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L’Espagne à l’arrêt

par Akram Belkaid, Paris


 Les temps changent... Au début des années 2000, l’Espagne faisait figure de meilleur élève de la zone euro grâce au dynamisme de son économie. Aujourd’hui, ce serait plutôt un traînard en queue de peloton pour reprendre une image des économistes du Centre de recherche en économie de Sciences Po à Paris (*). Comme dans le cas des Etats-Unis, dont il était question la semaine dernière dans cette chronique, les indicateurs espagnols sont éloquents. Depuis le début de la crise, l’Espagne a perdu 1,8 million d’emplois soit 9% de l’effectif total. On comprendra encore mieux l’ampleur des dégâts en retenant la statistique suivante: ces 1,8 million de postes détruits correspondent à 55% des pertes d’emploi dans la zone euro. En clair, l’Espagne a subi à elle seule plus de la moitié des emplois européens détruits par la crise !

Le bâtiment va mal, tout va mal

 L’essentiel de cette destruction de poste provient du secteur immobilier qui a été le moteur de la croissance ibérique. A vrai dire, le ralentissement du bâtiment espagnol était attendu et ne constitue donc pas une surprise. Cette activité a connu de nombreux excès à commencer par la construction spéculative de villes nouvelles aujourd’hui quasiment inhabitées et à l’origine de la faillite d’une multitude de promoteurs immobiliers. Pour autant, la violence du choc a de quoi dérouter et met à mal la position du gouvernement Zapatero critiqué pour son incapacité à faire face à la crise de manière novatrice. Certes, ce dernier a annoncé plusieurs plans de relance et de soutien dont 3 milliards d’euros pour l’automobile et 8 milliards d’euros pour des fonds d’infrastructures régionaux et locaux. Des initiatives qui permettront de créer des emplois temporaires dans le bâtiment et qui soutiendront peu ou prou l’industrie espagnole mais qui auront du mal à effacer les effets de la crise.
 Dès lors, c’est l’habituel débat sur le positionnement stratégique de l’économie espagnole qui refait surface. Au final, ce n’est pas l’incapacité de l’actuel gouvernement à surmonter les effets de la récession qui génère les critiques mais le temps qu’il a perdu alors que l’économie était flamboyante. Depuis la fin des années 1990, le diagnostic était pourtant connu. En reposant essentiellement sur la construction et la demande intérieure, la machine économique ibérique se plaçait fatalement à la merci d’un retournement de conjoncture. Depuis cette date, les experts n’ont eu de sens d’encourager les pouvoirs publics à mettre en place une nouvelle stratégie dédiée à faire de l’Espagne une puissance exportatrice dans les services à haute valeur ajoutée et dans l’industrie high-tech.

Un recentrage obligatoire

 Ce fut d’ailleurs l’une des promesses électorales de l’équipe Zapatero en 2004, année où les socialistes espagnols sont revenus aux affaires. Mais les réformes lancées pour moderniser l’économie de la péninsule n’ont pas été assez ambitieuses pour modifier la donne. Les entreprises espagnoles demeurent peu compétitives pour profiter du commerce international et pour résister à la concurrence asiatique ou d’Europe de l’Est. Et avec la crise, il leur est encore plus difficile de procéder à des recentrages stratégiques. Vingt-cinq ans après son adhésion à l’Union européenne, l’Espagne risque ainsi de décrocher du wagon de tête à moins d’un retournement spectaculaire de la conjoncture.

(*) Spécial Economie espagnole, 12 janvier 2010, http://www.ofce.sciences-po.fr