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Le monde musulman et l'Espagne

par Meriem Mahmoudi

2ème partie

Encourageant l'agriculture et le commerce, ce monarque s'avère être également un fervent protecteur des lettres et des arts. Cordoue, capitale du califat et principale ville de l'Espagne musulmane devient un foyer de haute culture et le séjour préféré de nombreux savants et lettrés musulmans et juifs. On y voit évoluer le maître de la philosophie arabe Averroès et juive, Maimonide Ce souverain ressuscite en Espagne le souvenir de la dynastie musulmane de Damas dans toute sa splendeur. En effet, son califat rivalise dans les arts, les lettres et l'architecture avec l'Orient et surpasse de beaucoup l'Occident chrétien.

 En dehors du pays, il assoit son autorité en se dotant d'une marine qui domine la Méditerranée. L'utilisation de la boussole rendant la navigation plus sûre, contribue efficacement au développement du commerce entre l'Orient et l'Occident et provoque le sursaut de la vie économique. Abd-ar-Rahman III met fin aux troubles qui secouent le pays,»sans doute, les règnes de plusieurs émirs furent-ils marqués par des persécutions de communautés chrétiennes, celle de Cordoue, en particulier. Mais il faut reconnaître que ces persécutions furent moins dictées par le fanatisme des princes que par des préoccupations d'ordre politique.» fait remarquer levi Provençal.

 On admirera avec quelle souplesse, ce monarque, à l'âme tolérante, à l'oreille attentive à l'Autre, réussit à préserver l'équilibre entre les trois communautés, garantissant, sans équivoque, le droit de chaque individu à la liberté de pensée et de religion. « L'apaisement se fit sous le règne de Abd-arRahman III et ce fut l'époque où la communauté chrétienne de Cordoue, fut, sans doute la plus florissante et la plus heureuse. Le souvenir des persécutions précédentes s»effaçaient de plus en plus. Les relations entre l'Islam espagnol et la chrétienté occidentale s»amplifièrent et devinrent continues. Le souverain se rappelait sans doute, qu'il était lui-même le petit-fils d'une princesse chrétienne, Don Iniga, qui avait été mariée à son aïeul, l'émir Abd-Allah.

Quelques années plus tard, le régent Al-Mansour, allait lui-même épouser la fille du roi de Navarre; Sancho II. Dès lors, les mariages mixtes entre musulmans et chrétiens deviennent très fréquents.» Lévi Provençal

 Cependant, les princes chrétiens de l'Espagne du Nord ne renoncent pas à leur terre natale et avec persévérance, ils entreprennent la reconquête des territoires occupés .Après le règne non moins brillant d'El Hakem II, fils de Abd-ar-Rahmen III, également épris de science et de belles lettres, ils finissent par ébranler la puissance musulmane, affaiblie par les luttes d'intérêt.»Le calife Hichem II étant mort sans postérité masculine, le trône des Omeyyades restait vacant et l'anarchie s'était répandue dans toute la péninsule» R.A

Après avoir connu un destin exceptionnel, le califat de Cordoue rentre rapidement dans une période de déclin et sombre dans le chaos? avant de disparaître complètement en1031. Son émiettement se résume par la création de petits états indépendants ou Taifas. Ces petits royaumes insignifiants, sonnent le glas du pouvoir et génèrent la ruine et la désunion du monde musulman espagnol.

 Au début du XI siècle,, Alphonse VI, roi de Léon, remporte à là Calatanazor, une victoire décisive qui permet aux Chrétiens d'occuper plus de la moitié de l'Espagne. Cette victoire amorce la décadence de la présence musulmane dans cette contrée.» Le roi chrétien, Alphonse VI, avait habilement profité de la rivalité qui régnait entre les musulmans, et ce manque d'unité toujours si fatale aux Arabes. Il les avait attaqués en détail, et, le sort des armes le favorisant, il était arrivé à mettre gravement en péril la domination islamique en Espagne.» R,A

 Le roi Alphonse, maître de Tolède, ne tarda pas à entrer dans l'Andalousie, dont cette ville était la clé, et arrivé à Tarifa, il avait soumis les musulmans à la capitation, opprobre que ces derniers imposaient aux infidèles...de là, il était venu assiéger Saragosse et on pouvait s'attendre, après la chute de cette ville, à le voir reparaître dans le Sud pour achever la conquête du pays. « p370

 L'émir des croyants et roi de Séville, El Matmed ben Abbad (ce prince est appelé Muhamed ben el Matmed dans les chroniques espagnoles) ne perçoit le salut de la foi musulmane en Espagne que dans l'intervention des Almoravides 470(1086-87) auxquels il fait appel.

