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L'approche par compétences : mauvaise réponse à un vrai problème

par Oukaci Lounis

Suite et fin

Pas de vérité, pas de réalité...

Dans l'approche par compétences, l'usage que l'on fait de la connaissance a plus d'importance que la connaissance elle-même. Pour Letor et Vandenberghe, «les connaissances sont en perpétuelle remise en question et (...) leur complexité est telle que leur usage pertinent est à privilégier à leur possession» [Letor et Vandenbergh 2003] (31). De nouveau, si une telle conception peut être admise dans un contexte de production, elle est inacceptable dans un contexte d'apprentissage. Renoncer à maîtriser la complexité, au nom de l'efficacité, voilà typiquement une démarche productiviste qui se situe à l'opposé d'une démarche d'accès à la connaissance et d'accès à la compréhension du monde. L'idée de «connaissances en perpétuelle remise en question» mérite également qu'on s'y arrête. Car la «remise en question» peut signifier deux choses : soit un dépassement des théories anciennes, soit leur négation.

 Dans le premier cas, on ne comprend pas bien la thèse des auteurs. Car si, par exemple, les théories d'Einstein dépassent assurément celles de Newton et de Maxwell, il est en revanche illusoire d'espérer maîtriser la Relativité si l'on n'a pas d'abord fait l'effort d'assimiler pleinement les théories «remises en question» que sont la mécanique classique et l'électromagnétisme maxwellien. En revanche si par «remise en question» on comprend que les anciens savoirs sont carrément niés par les nouveaux, alors on sous-entend que la science n'est pas un progrès constant, tendant à rapprocher nos conceptions d'une représentation aussi fidèle que possible de la réalité, mais simplement une succession de «vérités relatives», de «discours», qui changent au rythme des mouvements d'opinions et des évolutions culturelles.

 En d'autres mots, on se situe sur la position du constructivisme radical, celle de l'épistémologie relativiste. L'aboutissement logique de cette position-là se trouve chez des auteurs comme Ernst Von Glaserfeld : «Le constructivisme radical est un effort pour développer une théorie de la connaissance qui ne soit pas rendue illusoire dès le point de départ par l'assomption traditionnelle que l'activité cognitive devrait conduire à une représentation «vraie» d'un monde qui existe en soi et par lui-même indépendamment de l'agent qui le connaît» [Von Glaserfeld, cité par Baillargeon 2006] (32).

 Considérer qu'il n'y a pas de monde «qui existe en soi», c'est ressasser le vieux solipsisme de l'évêque Berkeley (1685-1753) : rien n'existe en dehors de la conscience que j'ai de cette existence. Pour inattaquable qu'elle soit sur le plan formel, cette fumisterie s'écroule dès qu'on la confronte au moindre acte pratique quotidien. Le philosophe idéaliste le plus acharné cesse instantanément de douter que «le monde existe en soi» lorsque ce monde prend la forme d'une automobile fonçant dans sa direction : il fait comme tout le monde, il se range sagement, admettant ainsi tout à la fois l'existence objective de l'automobile en question et la vérité des lois physiques qui décrivent les collisions de deux corps.

 L'idée qu'il n'y aurait «pas de vérité», que «toutes les thèses se valent» et expriment simplement des opinions différentes, est une idée très souvent diffusée par les défenseurs de l'approche par compétences, car elle est implicite dans leur mépris des connaissances. Dans la relation qu'ils font d'une expérience pédagogique, deux chercheurs proches de l'école des compétences écrivent : «à partir d'un document présentant un débat sur le chômage entre plusieurs approches économiques par exemple, il serait alors possible d' (amener les élèves à) accepter l'idée qu'il n'y a pas de vérité, ni de remèdes absolus (et) que les personnes ne s'opposent pas pour des raisons personnelles mais parce qu'elles se réfèrent à des grilles de lecture fondées sur des hypothèses différentes. Ainsi, nous pourrions dire aux élèves qu'ils ne doivent pas chercher qui a raison mais comprendre et analyser les arguments du débat, se construire une explication sur la question, et développer un esprit critique» [Grabsi et Moussaoui 1998](33).  

