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De Kyoto à Copenhague : le réchauffement climatique, une question différée

par Abdelkader Khelil

Ce qu'il importe de dire tout d'abord, c'est que dans le monde cruel d'aujourd'hui, fortement marqué par le dictat des puissants sur les plus faibles qu'on tend à asservir, il n'y a guère de place pour les pays qui n'auront pas su identifier leurs atouts propres et mobiliser leurs ressources humaines, dans un même élan de solidarité.

Il faut finir par admettre, que notre salut ne saurait venir de cette Europe «frileuse», trop proche de ses intérêts et hermétiquement fermée aux revendications légitimes de ses ex colonies et encore moins, de cette Amérique qui pratique l'arrogance et son corollaire, l'extermination massive, comme style de gouvernance mondiale. Au-delà du rôle régulateur qu'elle est censée jouer en sa qualité de gendarme du monde et de garant de la démocratie à l'occidentale, cette Amérique n'est malheureusement animée que par le seul souci d'appropriation des richesses d'autrui, au bénéfice du bien être de sa population qui ne saurait changer de modèle de consommation, au risque de la destruction de l'équilibre de la planète toute entière. Il est bien évident que dans cette vision égoïste bien occidentale de cette mondialisation, notre destin ne saurait s'inscrire dans celui de la communauté des nations et particulièrement des « états voyous » qui ont décidé à Copenhague de se faire hara-kiri de par leur volonté de maintenir leurs réflexes multiformes de gaspillage, toute honte bue vis-à-vis de cette Afrique, phagocytée à l'extrême par ces multinationales dont le seul intérêt est le profit, faisant fi de la déchéance humaine, de la malnutrition et de la désertification de plus en plus accrue à l'échelle de ce continent, qui n'a désormais pour seul recours, que les migrations massives vers des contrées artificiellement plus clémentes qui lui sont de plus en plus inaccessibles. C'est dans la volonté collective des états soumis aux pressions des plus forts, que doit être trouvée la solution aux effets pervers de cette mondialisation qui porte atteinte à la dignité de l'homme dans ses valeurs et sa culture. Au plan du principe, le développement durable dans sa conception occidentale se doit d'être considéré comme étant le meilleur moyen de préserver les intérêts des générations futures. Il fait référence à un style de gouvernance tout à fait contraire à ce qui a été observé à travers les attitudes égoïstes des pays dits développés au niveau de la conférence de Copenhague. Ceci n'a pas permis l'expression d'un consensus sur la nécessité de restaurer au plus vite, les équilibres rompus à l'échelle planétaire. L'on aura compris que le concept de développement durable galvaudé à outrance par les sociétés occidentales est tout simplement, une manière de se donner bonne conscience, après avoir hypothéqué l'équilibre de l'écosystème de la forêt amazonienne, porté atteinte à la couche d'ozone par l'effet de serre et désertifié le continent africain, à partir d'une réduction conséquente de sa couverture forestière et de ses parcours. L'obligation de vérité nous amène à considérer la destruction des équilibres écologiques et le réchauffement de la planète, comme étant la conséquence des appétits féroces des multinationales, du mépris des civilisations anciennes et des technologies traditionnelles, et ce, depuis l'avènement de la révolution industrielle du 19e siècle. Sinon, comment expliquer que la convention de Kyoto ne soit pas ratifiée à ce jour par l'Amérique, qui reste le plus grand prédateur des ressources énergétiques et le premier pollueur de la planète ! Cette ruine écologique orchestrée par la finance internationale et dont la traduction est le réchauffement climatique, est une menace réelle pour la paix et la sécurité dans le monde. Il est à craindre à juste titre, que dans leur frénésie de recherche de redressement de la croissance, les pays industrialisés ne soient amenés à accentuer davantage leurs pressions sur les écosystèmes fragiles, autrement dit sur le patrimoine de l'humanité tout entière, comme le confirment l'échec de show médiatique destiné à nous endormir, qu'est la conférence de Copenhague.

