Défendre les faibles, tous comme une seule main avec l'opprimé contre l'oppresseur? pour une égalité parfaite de la situation économique? (cf M. Hamidullah/chapitre hilf el fudhùl). Le Prophète enseigne «la çadaqa éteint les fautes, comme l'eau éteint les flammes?la çadaqa prolonge la vie sur terre, préserve des atteintes du mal agir, (par elle) Dieu ôte (de l'être humain) orgueil - kibr et vanité-vantardise-fakhr?la çalàt peut modifier le sort de l'être humain» (hadyths du chapitre Eççadaqàt - page 175-177 du recueil d'El Mundzry - Etterghyb wetterhyb/Ed. Dàr Ibn El Heythem-2001).

 Les règles morales et pratiques du vivre ensemble, en société, ainsi définies, peuvent être résumées par un hadyth et les versets 6à 12 de la sourate XLIX, dont l'intitulé «El hudjuràt» peut être traduit par «les catégories», au sens rationnel du terme (allusion au ?aql, verset4). Le hadyth résume ces règles en prescrivant que «l'homme de foi est celui dont personne n'a à craindre, ni la langue ni les mains?»; les versets prescrivent : pas de perversion et propagation de fausses nouvelles-fusùq, réconcilier les ennemis -çulh, ne pas se moquer des gens-sukhr, pas de calomnie-lammàz, ne pas donner des surnoms injurieux-elqàb, pas de préjugé-edhzen-ithm, pas d'espionage-tadjessous, pas de médisance-el ghybat (parler en mal d'un absent, selon les exégèses, dont celle d'El Qortoby, qui cite de nombreux hadyths dénonçant ce «mal agir envers autrui», commentant aussi le verset 148/ IV?)

 o La législation sur les droits, les devoirs des individus citoyens et les limites des «autorités» gérant un Etat, fut élaborée dans la Cité-Etat Médine, à partir des données coraniques précitées et de deux versets connus par «ayàtu el'Umarà»: IV/ 58-59, les versets des dirigeants (selon El Mawardi : Les Statuts Gouvernementaux, et Djalàlu Eddyne Essùyùty : Tefsyr el Djalaleyn, commentant ces deux versets). Il serait trop long de développer, ici, les «droits et devoirs» des autorités étatiques, la Constitution de notre pays est explicite. Par sa référence à l'Islam, cela impliquerait la référence à la Constitution de Médine, aux principes définis, entre autres, par les ayàt el Umàrà, stipulant de s'en remettre aux autorités compétentes (ceux qui, par sciences et connaissances sont aptes à extraire des textes les décisions en cas de litige- istinbàtIV/83). Ceci enjoindrait chaque individu - citoyen à connaître la Constitution et éviter de «se perdre» en les conjectures égocentriques - hawàh ( comme l'enseigne l'Emir ?Abdelqàdir, dans ses Mawàqif-numérotés 133,175, 236, rappelant les versets 148/VI, 71/XXIII, 135/IV;29/XXX;26/XXXVIII?)

 o Enfin, concernant les généalogies, références aux «générations révolues», les enseignements coraniques peuvent être «résumés» par des versets récurrents, signifiant, en substance: nul n'est en charge de ce que furent les générations passées, elles eurent leurs «lots», par leurs acquits, à chacun d'assumer ses propres acquits; un peuple - qawm, n'est altéré que par ses propres déviances; c'est l'acquêt des mains des êtres humains qui suscite les dégâts sur terre et mer, allez en voir les vestiges laissés par vos devanciers?(II/141;X/ 39-44;XI/116 ). «Il n'est pire homme que celui qui se glorifie d'une généalogie, ou qui s'en attribue? point de différence entre un Arabe et un non Arabe? je suis telle une brique qui manquait à un édifice érigé par mes frères Messagers? je suis venu parfaire les règles de la morale», tel est, entre autres enseignements du Prophète de l'Islam, la base du «vivre ensemble en société» (Hadyths que l'on trouvera dans les recueils authentiques, tel le çahyh d'Ibn Hibbàn). Tout comme dans les enseignements de la Torah et l'Evangile, le Coran prescrit, plus explicite, à l'être humain, la reconnaissance et protection des parents, de la fratrie et enfants, avec équité, amour et éthique -ihsàn (XVI/90;XVII/23-24;XXXIII/6;XLVI/15, mention intéressante pour les quadragénaires?)

 Dans la Bible des judéo-chrétiens, il est enseigné : «La Loi a été donnée par Moïse, la Vérité et la Grâce par Jésus Christ»( selon Jean I/15-17), les religions étant ce que les hommes en font, ces sagesses n'ont guère été suivies, pas plus que celles du Rappel qu'est le Coran, ou celles de Confucius, Bouddha et tous les humanistes, en toutes les langues. Cela relèverait de l'exaltation de l'ego - nefs? L'Histoire illustre cela.

La zelzela- délitescence qui a modifié la conscience de l'individu en notre époque, est l'avènement du nationalisme ethnique. Le nationalisme promu par les colonialistes européens, est en fait un «mode de gouvernance» qui, historiquement, fut l'essentiel de la gestion des empires coloniaux grecs et romains : diviser pour mieux régner. Le principe en est simple: exalter l'égo des individus en leur inculquant «qu'ils appartiennent à une ethnie», unité de langue et de croyances. Chaque individu n'avait, alors, aucun effort personnel à faire pour «mériter» son appartenance, il lui a suffi de naître dans cette ethnie, pour «jouir» des avantages octroyés par la Puissance dominante. Pour dominer leurs colonisés, les Grecs et les Romains «désignaient des ethnarques» des lointaines provinces, selon, un mode toujours le même, «choisir parmi les individus des peuples colonisés, les opportunistes de ces peuples, humiliant les véritables notables» (Cf. Coran XXVII/32-34). Ainsi c'est «l'ethnarque de Judée», Hérode, prévaricateur pervers et concupiscent, ayant à son service le religieux «souverain sacrificateur» Caïphe, autorité imposée au peuple, condamna et fit exécuter des «perturbateurs de la Pax Romana», véritables autorités spirituelles du peuple, Seyidunà Yahyà- Jean le Baptiste et, illusoirement, Seyidunà ?Aïssa- Jésus (Coran IV/157-159; Evangile de JeanXVIII/14-40 et XIX/1-17)?

 Ce processus se retrouve dans la gouvernance des colonies françaises, avec le code de l'indigénat et la désignation d'ethnarques, les «caïds», «agha» et «bachagha». Même la Révolution bolchevique a utilisé cette «technique de gouvernance», d'une manière plus idéologique, promotion de «l'Internationale» avec, cependant, une «assemblée des ethnies» dans le Soviet. Les nationalismes Indou et Arabe furent, à l'origine, l'arme redoutable des colonisateurs européens, pour détruire et asservir les royaumes et états musulmans. Plus proche de notre époque, les partitions criminelles de la Palestine et de la Yougoslavie, avec le concept cynique de «purification ethnique», désormais la religion est ethnie (voire race, selon Hitler), procède de la même démarche «politique» : exalter l'ego par l'appartenance à une «nation - ethnie», transformant les individus en «rentiers de l'histoire».

 Ce succès viendrait, peut-être, d'un réflexe archaïque animal, enfoui dans le «paléo - cervelet» humain ou vermis médian: le biotope. Si les animaux prédateurs limitent leurs territoires par leurs excréments, l'argile des frontières territoriales humaines est pétrie du sang des martyres des guerres, à qui seront voués des cultes mémoriels?

A suivre