Tout le constructivisme radical est là : «il n'y a pas de vérité» sur le chômage, ceux qui en attribuent la cause aux chômeurs eux-mêmes, à l'enseignement, aux patrons, au progrès technologique, à la croissance chinoise, à la crise du système capitaliste ou à l'un ou l'autre mélange subtil d'interactions entre ces différents facteurs ont tous également raison. Ce sont simplement des «grilles de lecture fondées sur des hypothèses différentes». A fortiori, il n'y a donc pas de «remède absolu» (affirmation que partageront certainement les organisations patronales qui craignent comme la peste qu'on le trouve, ce remède absolu). Quant à «l'esprit critique» que l'on nous propose ici, il consiste, fort courageusement, à ne pas choisir son camp mais à renvoyer tout le monde dos à dos.

 Nous voyons donc que, si l'approche par compétences ne peut en aucune manière revendiquer de filiation avec le constructivisme pédagogique, elle présente en revanche, des liens étroits avec le constructivisme philosophique. Seulement voilà : entre ces deux acceptations du mot «constructivisme», il y a autant de distance qu'entre les deux significations du mot matérialisme : le matérialisme philosophique (seul existe le monde matériel) et le matérialisme moral (seul m'intéresse mon bien-être matériel). L'affirmation que l'approche par compétences serait une pédagogie constructiviste est à peu près aussi fondée que celle qui qualifierait tous les athées d'indécrottables jouisseurs égoïstes !

 Heureusement, tous les défenseurs de l'approche par compétences ne sont pas sur les positions les plus radicales. Chez beaucoup d'auteurs on perçoit une extrême confusion et un attachement, sans doute sincère, à la pédagogie constructiviste. Ainsi, pour les Belges, il s'agit de favoriser une «approche qui introduit les contenus d'apprentissage à partir de questionnements issus de la vie réelle». On ne s'opposera évidemment pas à ce principe qui donne sens aux apprentissages, pour autant que les «questionnements issus de la vie réelle» ne soient pas compris de façon excessivement restrictive. Le conseil de l'éducation insiste souvent sur cet aspect de l'approche par compétences «pour rendre l'enseignement plus attrayant». Le souci est parfaitement louable, mais faut-il pour autant avaler tout le poison des compétences ? La soumission aux diktats de la flexibilité, la polarisation de l'école à l'image du marché du travail, le dénigrement des savoirs... Nous croyons aussi à la sincérité de ce collectif de chercheurs belges pour lesquels «en entrant dans cette voie pédagogique [de l'approche par compétences], l'école répond à la nécessité de donner du sens aux apprentissages, à la constatation que l'élève n'est pas un contenant que l'enseignant a pour mission de remplir mais une personne qui construit ses connaissances, en fonction de ce qu'il est (...). En adoptant une pédagogie par construction de savoirs et acquisition de compétences, l'école a l'espoir de réduire le volume des ?savoirs morts? au profit des ?savoirs vivants?.» [Deneyer et al. 2004] (34).

 Nous pourrions souscrire à toute la première partie de ce discours. Mais à la fin on se perd en contradictions. On parle d'adopter «une pédagogie par construction de savoirs et acquisition de compétences» mais ailleurs on nous dit que dans l'approche par compétences les savoirs ne doivent plus constituer des objectifs d'apprentissage. Nous sommes aussi très critiques par rapport aux expressions «savoirs morts» et «savoirs vivants». Car ici, les seuls savoirs reconnus comme «vivants» sont ceux que l'élève utilise effectivement, maintenant, pour réaliser une tâche. Or, comme le temps scolaire limite forcément le volume des tâches originales, innovantes, mobilisatrices... que les élèves peuvent accomplir, on nous prépare ainsi un terrible appauvrissement de l'enseignement.

Une pédagogie dogmatique et bureaucratique

Loin de favoriser l'innovation pédagogique, l'approche par compétences enferme les professeurs dans un travail routinier, bureaucratique extrêmement normatif. Ceci découle d'une vision étriquée et dogmatique des rapports professeurs- élèves. La pédagogie constructiviste et l'approche par compétences ont en effet un rapport tout à fait différent à l'activité des élèves en classe. Pour les constructivistes, cette activité de l'élève sur des «situations-problèmes» est l'une des manières, mais pas du tout la seule, de donner du sens et de faire participer l'élève à la construction de savoirs. Qui plus est, la pédagogie constructiviste n'affirme pas que tous les savoirs puissent être reconstruits par ou avec l'élève; elle n'exclut absolument pas la transmission directe de savoirs et la méthode «frontale» lorsque celle-ci s'avère nécessaire.