Nous l'avons depuis bien longtemps compris. La prospérité de l'Amérique et de l'Occident, se fera en dépit de la misère des plus démunis et de la famine qui a déjà atteint de larges pans de la planète, à l'échelle du continent africain, asiatique et des pays d'Amérique du Sud. Cette attitude est d'autant plus insupportable, qu'il est demandé aux pays pauvres, de surcroît endettés, de restaurer les équilibres de leurs milieux écologiques au risque de pénalités préjudiciables à leur survie et de participer au recouvrement de la taxe carbone. Le souci de justice voudrait que l'on considère que le développement durable ne saurait être une directive des plus forts en direction des plus faibles. C'est tout au contraire une responsabilité partagée entre tous les peuples de la planète et dans notre position de victimes d'actions prédatrices sur nos ressources, l'on est tentés de dire, que l'on n'est aucunement concernés par ce diktat, pour avoir été à notre manière, précurseurs de ce concept au demeurant raisonnable. Pour ce qui concerne notre pays, cette affirmation est à notre sens étayée par l'attitude de nos ancêtres qui ont su donner un sens à leur existence, dès lors qu'ils ont su vivre en harmonie et en communion avec leur environnement et les ressources qui leur prodiguaient la survie. Ils avaient compris dans leur «galère» au quotidien, que tout ce qui est rare est précieux, parce que non renouvelable. Ils s'employèrent à gérer les ressources naturelles en déployant des trésors d'ingéniosité qui, au fil du temps, allaient donner lieu à l'émergence de technologies traditionnelles qui ont épaté bien des scientifiques, des chercheurs et des inventeurs des temps modernes. Tel est le cas du système traditionnel d'irrigation par foggara du Touat Gourara, qui intègre tout à la fois, la notion d'économie de l'eau, le principe d'équité dans la répartition de la ressource, la couverture des besoins essentiels de chaque élément de la société ainsi que la prévention des contentieux, afin d'éviter que ne soient perturbées la convivialité et la cohésion sociale de la communauté.

Cela est aussi le cas de la vallée du Mzab, de Oued Souf, des Ziban, de Oued Ghir et de la Saoura où furent érigés des systèmes oasiens millénaires dans un contexte hyper aride, à la faveur de la gestion parcimonieuse des ressources rares et de la conception d'un habitat écologique adapté à l'aridité du milieu. N'est ce pas là, une expression géniale, une marque de civilité et d'esprit citoyen ! La gestion durable des ressources rares a fait de nos ancêtres, des êtres admirables qui ont utilement marqué leur histoire et participé à l'édification du patrimoine civilisationnel de l'humanité. Le respect de la gestion communautaire des ressources sans hypothèque sur les intérêts des générations futures, autrement dit la culture du strict nécessaire «el kanaa», est la meilleure forme d'expression d'une responsabilité partagée, par rapport à la permanence des valeurs et la survie d'une nation. Cette symbiose entre l'homme et son milieu, si bénéfique au bien-être social, à la durabilité du développement et à la préservation des équilibres écologiques, s'est malheureusement effilochée au fil du temps. Cela tient à la négation des valeurs morales et des vertus d'antan. De nos jours, cela a laissé place à de nouvelles attitudes de narcissisme, faisant fi de la dégradation des ressources et de la spoliation de la chose publique. C'est ainsi que de précurseurs de développement durable, nous sommes devenus à notre tour, prédateurs de ressources rares non renouvelables, sans pour autant atteindre le niveau de ces pays qui tentent de nous initier au concept du développement durable. Cette situation est d'autant plus déplorable qu'elle se conjugue aux effets des changements climatiques dont la traduction est la flambée des prix des produits alimentaires de première nécessité, tels les céréales, le lait, l'huile... Cet impact négatif sur le revenu des ménages est un signe de mauvais augure, qui ne peut laisser indifférents, non seulement les pouvoirs publics, mais aussi et surtout la communauté scientifique et technique. Ceci d'autant plus que les disponibilités alimentaires à l'échelle planétaire seront de plus en plus réduites, eu égard à la forte demande des pays émergents, notamment la Chine et l'Inde, et du développement des biocarburants par certains pays, tel le Brésil, en tant que réponse au souci de leur sécurité énergétique.

