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Ecotourisme: De l'énoncé du principe à l'épreuve de la gestion des écosystèmes fragiles en milieux oasiens

par Abdelkader Khelil *

Dans le contexte d'un monde fortement marqué par des bouleversements d'ordre climatique et des dérèglements économiques, conséquences des appétits féroces des multinationales, l'Algérie se doit de concevoir l'avenir des générations futures en transformant ses faiblesses de l'heure en forces de demain. Notre pays devrait pouvoir se prémunir des effets pervers de sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures, en investissant intelligemment les secteurs de l'agriculture et du tourisme, sources essentielles de diversification de son économie. Il s'agit, en fait, d'assurer dans les meilleurs délais possibles, notre sécurité alimentaire et d'élargir nos capacités d'emplois à partir de la création de nouvelles richesses, tout en gardant à l'esprit, que l'embellie financière de la décennie 2000, n'est en rien une assurance de prospérité durable. Elle est, par contre, une opportunité à saisir pour l'amorce d'une dynamique touristique, à inscrire dans le prolongement de la priorité déjà accordée au secteur de l'agriculture. Encore faut-il préciser, que les efforts consentis par l'Etat en direction de notre paysannerie n'ont pas encore atteints la plénitude de leur efficacité, dans la mesure où le monde rural, cette force nourricière de la nation, reste fortement sous équipé, sous encadré et sans lisibilité par rapport à son avenir, comme le confirment, le vieillissement de la main-d'oeuvre agricole, la déperdition du savoir-faire paysan et la persistance des flux migratoires. Renverser ces tendances négatives qui augurent de difficultés à venir en termes d'hypothèques sur notre sécurité alimentaire, voire, sur notre souveraineté nationale, est certainement une option bien inspirée, pour un Etat soucieux de préserver la cohésion sociale et de restaurer l'égalité des chances à travers l'ensemble du territoire. Cela suppose, un engagement résolu dans la mise en oeuvre d'une authentique politique d'aménagement et de développement durable du territoire.

Cet effort, à inscrire dans la permanence et la continuité, en vue de la réhabilitation du secteur agricole et de la promotion du monde rural, se doit d'être conjugué à celui du tourisme totalement en friche, autre carte maîtresse dont dispose notre pays. Il y a là, une possibilité à conquérir une place dans la destination Maghreb, qui s'avère être une des plus prisées, comme souligné par le Secrétaire général de l'Organisation mondiale du Tourisme, à l'occasion des assises nationales et internationales, tenues à Alger (2008). Dans des pays comme le Maroc et la Tunisie, pour ne citer que ceux qui nous sont les plus proches, la croissance économique est, en grande partie, le fait d'une dynamique touristique. Toutefois, cette croissance s'est parfois accompagnée par des effets négatifs sur l'organisation sociale et les équilibres des écosystèmes fragiles. Tel est le cas de l'oasis de Tozeur en Tunisie, comme relaté par (LLENA, 2004)1 qui indique que cet espace, jadis prospère, a subi de profonds bouleversements dus au fait d'un développement touristique fortement consommateur d'eau, induisant ainsi, un déclin de l'agriculture vivrière et une déperdition du savoir-faire paysan. Il en est de même pour la palmeraie de Marrakech «cité jardin» par excellence, classée patrimoine universel de l'humanité, devenue, selon El-Faiz (2002)2, un écosystème fortement menacé dans son équilibre en raison de son urbanisation. C'est ainsi, que «sous prétexte d'ouverture au tourisme international, il aura suffi d'une décennie pour entamer la destruction de ce patrimoine millénaire». Dans ce «gâchis urbanistique», avertit l'auteur, «Marrakech est en train de perdre ses trésors pour devenir une simple résidence pour stars et touristes fortunés». Dans le cas marocain, le souci de plaire à une clientèle étrangère en quête d'exotisme est une manière de s'investir dans le lobbying et de forger l'image d'un pays, qui se veut être accueillant et ouvert à la modernité, au risque d'une perte d'authenticité. Ces expériences sont indiquées comme exemples à méditer sur ce qu'il ne faut pas faire chez nous, après avoir si longtemps tergiversé, pour s'engager résolument dans la voie du tourisme.