 Au contraire, dans l'approche par compétences, il n'y a pas à construire ni à transmettre de savoirs. Il n'y a qu'à développer des compétences. Et puisque le concept même de compétence est particulièrement fumeux, il est donc impossible de «transmettre» une compétence, de l'enseigner; tout ce qu'on peut faire, c'est s'exercer à la résolution de tâches et appeler le résultat «compétence». Aussi, l'activité de l'élève sur des problèmes devient-elle le passage obligé de toute séquence de travail en classe. Le rôle essentiel de l'enseignant est alors de «se creuser la tête pour créer des situations-problèmes à la fois mobilisatrices et orientées vers des apprentissages spécifiques» [CDP, cité par Boutin 2000] (35). Ce fétichisme de l'activité des élèves conduit inexorablement à ce que Denis Lemaître et Maude Hatano appellent «une approche normative des pratiques» [Lemaître & Hatano 2007] (36). Ainsi, le programme de l'Option de base «sciences appliquées» dans l'enseignement secondaire catholique impose-t-il de commencer chaque cours par «des tâches ou des activités proposées aux élèves» (remarquez que l'on impose la méthode aux professeurs, mais que ceux-ci la «proposent» aux élèves...). Qui plus est «toutes les tâches» doivent être «présentées» de la même manière. Dans un «pavé-titre», le professeur devra d'abord mentionner le titre de la tâche, la discipline, le «thème», la «macro-compétence» exercée et la «famille de tâches» correspondante. Ensuite, il doit énoncer «les visées de la tâche» : les «objets d'apprentissage» (savoirs et savoir-faire dont on ne sait pas trop quand et où ils auront été appris...), ainsi que «le questionnement» auquel la résolution de la tâche permettra de répondre. Enfin la «situation proposée à l'élève» doit impérativement se décomposer en quatre volets: «le contexte», «la production attendue», «les contraintes» et «les consignes». C'est à une véritable volonté de taylorisation du métier d'enseignant que l'on assiste. Si d'aventure un professeur parvenait à comprendre et à mettre en application rigoureusement les directives ci-dessus - ce qui heureusement est humainement impossible -, il plongerait ses élèves dans un ennui incommensurable.

 Année après année, jour après jour, heure après heure, ceux-ci auraient à subir systématiquement la même structure de cours, la même routine désolante. «La réforme en cours est marquée au coin du paradoxe : d'un côté, elle tient un discours qui professe l'ouverture, de l'autre, elle prescrit tout un arsenal de compétences (...) dans un système d'éducation dont la rigidité est à peine dissimulée» [Boutin 2000] (37).

 Le mouvement de la pédagogie nouvelle, issu des expériences de Célestin Freinet et des travaux théoriques du socio-constructivisme, se situe à l'opposé de ces tentatives de normalisation. «Nous ne sommes pas des fanatiques d'une méthode, disait Freinet. (...) Nous sommes avant tout des praticiens qui travaillons sans idée préconçue contre telle technique, telle ou telle méthode. Nous décortiquons tout verbalisme, nous luttons au maximum contre la scolastique : nous tâchons de redonner à l'effort des enfants ses composantes et ses buts naturels et humains; nous nous plaçons hardiment en face des problèmes essentiels de l'intérêt, de l'expression de l'acquisition, de la formation et de l'effort» [Freinet 1972] (38). Et puisque nous en sommes à citer le vieux maître de l'Ecole nouvelle française, signalons aussi que celui-ci s'est toujours élevé contre les interprétations libertaires ou non-directives de sa pédagogie. Aujourd'hui, certains imaginent en effet qu'au nom de «l'activité autonome des élèves» et au nom du principe consistant à «placer l'élève au centre», il faudrait laisser ceux-ci livrés à eux-mêmes, gérer leur classe en toute liberté. Freinet : «A l'extrême gauche du mouvement pédagogique, les partisans d'une théorie anarchiste de l'éducation ont cru à la possibilité de parvenir, par notre technique, à l'école de leurs rêves, dans laquelle les élèves, dégagés de toute oppression, négligeant tout acquis antérieur, composant et imprimant eux-mêmes leurs livres sans contrôle adulte, réaliseraient la véritable éducation libre et personnelle (...). Nous tenons cette tendance comme contraire aux nécessités actuelles de la pédagogie populaire. Si nous avons condamné l'isolement dans lequel fonctionne l'école, ce n'est pas pour chercher maintenant une organisation chimérique, davantage encore abstraite du monde et de la civilisation» [Freinet 1972]. Souvent, le discours des compétences tente de camoufler son vide conceptuel derrière un langage pseudo-scientifique parfaitement absurde.