LES HOMMES BLEUS AU PAYS DE FERDINAND VI (1085-1145)

 Nous allons résumer l'histoire complexe de cette dynastie berbère et préciser son rôle dans l'histoire intime de l'Andalousie. Dans Revue A fricaine, on peut lire:

 « Les Almoravides, sahariens et nomades, sont les lointains ancêtres des Berbères Touaregs. Au moment, où les Béni Hillal envahissent le Maghreb à l'est, ceux-ci se préparent à entrer en Maurétanie par le Sud-Ouest. Ils appartiennent à la puissante tribu çanhadjienne des Lemtouna. Celle-ci fait partie des peuples désignés par les Arabes sous le nom générique de « moulathimin», c'est-à-dire portant le lithem, voile ou bandeau qui cache le visage et ne laissant paraître que les yeux. Leurs territoires s'étendent du Sud Marocain jusqu'au Sénégal à travers le Sahara.

Convertis à l'Islam par Abd Allah Ibn Yacin qui sait imposer une rude discipline, à ces nomades, véritables soldats moines, ils entreprennent la conquête de la Maurétanie.» Ibn Yacin donna alors à ses compagnons le nom de El-Merabtin( les marabouts: veut dire littéralement: assidus au service de Dieu. Selon M. de Slane, ce nom aurait été donné à ceux qui fréquentent les ribbat, sorte de couvents. De ce mot, les Espagnols ont fait les Almoravides.) et en fit une secte de frères auxquels il imposa les obligations d'une doctrine très puritaine.les Almoravides durent exécuter très ponctuellement toutes les prescriptions de la religion; la moindre infraction à ces règles était punie de peines corporelles. Les principes sur lesquels Abd Allah basa sa secte consistaient à maintenir et à faire régner la vérité, réprimer l'injustice et abolir les impôts qui n'étaient pas basés sur la loi. « R.A

 En 1060, le successeur d'Ibn Yacin, l'Almoravide Youçof Ibn Tachefin fonde Marrakech ,ville sainte et militaire ,et dont la création rappelle celle de Kairouan. A partir de cette nouvelle capitale, Ibn Tachefin lance plusieurs expéditions dans le Maghreb. Il s'empare tout d'abord de Fez en 1069,puis s'avance vers l'Est, occupant Oujda, Tlemcen, Oran, Ténès, la région de l'Ouarsenis et arrive devant Alger dont il fait le siège en 1082. En vingt ans, tout le Maghreb occidental est conquis jusqu'à Alger.

 Puis les Almoravides sont appelés en Espagne par les princes musulmans menacés par les rois chrétiens. C'est alors qu'intervient Ibn Tachefin. Il débarque à Algésiras en 1086 et repousse le roi chrétien Alphonse VI qui se replie à Séville.

 Pour plus d'informations, lisons un extrait qui relate avec précisions les évènements:» Matmed !ben Abbad écrivit à Youçof un message lui rappelant sa promesse et implorait son aide et celle de ses guerriers pour repousser l'infidèle. Les docteurs de la loi et les principaux de l'Andalousie joignirent à la missive royale une supplique pour le chef des Almoravides. 479(1086-87)

Youçof Ibn Tachefin ne resta pas sourd à l»appel de ses coreligionnaires... enfin, en 479(1086), tout était prêt pour la guerre sainte. Il aborda heureusement à Algésiras où il fut reçu par Matmed et le souverain de Badajoz. Le roi Alphonse ne restait pas inactif; toutes ses troupes, réunies en Castille attendaient le signal. En 479 (1086) la rencontre eut lieu à Ez-Zellaka (la glissante) près de Badajos. La bataille se prononça d'abord pour les Chrétiens, puis enveloppés par leurs ennemis, ils furent bientôt écrasés et durent abandonner le champ de bataille. Le roi Alphonse se replie à Tolède. «Le Cid Campeador, banni par Alphonse VI en 1081 se met au service de l'Emir de Saragosse et s'empare de Valence aux mains des Chrétiens en 1095.Il gouverne cette province jusqu'à sa mort.

 «Après la victoire d'Ez-Zellaka, le danger qui avait menacé l'Espagne musulmane se trouvait écarté pour le moment, mais la situation du pays ne cessait de se dégrader. En effet, les tribus arabes qui occupaient la péninsule à cette époque, étaient fort divisées. Débris d'un empire démembré, chaque tribu, chaque ville avait son roi, agissant seul, ennemi de ses voisins, disposé à faire alliance avec l'ennemi commun afin d'assouvir une vengeance personnelle. En somme, l'empire croulait de toute part et une main puissante était nécessaire pour reprendre la direction unique du pouvoir, sinon, c'en était fait de l'autorité islamique de l'Espagne.

