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Une autre façon de voir la finance de demain

par Kadda Bahiri*

Tout d'abord, je tiens à clarifier un point d'ordre et méthodologique qui a trait à cet article. Ce dernier a été pensé et écrit loin des clichés contextuels. C'est-à-dire sans prendre en considération les données économiques et financières qui concernent l'économie financière en Algérie.

Certes, notre pays a été doté d'une bourse dans le cadre de l'instruction N°28/95 du 22 avril 1995. Cependant, notre marché financier n'est que dans le stade de balbutiement par comparaison à d'autres marchés financiers que ce soit dans les pays arabes ou occidentaux. Nous sommes loin d'obtenir la palme d'or, puisqu'il reste beaucoup à faire dans ce sens. Loin de la réalité économique qui peut heurter la sensibilité des âmes sensibles, nous allons, si le lecteur permet, traiter de la finance comportementale, une autre forme de traiter la finance d'aujourd'hui et demain.

Ces crises qui hantent la race humaine

Cette contribution traite de l'idée selon laquelle l'efficience du marché est un facteur de premier choix dans l'orientation des investisseurs financiers alors qu'en réalité ces derniers sont gouvernés par d'autres considérations psychologiques. Pour comprendre l'importance de la finance comportementale à l'égard de l'économie financière, il convient de revenir au contexte de la crise financière 2008 et à celles qui l'ont précédé puisque la crise des subprimes n'est ni la première ni la dernière de l'histoire du capitalisme auquel les crises sont inhérentes. Il convient de rappeler que, les agents économiques se sont familiarisés avec les différentes crises auxquelles avaient affaires depuis la crise des tulipes du 17ème siècle en passant par celles du 19ème et 20ème siècle pour arriver à la crise des crédits hypothécaires et la liste reste toujours ouverte tant que les intervenants financiers et économiques en particulier et tous les individus en général n'ont pas encore plier leurs comportements en fonction des valeurs morales qui prêchent la sincérité et l'honnêteté et qui refoulent la cupidité et l'immoralité. En fait, c'est surtout la non maîtrise des outils ayant trait aux marchés des dérivés notamment aux USA qui a constitué l'une des principales causes de la crise financière actuelle puisqu'un chiffre évalué à 2 000 Milliards de Dollars a disparu dans la nature. D'ailleurs, le chiffre exact n'est pas encore confirmé par les institutions compétentes, plus de 2.5 millions d'américains étaient contraints de quitter leur logement pour défaut de règlement. A ces chiffres s'ajoutent des milliers de salariés licenciés et des entreprises étaient obligées de mettre la clé sous le paillasson.

 Quoi qu'il en soit, le chiffre exact des dégâts causés par la crise des crédits hypothécaires n'a pas encore révélé tous ses secrets puisque les suppositions hypothétiques priment sur les vérités économiques ! Pour certains experts économistes étrangers notamment, les dégâts financiers dépassent toute imagination. Mais dans tout cela, ce sont les fondements de la théorie financière moderne qui sont remis en cause non seulement par les antagonistes de la finance des marchés mais aussi et pis encore par des partisans de la théorie financière eux-mêmes. N'est ce pas un signe des temps modernes ?

Le bon signe dans tout cela, c'est que la théorie financière et notamment l'économie financière est devenue capable de faire sa propre mea culpa, elle a fait sa propre introspection et in fine à s'autocorriger sans complexes ni remords.         C'est l'une des rares sciences capables de se développer et de s'évoluer dans un environnement hostile et en pleine mutation. La science économie reste et restera pour toujours une science fidèle à ses principes tout en fascinant les uns et faisant peur aux autres non seulement par ses ramifications mais aussi par ses maîtres à penser. Le grand Keynes qui a bouleversé la pensée économique durant le 20ème siècle, avait avoir pris conscience de l'importance de l'économie pour l'intérêt général, dira-t-il : la science économie est une science modeste mais rare en est qui émerge !

Cette contribution n'a pas l'intention de jeter titre gratuit des fleurs au profit d'une théorie tant prisée par la finance des marchés, mais c'est uniquement dans le dessein de lever un voile tant soit peu sur la finance comportementale.

