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La Grèce et l’orthodoxie monétaire des Européens

par Akram Belkaid, Paris

Pourquoi les Européens ne volent-ils pas au secours de la Grèce ? Ou, pour être plus précis, pourquoi se font-ils prier, au risque d’abandonner ce pays aux mains du Fonds monétaire international (FMI) ou, plus humiliant encore pour le Vieux Continent, à la générosité de la Chine ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser depuis plusieurs semaines ; depuis que les gouvernements européens, l’allemand en tête, semblent vouloir imposer des conditions draconiennes à Athènes en échange d’une aide a minima alors que la tempête financière souffle et que les marchés et les spéculateurs sont déchaînés ?

L’orthodoxie monétaire avant tout

 Pour avoir une réponse, il faut lire le point de vue publié par Otmar Issing dans le Financial Times (*). L’ancien membre influent du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) et actuel président du Centre d’études financières y développe un raisonnement édifiant en matière d’orthodoxie monétaire et de «pensée BCE». Que dit-il exactement ? Pour lui, une aide financière en provenance d’autres pays membres de la zone euro et à destination de la Grèce «violerait les Traités européens et fragiliserait les fondations de l’Union monétaire européenne (UME)». Des Traités et des règles qui ne souffriraient d’aucune exception, toute aide allouée à la Grèce créant un précédent et une brèche dans laquelle s’engouffreraient d’autres pays en difficulté financière.
 Et de rappeler les «deux piliers» de la zone euro. La «stabilité de l’euro» garantie par l’indépendance de la BCE et la discipline fiscale au sein de la zone. Deux piliers qui ne font pas de l’UME un Etat, ou une fédération d’Etats mais, selon Issing, «un arrangement institutionnel.» Et c’est bien là où réside la faiblesse de la zone euro, ou plutôt, son péché originel. En effet, comme le reconnaît Issing, la création de l’euro a eu lieu alors même qu’il n’existait pas d’Union politique entre les membres de l’UME. Et c’est cette absence de lien politique qui fait que la Grèce ne peut-être aidée. «Par sa construction, l’Union monétaire est une communauté où il ne doit pas y avoir de transferts financiers entre ses membres» insiste Otmar Issing.
 Pour lui encore, transférer de l’argent d’un pays (comme l’Allemagne), dont les contribuables ont accepté depuis des années une ferme discipline budgétaire voire une austérité, vers un pays (comme la Grèce) qui n’a pas respecté les règles de l’Union monétaire, créerait de l’hostilité contre les institutions communautaires et ralentirait l’intégration européenne. «La crise à laquelle la Grèce est confrontée n’est pas le résultat d’un choc extérieur mais de mauvaises politiques (budgétaires) suivies depuis des années. Aider financièrement la Grèce créerait un aléa moral sans précédent», ajoute l’ancien banquier central qui n’hésite donc pas à critiquer les gouvernements grecs successifs qui, au lieu de respecter les engagements liés à l’admission de leur pays dans le «club euro», auraient dépensé sans compter et gaspillé de précieuses ressources financières.

Vers une implosion ?

Voilà donc l’explication de la réserve des Européens à l’égard de la Grèce. Une réserve qui fait que ce pays pourrait être forcé de se retirer de lui-même de la zone euro, y compris de manière temporaire (ce qui lui permettrait de recevoir une aide financière européenne). Athènes pourrait ainsi renouer avec les dévaluations compétitives (pour relancer son économie et diminuer ses déficits) mais sa dette négociable et sa monnaie demeureraient des cibles idéales pour les spéculateurs. Appartenir à la zone euro n’aide peut-être pas beaucoup en cas de grave crise mais en temps normal cela offre tout de même de sérieux avantages. Et cela aurait effectivement dû obliger la Grèce à faire preuve de plus de sérieux en matière de dépenses publiques. Mais, dans le même temps, cela n’excuse pas non plus l’intransigeance de ses partenaires européens qui tôt ou tard devront poser les jalons d’une union politique.