 Mais alors, comment peut-on concilier tout à la fois, l'impératif de préservation de l'équilibre des écosystèmes fragiles à celui de la stabilisation des populations dans leurs milieux de vie ? Dans ce cas, l'écotourisme, autrement dit, le tourisme responsable en milieux naturels, qui préserve l'environnement et participe au bien-être des populations locales, est, me semble-t-il, la voie la mieux indiquée pour garantir la durabilité de la dynamique touristique dans le respect de la dignité des populations locales, de leurs moeurs, de leurs us et coutumes. C'est là, une ligne de démarcation qui ne doit être en aucune manière transgressée, si l'on veut éviter l'écueil des atteintes aux valeurs ancestrales et au patrimoine, qui font de notre société, une entité fière de son authenticité. C'est dans cette appartenance identitaire, que la population sera alors disposée à accueillir ses hôtes, dans le respect mutuel des cultures et de la convivialité. Cette option pour un «tourisme vert», développée dans la continuité du mouvement environnemental des années 1970, est celle qui sied le mieux à la diversité de nos systèmes oasiens. Elle est favorisée par l'intérêt que porte un large public à l'échelle mondiale, à la gestion de l'environnement, à la conservation de la nature et à sa durabilité, suite aux inquiétudes nées du réchauffement climatique et autres risques majeurs à l'échelle planétaire. Cette voie d'un tourisme respectueux de la dignité des hommes et de l'environnement tranche avec l'attitude du «laisser faire», dont la finalité ne serait que ruine écologique et hypothèque pour les générations futures. Apprendre à respecter la nature, à préserver les équilibres fragiles des écosystèmes est, certainement, la meilleure manière de forger l'image d'un pays attentif à ces questions déterminantes pour le devenir de l'humanité. C'est pourquoi, il demeure essentiel d'envisager la mise en place d'un dispositif de «veille écologique», afin d'assurer un essor touristique réussi, dans l'intérêt de la collectivité nationale.

 Cette action d'observation continue du milieu est d'autant plus impérative, que comme disait Victor Hugo : «c'est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n'écoute pas». Le regard attentif aux «pulsations» des milieux naturels, sources de richesses et de prospérité, devrait concerner tout particulièrement, les régions du Sud qui disposent d'un capital humain et culturel très riche, d'une diversité paysagère et patrimoniale spécifique, ainsi que de réserves écologiques et biologiques, à même de leur permettre de se placer dans le créneau du tourisme saharien. Ce mode de tourisme orienté sur une clientèle nationale et internationale, en quête de dépaysement, d'évasion, de connaissance des modes de vie et des coutumes des populations locales, est des plus avantageux, eu égard au nombre limité de pays disposant de mêmes atouts.

Encore faut-il préciser, que malgré ces énormes potentialités, la réussite d'un projet d'écotourisme n'est pas forcément chose aisée. L'on peut considérer, que pour les grands espaces sahariens faiblement peuplés, tels le Tassili et le Hoggar, véritables musées à ciel ouvert et patrimoines universels, il est relativement facile de s'inscrire dans cette option, pour peu, que l'on soit attentif à la question de l'environnement, en évitant de laisser traîner le long des circuits touristiques des sachets en plastique, des pneus usagés, des carcasses de véhicules calcinés, ou toute autre incongruité qui agresse le regard de ceux venus admirer la nature dans sa splendeur originelle, à l'exemple de ce coucher de soleil dans le Hoggar, sur les hauteurs de l'Assekrem. Ce mode de tourisme, articulé autour de l'aventure et de son corollaire le bivouac, reste peu exigeant en infrastructures lourdes et peut s'accommoder par conséquent, d'équipements sommaires si, pour l'essentiel, les conditions d'hébergement, de transport et de sécurité sont réunies. Ce qui reste par contre difficile à réaliser, dans la conformité du concept de la durabilité, c'est la promotion d'un écotourisme à l'échelle des systèmes oasiens de Oued Souf, de Oued Ghir, de la vallée du M'Zab et de la Saoura, en raison de la croissance démesurée qui caractérise actuellement les villes d'El-Oued, de Biskra, de Ouargla, de Ghardaïa et de Béchar.

Pour avoir fonctionné comme de véritables «pompes aspiratrices» de populations de leurs aires d'influence respectives, ces établissements humains mettent en péril les équilibres des écosystèmes fragiles, de par le fait d'une urbanisation anarchique à l'intérieur et aux abords des palmeraies. Ceci pour dire, qu'au-delà de l'énoncé du principe, l'écotourisme en milieu oasien reste, pour l'essentiel, tributaire des solutions que doivent envisager les pouvoirs publics, dans un même élan de solidarité, quant au règlement des questions latentes : de remontée des eaux, d'assainissement des palmeraies, de protection des villes contre les inondations et de dysfonctionnement urbain. Dans cette situation, l'on s'aperçoit alors, que la promotion de l'écotourisme en milieux oasiens, ne saurait être uniquement une question de mise à niveau d'infrastructures hôtelières et d'amélioration de prestations de service. Ces conditions au demeurant nécessaires peuvent être plus facilement remplies que celles qui consistent à restaurer les équilibres écologiques, à savoir : la requalification des villes du Sud à hauteur des exigences d'excellence et de leur mise en tourisme dans la conformité des standards internationaux et la réhabilitation des palmeraies, en tant que vecteurs essentiels à une dynamique d'écotourisme en milieu oasien.