La théorie des marchés efficients (Efficient Market Hypothesis (EMH))

Vaut mieux commencer par le début. Pour comprendre l'objectif de la finance comportementale, il est préférable et judicieux de revenir en arrière et pourquoi pas remonter le temps pour trouver les failles et les entorses de la théorie des marchés efficients (EMH) puisque ce sont ses errements qui vont servir de base pour la finance comportementale.        On peut dire que la finance comportementale est née sur les cendres de la théorie des marchés efficients. L'EMH suppose que les actifs financiers digèrent instantanément toute l'information pertinente et disponible. C'est-à-dire qu'à n'importe quel moment les acteurs financiers peuvent demander et avoir les informations nécessaires devant servir de base pour prendre des décisions portant sur l'achat ou la vente des titres négociables dans la bourse. C'est vraisemblement à ce grand chercheur, Eugène Fama, que le monde de la finance doit cette théorie au début des années soixante dix. En effet, conformément à la définition de Fama, l'efficience signifie que les prix révèlent parfaitement toute l'information disponible. Toujours, selon Fama, il est fort possible de distinguer trois formes d'efficiences en fonction des informations considérées :

l Lorsque la portée de l'information est représentée par les cours antérieurs, l'efficience des marchés financiers est faible voire négligeable. Autrement dit, la mémoire de l'entreprise devient un réceptacle de premier choix, puisque va service à quelque chose dans la collecte des informations pertinente dans la prise de décision,

l Lorsque les informations portant sur titres financiers sont rendues public et partagées par les différents acteurs financiers, l'efficience des marchés est semi-forte. Mais c'est loin d'être vrai. Certains opérateurs utilisent l'information pour leur propre intérêt ou à celui de leurs protégés. Le délit d'initié est devenu monnaie courante,

l Dans le troisième cas de figure, l'efficience est forte lorsqu'on considère l'ensemble des informations existantes y compris celles non rendues publiques détenue par les initiés de la finance. Nous sommes dans le monde utopique de T. Moore.

 Conformément à ces trois formes d'efficience, le monde de la finance est loin de réaliser vœux pieux qui concerne à partager et à interpréter les données financières entre les différents utilisateurs qui sont les associés, les actionnaires, les banquiers, les cadres de l'entreprises, le personnel et les créanciers.           Autrement dit les parties prenantes de l'entreprise dans le cadre d'une gouvernance par stakeholders car il y a des enjeux dont l'importance dépasse toute imagination et par surcroît il est impossible de satisfaire le besoin de tous les acteurs concernés. C'est justement dans ce sens la l'idée de l'asymétrie informationnelle de Stiglitz trouve son terrain de prédilection. Cette idée répond à ce comportement ambivalent. Quand on scrute le comportement de l'investisseur financier, la première remarque qui frappe nos yeux est celle de gourmandise pour le profit et le gain facile et son aversion pour le risque. D'ailleurs, c'est ce comportement qui fait de lui un spéculateur prédateur. Cette manière de pensée ne reflète pas le comportement de l'ensemble des acteurs du marché financier. Cependant, certains de ces acteurs ont développé un certain mimitisme informationnelle en imitant les acteurs les mieux informés des rouages du marché et les plus qualifiés à l'égard de la formation des prix des actions.

La finance comportementale, pour quand ?

Ce qui nous intéresse davantage dans ce contexte c'est de démonter que le marché n'est et ne sera jamais efficient à cause des enjeux qui départagent les intervenants dans le marché mais le plus intéressant et d'ailleurs ce qui attirer l'attention d'un autre chercheur dans ce domaine, Robert J. Shiller, c'est cette exubérance irrationnelle, selon cet éminent chercheur, c'est cette imprévisibilité de la psychologie humaine. Ces facteurs, écrit-il, «ont des conséquences importantes pour l'économie, il faut en tenir compte pour évaluer la réussite des plans de relance» C'est-à-dire, les investisseurs sont loin d'être rationnels puisqu'ils sont gouvernés par des facteurs psychologiques qui leur édictent ce qu'ils doivent faire ou ne pas faire et par conséquent commettent-ils des erreurs. C'est dans ordre d'idée, que la finance comportementale trouve un terrain en friche, un terrain non encore exploiter et qui ne demande que d'être mise en évidence pour une nouvelle édification financière dont l'aboutissement est sur et certain mais non sans difficultés. Loin des prescriptions des génies de la finance des marchés, loin des motivations de H. Markowitz et de Fama. La finance comportementale c'est l'incarnation et la consécration des valeurs morales qui justifient le comportement des acteurs de la vie financière et économique par la mise en œuvre à priori d'un système fiable qui doit guider la vie de ces intervenants et à posteriori par la mise en place d'un système de contrôle qui doit tenir en compte le comportement de ces mêmes acteurs. Ce verrouillage systémique permet de contrôler à court et à long terme le comportement infime soit-il des intervenants dans le marché financier.

En guise de conclusion, il convient de souligner l'importance de cette nouvelle branche de l'économie financière dans la vie du marché financier. En Algérie, même si nous n'avons pas encore un véritable marché financier au sens le plus étroit du terme, il importe de profiter des expériences des autres marchés pour bâtir de nouveau un modèle d'assimilation. pourquoi pas ? Une chose est sûre : ça ne sera pas pour demain.

* Professeur d'économie à l'IDRH/Oran.