 Cette catastrophe aurait même déjà eu lieu si les rois chrétiens n'avaient pas trop souvent imité les musulmans dans leurs désunions.» R.A

 Encouragé par ses brillants succès, Youçof, chef des Almoravides refait l'unité des Musulmans en Espagne mais à son profit.

Pour conclure, lisons l'extrait suivant:» par ces victoires successives, la puissance des rois dissidents fut anéantie, et l'Andalousie se trouva, toute entière, placée sous l'autorité des Almoravides. Ainsi, en peu d'années, grâce à l'habileté de Tachefin, et au courage de ses adhérents, l'étendard de l'islamisme, sur le point d'être renversé, lors de son arrivée en Espagne, avait été relevé et porté plus haut par lui que par aucun de ses devanciers. L'unité de commandement rétablie allait consolider ces victoires et retarder de plusieurs siècles, la chute de la puissance musulmane en Espagne.» R.A.

 Il prend le titre d'Emir El Mouminin et se fait reconnaître par le calife abbasside de Bagdad, El Mostadher comme souverain du Maghreb et de l'Andalousie. Il faut reconnaître que leur foi intransigeante, permet de réaliser l'unité religieuse des Berbères musulmans. Les princes Almoravides sont de grands bâtisseurs; artisans des grandes mosquées, ils agrandissent la magnifique mosquée El Quarawin de Fez, et construisent celles d'Alger et de Tlemcen. En Maurétanie, ils répandent la belle civilisation des Arabes de Cordoue.

LA DOCRINE DE MOHAMED IBN TOUMERT DANS LE FIEF ANDALOU 1147-1232

 En moins de cinquante ans, l'empire des Almoravides se désagrège, détruit à son tour par les Almohades. Cette dynastie musulmane est fondée au début du XII è siècle par Ibn Toumert, de la puissante tribu berbère des Masmouda. Agriculteurs sédentaires, ils habitent au sud du Maroc, dans la région montagneuse de l'Atlas.

 Juriste habile, il professe une nouvelle doctrine (el tawhid) et prêche le retour aux sources fondamentales du droit coranique. Prédicateur passionné, il parvient à imposer ses idées.      Pour émouvoir un grand nombre de ses adeptes, il leur adresse des prédications enflammées en langue berbère.

 Il accorde une place particulière à l'unicité de Dieu, rentre en lutte avec les souverains du Maroc à qui, il reproche l'insuffisance des observances des préceptes coraniques et prend le titre de Mahdi. Avant de mourir, il proclame Abd-El Moumen, natif de Nédroma, de la tribu des Zénètes, émir des croyants. Ce dernier, musulman rigide, condamne l'opulence et toutes les nouveautés (poésie, musique) qui sous l'influence des Almoravides d'Espagne, se sont introduites dans l'Islam.

ABD-EL MOUMEN, PREMIER SOUVERAIN DE LA DYNASTIE DES ALMOHADES ET PREMIER CALIFE DU MAROC

 Grand chef guerrier, il reprend les projets d'Ibn Toumert en agrandissant peu à peu ses possessions dans le Haut et moyen Atlas marocain. Après avoir conquis les régions de Tlemcen et d'Oran, il revient au Maroc, s'empare de Marrakech en 1146-47. La dynastie des Almoravides s'éteint avec, Ishac qui périt dans cette ville que les Almohades viennent d'occuper.

 Profitant de l'incurie qui règne depuis le passage des Arabes Hilaliens, il commence la conquête de tout le Maghreb qui se termine par la prise de Mahdia et de Tunis que les chrétiens de Sicile avaient prises. Avec la conquête de la Tunisie, le Maghreb tout entier est unifié sous l'autorité du souverain almohade.

 Comme tous les dirigeants d'un état musulman, Abd-El Moumen?animé par une foi puritaine, renoue avec le devoir de guerre sainte et va porter secours aux Musulmans d'Andalousie. Cependant, il meurt sans avoir réalisé le grand projet qu'il envisage, celui de reconquérir l'Espagne.

 Pendant des décennies, les empires chrétiens vont subir la forte pression des Almohades et sont contraints de concéder du terrain aux Musulmans. Les souverains qui se succèdent doivent affronter, d'une part les révoltes assez fréquentes de leurs sujets, d'autre part les rois chrétiens. Faisant cesser toutes querelles et conscients du regain de leur force, les Chrétiens se mettent en marche pour reconquérir les terres autrefois chrétiennes... Les Almohades commencent à être battus en brèche, puis, ils sont mis en déroute dans la bataille de Las Navas de Tolosa en 1212, bataille à laquelle participent tous les princes chrétiens de la péninsule.