En voici un exemple, d'autant plus comique qu'il provient d'une brochure dite «de clarification» qui était destinée à rendre l'approche par compétences plus intelligible aux enseignants. Accrochez-vous : «Il s'agit pour l'élève de reconnaître les situations par rapport auxquelles ces savoirs et ces démarches sont pertinents. Des paramètres comme la familiarité, l'évidence, la quantité et la qualité facilitent ou compliquent cette reconnaissance. En fait, chaque nouveau contexte suppose un nouvel apprentissage. Une compétence est acquise lorsque le transfert est possible, c'est-à-dire lorsque l'élève a acquis l'aptitude à mobiliser la dimension cognitive dans différents contextes, différentes situations. Les savoirs et les savoir-faire ne doivent pas être mobilisés dans un seul contenu-matière mais dans plusieurs, aux situations d'apprentissage dans lesquelles il est impliqué» [Hazette 2001]. Ce jargon contribue évidemment à rendre les programmes d'étude totalement illisibles et incompréhensibles. Ce qui conduit les enseignants (et les directions) à tenter de se mettre formellement en règle avec les instructions en passant des heures de travail à «couler» leurs préparations de cours dans le moule des directives, à stresser sur une future visite de l'inspection, à multiplier les «grilles d'évaluation par compétences transversales», etc.

 Tout ce travail inutile se fait, bien évidemment, au détriment de la recherche d'efficacité didactique et au détriment du temps consacré aux élèves. L'approche par compétences, qui devait transformer nos écoles en ruches bourdonnantes d'activité pédagogique, les a, au contraire, enfermées dans un ronronnement bureaucratique et stérile.

Conclusion

Comme le soulignent Gérald Boutin et Louis Julien, «le mixte de socio constructivisme, de psychologie cognitive et de béhaviorisme qui sous-tend leur discours [des défenseurs de l'approche par compétences] devient de plus en plus déconcertant et générateur de malentendus» [Boutin et Julien 2000]. Cela semble aussi être l'avis de Marcel Crahay auquel nous laisserons le mot de la fin : «Au nom du constructivisme piagétien, il importe de démonter la nouvelle doxa des compétences méta disciplinaires (...) Le statut scientifique du concept de compétences est incertain. Les emprunts opérés par différents auteurs aux diverses théories psychologiques pour le légitimer ne sont pas pleinement convaincants. Nous lui reconnaissons un seul mérite : celui d'avoir remis au-devant de la scène pédagogique la problématique de la mobilisation des ressources cognitives en situation de résolution de problèmes. Vrai problème auquel le concept de compétence apporte, selon nous, une mauvaise réponse» [Crahay 2006] .