 Dans cette problématique d'ensemble, qui fait référence à la nécessité d'ancrage des actions touristiques dans un environnement totalement assaini, dans la perspective d'une formulation d'un «label saharien» d'écotourisme, l'on s'aperçoit alors, que ce vaste chantier de grands travaux, qui restent à entreprendre, ne saurait concerner uniquement le seul département du tourisme, bien qu'il soit le dépositaire principal de la mise en oeuvre de cette politique. La réunion des conditions de faisabilité d'un projet national d'écotourisme relève, par conséquent, d'une volonté collective et d'une synergie d'actions qui tendent à canaliser les efforts des différents partenaires autour d'un même objectif. Elle suggère la mise en place d'équipes pluridisciplinaires spécifiques à chacun des espaces à réhabiliter aux plans de ses équilibres écologiques et de sa promotion touristique, la mieux adaptée aux caractéristiques de son terroir. C'est là, un défi qui demeure à notre portée, dès lors qu'on dispose d'une ressource humaine qualifiée et de moyens financiers appréciables, qui peuvent être mobilisés. Outre la mise en tourisme des espaces évoqués dans le sens de la durabilité, moyennant une restauration écologique et une mise à niveau, les régions du Sud disposent également d'autres atouts, à travers les établissements ksouriens de Taghit, du Tidikelt et, particulièrement, ceux du Touat - Gourara, constitués de plus de 250 ksour pour la plupart habités. De par leur mode de vie communautaire, leur convivialité et la spécificité écologique de leur habitat, qui forgent l'identité de leurs terroirs, ces systèmes ksouriens sont de tous les espaces sahariens, ceux qui présentent les meilleures garanties pour l'amorce d'une dynamique réussie d'écotourisme. C'est ainsi, que Timimoun, Adrar et Taghit ont acquis au fil du temps, une notoriété touristique et ce, malgré les insuffisances observées en termes de capacités d'accueil et de prestations de services à tous les niveaux. La sécurité retrouvée, cette amorce a pu se réaliser, grâce à la périodicité dans l'organisation de manifestations religieuses et sportives, ainsi qu'à la faveur des fêtes de fin d'année, qui attirent de plus en plus de touristes de divers horizons et de diverses nationalités. L'intérêt porté à la région du Touat - Gourara trouve son explication dans le fait, qu'à l'inverse des grandes villes du Sud, les villes d'Adrar, de Timimoun et de Taghit sont peu concernées par le phénomène de l'urbanisation massive et de l'anarchie urbaine. A titre d'exemple, l'habitat ksourien dans le Touat - Gourara abrite près de 53% de la population totale sur à peine 47% du parc logement de la wilaya, alors que la ville d'Adrar ne concentre que 13% de la population totale, soit un peu plus de 53.000 habitants3. La préférence pour l'habitat traditionnel ne saurait s'expliquer par le seul lien affectif d'une population attachée à la culture de son terroir et encore moins, par la pratique d'une agriculture de subsistance ou par l'activité artisanale en déclin. Cette permanence du mode de vie ksourien qui véhicule des valeurs ancestrales, sous l'autorité morale des zaouias, par opposition à la ville où les individus évoluent dans des cheminements en totale contradiction avec l'esprit communautaire, trouve tout d'abord son explication, dans la qualité du mode d'habitat traditionnel et de son adaptation aux conditions climatiques et écologiques du milieu oasien.