 La décadence de l'empire, amorcée par la défaite de Las Navas va se prolonger jusqu'en 1269.avec la constitution d'états chrétiens et l'apparition d'une menace qui pèse sur l'empire almohade La Tunisie (1229) puis le royaume de Tlemcen (1235) s'en détachent, et, depuis 1238, les Mérinides engagent contre eux une lutte qui se termine en 1269, par une expulsion complète de leur royaume. L'empire se démembre et donne naissance à trois royaumes ayant pour capitales Fez, Tlemcen et Tunis.

 Incapables de résister durablement à la pression qu'exercent les rois chrétiens, le régime almohade s'écroule progressivement. La reconquête s'accentue et les villes musulmanes tombent l'une après l'autre sous la coupe des Chrétiens. Cordoue la première s'effondre en 1236 suivie de Valence, 1238, Murcia1243, Séville1248.

 Certains andalous, conscients du danger qui les guettent, quittent définitivement le pays. Suite à la prise de Séville par le roi Ferdinand III, de nombreuses familles, parmi les plus aisées, viennent s'installer au Maghreb.

 La famille d'Ibn Khaldun, parmi tant d'autres, s'installe à Tunis, A Bejaia, l'Emir Hafcides en recueille un certain nombre. Il faut souligner que, déjà cet exode s'accentue avec les échecs des Emirs Andalous face aux chrétiens. Cordoue elle-même ne résiste plus et ses habitants doivent émigrer à Grenade, à Malaga quand le roi Ferdinand vient s'y établir.

 En Andalousie, les Nasrides de Grenade créent un royaume indépendant qui survit jusqu'en 1492.

UNE PERIODE DE SPLENDEUR POUR L'ESPAGNE

 Sous la domination almohade, l'Espagne connaît une ère de prospérité, favorisée par ses diverses productions agricoles, industrielles et artisanales. Ayant réalisé une réforme monétaire en 1185, elle voit sa monnaie doubler le poids du métal précieux, le dinar d'or. La modernité de l'Andalousie se manifeste dans l'essor urbain. Séville, capitale de l'empire symbolise bien le prestige des califes almohades.

 Les princes almohades sont également de grands bâtisseurs. A cette époque, ils entreprennent l'édification de mosquées merveilleuses.

 La Giralda de Séville construite en 1184 est le monument le plus emblématique de l«architecture hispano musulmane. Le style de la grande mosquée de Hassan est un chef d'œuvre. La mosquée d'el Koutoubia de Marrakech est d'une architecture austère, et reflète un certain ascétisme de l'esprit almohade.

LA CIVILISATION MUSULMANE

 Il est très intéressant de retenir, que dans la plupart des pays islamisés, naît et s'épanouit une brillante civilisation. Celle-ci recueille l'héritage de la Grèce: Arabes, Berbères, Persans, Syriens, Egyptiens, Espagnols viennent l'enrichir sans détruire cette harmonie qui lui confère son cachet propre, son originalité.

 Les peuples ne cessent de se mouvoir, leurs cultures s'interpénètrent et s'enrichissent d'apports nouveaux.        Ces apports sont décisifs tant sur le plan philosophique que sur celui des sciences médicales, de la géologie, des mathématiques ou le domaine de l'art, englobant la poésie, la musique, la narratologie, le vêtement et l'ameublement.

 Une nouvelle langue, apportée par les Musulmans, se forge et s'impose comme un instrument de communication des savoirs.

 On ne soulignera jamais assez le rôle des écoles de traduction et leur implication dans la vulgarisation des sciences. Les œuvres des plus grands savants grecs sont traduites en arabe:»Hunayn b Ishaq fut l'axe d'une école de traducteurs qui rendit accessible en arabe, la quasi-totalité de l'œuvres de Galien (l'un des fondateurs de la médecine et de la pharmacie, 830-870).

 L'apport gréco hindou est assimilé, arabisé et c'est ainsi que les Musulmans deviennent les continuateurs de la médecine antique.

LA LANGUE ARABE

 D'origine iranienne, El Birouni, (973-1048),philosophe, astronome, mathématicien enseigne les sciences transmises par les Grecs et traduites en arabe. Il enseigne avec éclat la science arabo- musulmane de l'époque médiévale.           Lisons le point de vue de ce grand savant qui déclare:» c'est dans la langue arabe que les sciences ont été transmises par traductions, venant de toutes les parties du monde; elles ont été embellies, s'insinuant dans les coeurs; et les beautés de cette langue ont circulé, avec elles, dans nos artères et nos veines.»

 A suivre