Des programmes qui divisent : L'approche par compétence,facteur d'inégalité

Si les programmes issus de la réforme par compétences sont caractérisés par leur lourdeur bureaucratique en matière de procédures et de méthodologie, en revanche il faut reconnaître qu'ils sont d'une légèreté extrême pour ce qui est de la précision des contenus cognitifs. Ceci ouvre la porte à des interprétations extrêmement divergentes et constitue ainsi un facteur générateur d'inégalité. L'allégement des contenus fait explicitement partie des recommandations centrales des promoteurs de l'approche par compétences. «Où trouver ce temps à l'école [pour développer des compétences] ?» se demande Perrenoud. «En allongeant le temps des études ? Il est déjà trop long (...) Allonger la semaine de l'écolier n'est guère plus raisonnable, puisqu'elle est déjà plus longue que la semaine du salarié moyen. On ne peut d'ailleurs apprendre de façon aussi dense. Il n'y a donc qu'une solution; alléger les programmes notionnels, restreindre la part des savoirs enseignés pour faire de la place à l'entraînement de leur mobilisation en situation complexe» [Perrenoud in Bosman 2000] . Et c'est bien un tel allégement que l'on observe dans les programmes basés sur les compétences : leur extrême lourdeur apparente n'est qu'une coquille vide, sans le moindre contenu solide. On pourrait tenter de se rassurer en espérant que les enseignants rectifieront le tir. D'ailleurs, puisque le concept de compétence, du moins tel qu'il est véhiculé dans l'approche par compétences, est un concept parfaitement creux et puisqu'il est décidément impossible de faire réaliser des tâches complexes aux élèves sans qu'ils maîtrisent des connaissances et des savoir-faire, alors de toute façon les professeurs ne peuvent faire autrement que de transmettre (au pire) ou d'amener les élèves à construire (au mieux) des savoirs. Seulement voilà : comme les programmes restent pratiquement muets quant à la nature et au niveau des savoirs à mobiliser, c'est le professeur qui doit trancher cette question lui-même. Or, il ne se peut qu'il ne soit influencé dans ce choix par le type d'élèves qu'il a devant soi, par l'anticipation des niveaux de difficulté qu'il risque de rencontrer. Cela encore ne serait rien si les élèves de diverses origines sociales étaient répartis de façon hétérogène dans les différents établissements scolaires. Mais dans un tissu scolaire fortement polarisé sur le plan social, comme c'est le cas dans notre pays, avec nos écoles-ghettos de riches et de pauvres, ceci vient inexorablement renforcer l'étroite liaison entre dualité sociale et dualité des performances scolaires. Nous croyons que cette caractéristique de l'approche par compétences, qui consiste à prêter le flanc au développement inégal de l'enseignement, n'est pas un dysfonctionnement, mais au contraire l'une des raisons qui expliquent son succès.

 L'approche par compétences vient ainsi fort opportunément apporter à contribution à la dualisation de l'école, en réponse à la dualisation du marché du travail.

 Aux Pays-Bas, Peter Teune voit dans l'approche par compétences un moyen de contrer «une culture orientée vers le nivellement». L'auteur regrette que, dans l'école traditionnelle, «on ne fait pas beaucoup de différences entre les élèves et l'on ne valorise pas vraiment l'ambition (...) On cherche maintenant un système d'enseignement dans lequel chaque élève sera apprécié à sa juste valeur; dans lequel chaque élève est jugé sur ses capacités et ses moyens. Mais cela signifie que l'enseignement doit être individualisé». D'où son mot d'ordre : «En avant vers l'enseignement axé sur les compétences» [Teune 2004]. Cette idée d'individualisation, donc de différenciation, des trajectoires et des objectifs d'apprentissage se retrouve assez systématiquement dans les discours en faveur de l'approche par compétences.

 En Flandre, un Chris De Meerler explique que «Les idées de diversité et de flexibilité sont au centre de l'enseignement orienté sur les compétences. A l'école comme dans l'entreprise, les gens construisent leur trajectoire d'apprentissage. Cela se fait par la mise en évidence d'objectifs individuels. De nouveaux instruments, comme les plans de développement personnels, les portfolios, les plans d'action et entretiens de fonctionnement, etc. cadrent dans cette évolution» [De Meerler 2006] (44). Dans cette optique, le professeur n'a plus pour tâche d'enseigner. Il n'est plus que le «coach», l'animateur et l'accompagnateur d'élèves qui avanceront chacun à leur rythme. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ce qui va avant tout déterminer ce prétendu «rythme propre à l'enfant» c'est le rythme propre à sa classe sociale ! Gageons que dans les familles de médecins et de cadres on ne se satisfera pas de tâches (et de compétences) superficielles.