Elle tient aussi à cette volonté d'alliance, de cohésion et de solidarité que tend à exprimer la communauté ksourienne, à travers l'imbrication et l'interdépendance de ces habitations. Par opposition à ce mode de vie communautaire que symbolisent les ksour, le passage à l'habitat collectif extra-muros a induit des formes d'individualisme, dès lors que les populations ne sont plus dans le besoin de communiquer entre elles. De ce fait, l'attitude communautaire, réponse à l'acclimatation dans un milieu hostile, commence à perdre progressivement sa raison d'être. Ceci a eu pour conséquences : une dévalorisation du travail de la terre, jadis animé par l'esprit de la touiza, la recherche de nouvelles sources de revenus et l'apparition de formes de spéculation immobilière. C'est là, une menace qui pèse durablement sur l'existence de l'habitat traditionnel, de moins en moins renouvelé et entretenu et sur l'équilibre des agro-systèmes. Il s'en est suivi dans bien des cas, la dégradation et l'abandon des ksour. Cette situation est à nuancer, pour ce qui concerne le Touat - Gourara, dans la mesure où la population reste concentrée dans une proportion de 53% au niveau des ksour, probablement en raison des efforts entrepris en termes de réalisation d'équipements de proximité, mais aussi et bien souvent, en raison du vieillissement de la population qui s'accommode de la pratique d'une agriculture vivrière de subsistance, à défaut d'autres activités, qui sont l'apanage des grandes agglomérations urbaines. Force est de constater que malgré l'introduction de commodités de vie, la pauvreté reste apparente au sein de la société ksourienne, qui vivote au rythme du débit de sa foggara. C'est par rapport à cette question majeure qui porte atteinte à la dignité de nos concitoyens et à la cohésion sociale, que la période à venir devrait être celle de la diversification des activités économiques, de l'amélioration du revenu des ménages et de leur sécurisation au plan alimentaire.

Il s'agit, en fait, d'éviter que le projet d'écotourisme à concevoir à l'échelle de l'espace du Touat - Gourara, dans la perspective de son émergence en pôle d'excellence, ne soit conçu sur un terreau de pauvreté et de précarité de vie, d'une population qu'on ne saurait maintenir indéfiniment, dans le statut de «gardienne d'un patrimoine». Ce projet porteur d'espoir pour une population de plus en plus éprouvée par les difficultés de la vie quotidienne, doit concerner en tout premier lieu la jeunesse qui doit trouver à travers ses différents segments, la possibilité d'affermissement de sa personnalité par le travail. Ceci d'autant plus, qu'il s'agit d'anticiper les effets pervers que ne manquera pas d'exercer sur elle, l'attractivité des champs pétroliers et gaziers, en cours de développement dans cette région. Il reste à concevoir dans une approche participative, qui intègre les préoccupations de la population et les aspirations au progrès de sa jeunesse. Mais quel que soit le regard attentif que l'on peut porter à cette région, il demeure essentiel de considérer, que c'est aux populations locales qu'il appartient de définir les contours du projet sociétal auquel elles aspirent. Ce projet se doit d'être conçu au sein d'une approche qui tend à mettre en exergue, les atouts liés au mode d'organisation sociale, à l'habitat ksourien et à l'agriculture oasienne, en tant que spécificités identitaires de l'espace du Touat - Gourara.

 Dans sa recherche d'excellence et d'implication citoyenne, tout porte à croire que le projet d'écotourisme peut constituer une alternative viable à l'économie de subsistance, dans cette oasis mythique, mais pas seulement. Cela requiert, cependant, la vigilance des pouvoirs publics à l'égard de la fragilité de l'écosystème, de la «bétonisation» de la palmeraie et de l'habitat ksourien, vecteurs essentiels, sans lesquels cette dynamique ne saurait exister. Dans le respect des équilibres, ce projet pourrait s'ériger en alternative à l'économie de subsistance, en donnant aux jeunes, une opportunité à s'y investir, pour peu qu'ils soient en mesure de considérer la formation professionnelle et l'acquisition d'un savoir-faire, comme deux éléments incontournables à la construction de leur avenir et à la prospérité de leur région. Au terme de ce plaidoyer sur les conditions d'éligibilité des régions du Sud à la prospérité touristique, il importe de dire que l'Algérie de demain, qui ne pourra plus compter sur sa rente pétrolière, a également pour obligation d'assurer sa sécurité alimentaire. L'incapacité de notre agriculture à dégager des excédents pour l'exportation souligne toute la pertinence du développement du tourisme, dont l'avenir reste intimement lié au défi écologique qu'il convient de relever, pour peu qu'on soit convaincu qu'il y a «péril en la demeure» et qu'on soit disposé en tant que collectivité nationale, à jouer la même «partition territoriale», dans l'intérêt des générations futures.

* Professeur en sciences agronomiques

Notes :

1- LLENA C. 2004- «Tozeur, ravagée par le tourisme » in le monde diplomatique, juillet 2004

2- EL FAIZ M. 2002- «Marrakech patrimoine en péril», consulté sur Internet, www.bibliomonde.com

3- Annuaire statistique de la wilaya d'Adrar, 2008