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Never complain, never explain

par Brahim SENOUCI

L'équipe d'Algérie vient d'être sévèrement défaite par l'Egypte. Ce revers ne doit surtout pas occulter les succès passés ni faire douter de ceux à venir. Il faut pourtant l'analyser sans complaisance aucune. Cette équipe si belle a fini par craquer sous la pression et ses vieux travers sont remontés à la surface. Elle s'était sortie de situations où elle était en difficulté grâce à son cœur et à sa discipline. J'espérais qu'elle arriverait à garder la même sérénité face à la stratégie du pourrissement déployée avec succès, hélas, par l'Egypte. Cela veut dire qu'elle a encore besoin de mûrir pour affronter les vents contraires en restant stoïque et déterminée.

La rage d'après-match s'est exprimée. Quoi de plus normal ? Quoi de plus compréhensible que le sentiment d'injustice?

Où l'on retrouve l'Algérie?

Il y a une très nette tendance chez nous à attribuer nos malheurs à des ennemis, réels ou supposés. Passons sur les fantasmes qui courent dans les cafés où chacun y va de son couplet sur le complot de la CIA, du SDECE ou du Mossad. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de stratégie des services de renseignement occidentaux envers l'Algérie. Rien là que de très normal. Les services de renseignement occidentaux sont actifs en Occident même. Tout le monde espionne tout le monde parce que chaque Etat travaille à la satisfaction de ses propres intérêts. Ainsi, en dépit de l'alliance obscène entre Israël et les Etats-Unis, Jonathan Pollard, citoyen des Etats-Unis mais espion au service d'Israël, a été condamné par la justice américaine à la prison à perpétuité. Des exemples de ce type sont beaucoup plus nombreux qu'on ne le croit. Viendrait-il à l'idée des Etats victimes de ce genre de menées inamicales de gémir en maudissant le sort et vouant aux gémonies les faux amis ? Pas du tout, parce que tous s'adonnent au même sport?

 Tout se passe en réalité comme si les règles du jeu étaient intégrées par tous. La première de ces règles est que tout est permis pour chaque Etat, ou presque, dans la recherche d'avantages comparatifs à son profit. Spéculation sur les monnaies, espionnage industriel, OPA hostiles, dumping économique et social. A l'intérieur du camp occidental, il y a une véritable guerre de l'ombre, une guerre sans merci. Personne ne s'en plaint. Tous travaillent à se protéger et à se défendre. Longue digression. Retour à l'Algérie. Qu'est-ce qui revient dans les conversations ? Ce qui ne va pas dans notre pays est souvent réputé être l'œuvre d'obscures puissances étrangères attachées à nous détruire pour s'emparer de nos richesses. Ce n'est certes pas forcément une vue de l'esprit. Mais il est temps de comprendre que ces menées sont la norme dans le monde d'aujourd'hui et que la priorité est d'y faire face, plutôt que de se lancer dans des jérémiades contre la méchanceté du monde. Pour le dire d'une manière brutale, chaque Etat, au nom du réalisme le plus froid, s'estime en droit d'aller chercher ailleurs ce qu'il n'a pas chez lui, le but étant d'améliorer sans cesse le confort de ses citoyens. Aucun gouvernement n'a besoin de l'approbation du monde. Il lui suffit d'avoir celle de ses administrés, ceux qui l'ont élu pour qu'il veille à leur sécurité et leur bien-être.

 Retour au football. Notre équipe est effectivement tombée dans un piège, bien plus sophistiqué que tel qu'il est décrit par la plupart des commentateurs. Nos joueurs, après avoir résisté au prix d'une tension extrême, ont fini par basculer là où les attendaient leurs adversaires d'un jour. Personne ne peut leur en vouloir à ce stade. Mais il faut qu'ils en retirent l'enseignement principal. Comme l'Algérie avec d'autres pays, ils sont en compétition contre d'autres équipes qui voudront les battre et qui ne seront pas trop regardantes sur les moyens d'y parvenir. Ils le savent. Ils savent donc qu'ils ne doivent pas aller là où l'adversaire souhaite qu'ils aillent. Il faut qu'ils restent sur leur planète et qu'ils continuent de réciter le football léché et déterminé dont ils nous ont gratifiés face à la Côte d'Ivoire. C'est à ce prix qu'ils pourront tutoyer les sommets dont nous rêvons. C'est à ce prix que l'Algérie prendra place au rang des nations respectées.

 Les champions du monde en matière de self contrôle sont les Anglais. Il n'est pas étonnant que la devise de la Cour d'Angleterre porte cette valeur au pinacle :

«Never complain, never explain» Ne jamais se plaindre, ne jamais s'expliquer).