 Dans une étude du Girsef, Caroline Letor et Vincent Vandenberghe, pourtant favorables à l'approche par compétences, reconnaissent eux aussi avoir été «frappés par la marge de nuances dans les conceptions des compétences véhiculées dans le système éducatif. (...) Les degrés d'intégration, de complexité et de nouveauté introduits dans l'évaluation des compétences diffèrent au point que pour certains les situations problèmes se résument à l'application de routines quelque peu déguisées ou partielles et pour d'autres, elles engagent la combinaison pertinente de procédures complexes et originales de la part des élèves. On est en droit de se demander quels effets va introduire cette diversité sur l'évaluation des compétences et sur l'hétérogénéité des résultats des élèves ?» [Letor et Vandenberghe 2003](45). On est effectivement «en droit de se le demander» mais, sans doute, aurait on été encore plus inspiré en se posant la question avant de plaider en faveur de l'approche par compétences. A défaut de remettre en cause leurs choix pédagogiques, les auteurs préfèrent croire que la solution résiderait dans une évaluation centralisée. C'est oublier que les enfants qui auront fréquenté des écoles différentes auront aussi reçu un bagage de connaissances et, partant, d'entraînement sur des tâches dont le niveau de complexité et de difficulté sera très différent. C'est oublier aussi que l'évaluation par compétences fait paradoxalement davantage appel à un haut niveau de culture générale et de maîtrise du langage que l'évaluation traditionnelle, ce qui ne manquera pas de favoriser derechef les enfants issus des familles aisées. Je pense que l'école ne devrait surtout pas préparer les jeunes à «entrer dans» cette société, à y «intégrer», à trouver»leur place. Au contraire, elle devrait les armer des connaissances, des valeurs, des savoir-faire qui leur permettrons de comprendre notre société-dans toutes ses dimensions- afin d'en faire une critique implacable. Et afin de participer activement à sa transformation. C'est cet objectif d'émancipation collective qui devrait guider nos réflexions sur la pédagogie. Si nous voulons aboutir à construire une ECOLE REPUBLICAINE ET UNE CITOYENNETE CRITIQUE. Dans peu de temps ça sera trop tard et nous serons guidés par une recette bien faite : ALLAH GHALLAB !

Critique de l'Ecole :

1/Aujourd'hui, les enfants ne sont pas égaux devant l'Ecole. Par son fonctionnement, ses structures, ses méthodes, ses contenus, l'enseignement reproduit les inégalités d'origine sociale. Il les transforme en inégalités de résultats et en inégalités d'orientation scolaire.

 2/. L'Ecole actuelle ne forme pas des jeunes «complets». Déjà au sortir de l'Ecole primaire, beaucoup n'ont pas acquis les «compétences» de base et les connaissances générales indispensables. Par après, les uns sont spécialisés de manière précoce dans un métier ou une formation technique ; ils ne maîtrisent souvent ni la richesse de leur langue d'enseignement ni leur propre histoire ni l'histoire des sociétés humaines ni une culture scientifique satisfaisante. D'autres suivent un enseignement général qui en fait des «analphabètes technologiques», qui les coupe de tout contact avec la réalité du monde du travail. Bref, il semble que l'Ecole s'intéresse moins à l'instruction de tous qu'à la formation de travailleurs productifs et hiérarchisés.

 3/. L'Ecole n'apprend pas assez aux jeunes à comprendre la société. L'enfant se trouve ainsi écarteler entre un curriculum scolaire, absurde socialement et scientifiquement parlant, et un curriculum réelle. Elle ne leur offre pas le bagage de savoirs qui leur permettent de critiquer ce qui ne tourne pas rond et d'en découvrir les causes et les mécanismes: Son Histoire, son Identité, l'Inégalité Sociale, le Chômage, les Dangers liés à la domination de l'Europe et de son Marché, l'Absurdité de la Surliquidité Monétaire dans le Marché Parallèle ; quand des centaines des milliers de familles, des milliers d'enfants souffrent de malnutrition. Au lieu de cela, on charge l'Ecole d'Inculquer le Respect pour ce Système Prétendument Démocratique.

Ce que nous attendons de l'Ecole Algérienne

1/. Tous les jeunes devraient jouir d'une vaste et solide formation à la fois théorique et pratique, générale et polytechnique; une approche aussi complète que possible des sciences, des technologies, de la philosophie, de l'histoire, des relations économiques et sociales, des cultures. Il ne faut pas qu'une spécialisation précoce ou excessive vienne entraver cet objectif essentiel.

 2/. Nous apportons une attention particulière aux savoirs qui contribuent à développer la réflexion personnelle et la critique intelligente ; la connaissance des faits et des mécanismes de l'injustice, de la misère, de l'exploitation, que ce soit chez nous ou dans le reste du monde ; la compréhension des potentialités et des dangers des technologies.

 3/. Il faut aussi doter tous les jeunes des compétences qui permettent de participer efficacement à l'action sociale ou politique : langues, arts, moyens de communication, etc.

 4/. Nous refusons toute discrimination, toute sélection sociale ou régionale. Mais également toute concession quant au niveau et à la qualité de l'instruction.

 5/. Nous voulons diffuser et généraliser toutes les pratiques pédagogiques qui favorisent une réussite scolaire de haut niveau chez les enfants d'origine populaire.

 6/. Tous les enfants devraient trouver à l'école l'encadrement et l'aide individualisée que certains trouvent aujourd'hui à la maison et qui constitue souvent la clé de leur réussite scolaire.

 7/. L'enseignement - y compris l'enseignement supérieur - est certes gratuit. Mais nous souhaitant que l'argent alloué à l'école et l'université doive profiter aux enfants les plus démunis. Et ils sont des centaines de millier.

 8/. L'Ecole républicaine doit être une école publique. Ceci ne pourra être réalisé que par le rejet de tout sectarisme, régionalisme par un dialogue franc entre les acteurs : Elève/Enseignant. «Le but de l'école n'est pas de faire admirer aux enfants une éducation civique toute faite, mais de les rendre capables de l'apprécier et de là corriger. Il ne s'agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacune devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison» comme le disait Célestin Freinet, pour l'école du peuple «On prépare la démocratie de demain par la démocratie à l'École. Un régime autoritaire à l'école ne saurait être formateur de citoyens démocrates. (?) Au siècle de la démocratie, alors que tous les pays, les uns après les autres, accèdent à l'indépendance, l'École du peuple ne saurait être qu'une école démocratique préparant par l'exemple et par l'action, la vraie démocratie»

 9/. Nous refusons fermement la «marchandisation idéologique» de l'Ecole. L'enseignement doit rester indépendant des groupes de pression. L'élève ne peut devenir un «client». Il est citoyen DE DEMAIN.

 10/. Nous voulons une Ecole qui assure de véritables droits aux élèves et aux professeurs : droits politiques, droit de participer à l'élaboration des règlements et à l'organisation de la vie scolaire. Vous enseignants du primaire, vous deviez enseigner la politique parce que la loi vous charge de donner l'enseignement civique, et aussi parce que vous devez vous souvenir que vous êtes les fils et les filles de la REVOLUTION ALGERIENNE qui a affranchi vos pères et que vous vivez sous la République depuis 1962 qui vous a affranchi vous-mêmes. Vous avez le devoir de faire aimer la République et la Révolution Algérienne.

 11/. Nous voulons une Ecole qui entretienne un dialogue étroit avec tous les parents. Aussi, nous voulons une Ecole qui soit un lieu de vie, d'expérimentation, d'expression pour les jeunes ; où les apprentissages soient liés à la pratique sociale, à la vie quotidienne, à l'acte technique et à la production.

 12/. Une telle Ecole devra être dotée de moyens supplémentaires afin d'assurer un encadrement suffisant, des locaux agréables, des moyens didactiques de qualité et une bonne formation des enseignants. Alors que le volume et l'importance des savoirs grandissent sans cesse, il est inconcevable que la part de la richesse nationale consacrée à l'éducation soit en deçà de nos attentes.

 13/. Le financement doit être attribué en fonction des besoins et non selon des «enveloppes» arbitraires. Les moyens pour financer un enseignement de qualité existent : il suffit d'une bonne gestion.

Bibliographie

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38. Vygotski, L.S., 2002. Pensée et langage, La Dispute.