Selon la FAO, le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord sont tout particulièrement exposés aux pénuries d'eau. Une hausse de température de l'ordre de 3 °C pourrait entraîner un stress hydrique pour plus de 155 à 600 millions de personnes. C'est pourquoi la question des changements climatiques inquiète bien des pays et même ceux à climat tempéré. C'est ainsi qu'en France, l'on s'active déjà à développer des scénarii aux horizons 2050 et 2100, non seulement pour mesurer les effets de ce phénomène, mais aussi pour élaborer des stratégies de prise en charge. Ceci pour dire, qu'il n'y a rien à attendre des autres et il faut d'abord compter sur soi même, pour inscrire l'action dans une vision stratégique qui considère le réchauffement climatique comme une donnée constante qui nécessite l'adaptation de notre développement économique et sociale. Dans le contexte de cette stratégie, la question agricole en Algérie, fortement tributaire des importations en denrées alimentaires de première nécessité, est à inscrire dans l'aridité. Ceci d'autant plus que dans une situation du laisser faire, notre agriculture serait dans quelques décennies, dans des situations climatiques comparables à celles du Soudan, du Mali, du Niger, de la Mauritanie d'aujourd'hui, ou tout au moins des pays du Moyen-Orient. Les effets de la sécheresse pèseront lourdement sur la productivité des parcours des régions steppiques qui seront soumis à de fortes pressions de la part des éleveurs, ce qui devrait accentuer le phénomène de désertification et le déclin de l'activité pastorale. Dans cette situation, les modifications attendues de la géographie agraire tant au plan physique qu'économique devraient s'accompagner par une paupérisation des populations pastorales et par des migrations massives vers les régions du Nord. Il n'est pas difficile d'imaginer qu'à la suite de cela, s'ensuivra une quasi-littoralisation du pays, un effritement des solidarités et une menace durable sur la cohésion sociale. Ceci d'autant plus qu'à ces migrations internes, devraient s'ajouter celles des pays sub-sahéliens qui n'auront pour seul choix, que de chercher refuge dans les régions algériennes du Nord, dans l'attente du risque de l'aventure de l'immigration outre mer qui entretient le rêve chez les démunis et les mal nourris, que l'égoïsme des pays riches a relégués au banc de l'humanité. Ce scénario catastrophe est tout à fait imaginable si aucune mesure n'est prise pour prévenir les effets pervers des changements climatiques. Il est une manière d'interroger les consciences et d'avertir les pouvoirs publics sur l'ampleur de ce risque majeur, sans pour autant ajouter à l'angoisse de nos concitoyens et sans verser dans le fatalisme. Ce scénario est développé à titre pédagogique, pour dire que la variabilité du climat du fait ou non de l'action de l'homme, est à considérer dès à présent comme une constante pour la mutation de notre agriculture qui doit se préparer à inscrire sa dynamique dans l'option incontournable de l'aridoculture. En effet, il est attendu de ces bouleversements une redéfinition des vocations de nos régions agricoles, dans la mesure où il n'est pas exclu que l'aire de prédilection de la culture du palmier-dattier par exemple puisse s'élargir plus au Nord, au niveau des Hauts Plateaux. Cette option d'une agriculture totalement inscrite dans l'aridité fait référence au développement des variétés locales de céréales, plus résistantes à la sécheresse, à la verse et au sirocco, aux espèces fruitières rustiques à faibles besoins en froid et en eau, au développement de la viticulture, à la préservation et au développement des palmeraies, à l'introduction de nouvelles techniques qui permettent de réduire la dégradation des sols. C'est à ce titre, que doit être orientée la recherche agronomique sur la base de cette nouvelle problématique, tout en cherchant à s'inspirer des expériences réussies des pays du Moyen-Orient et de l'Australie, dont la situation climatique de chacun de ces pays, aujourd'hui, pourrait être la nôtre demain ! Face à cet enjeu majeur, la mobilisation attendue à hauteur de ce défi ne saurait être celle des seuls départements de l'agriculture, de l'hydraulique et de l'environnement. Elle est à caractère horizontale et concerne non seulement les pouvoirs publics, mais aussi et surtout la communauté scientifique et technique qui doit entrevoir la mise en place d'un système de veille stratégique.

Dans le prolongement de ce dispositif, la société civile devrait pouvoir agir sur les comportements individuels dans la perspective d'une adaptation au contexte de l'aridité. Il s'agit en quelque sorte d'anticiper le stress hydrique en réalisant des économies d'eau au bénéfice de notre agriculture qui a pour obligation d'assurer notre sécurité alimentaire, tout au moins, en produits de première nécessité et quelles que soient les conditions naturelles au sein de laquelle elle aura à évoluer. Dans le contexte de cette agriculture, totalement orientée sur les appoints d'irrigation, il convient de considérer l'option de dessalement de l'eau de mer, comme une nécessité par rapport à la couverture des nouveaux besoins en eau que ne manquera pas d'exprimer cette nouvelle option agricole, qui tend non seulement à prévenir les effets négatifs de la variabilité climatique, mais aussi à améliorer la productivité de nos divers terroirs. C'est ainsi qu'à la faveur de l'option prise en matière d'approvisionnement de la ville d'Oran à partir du dessalement, les quantités actuellement prélevées à partir des ressources des wilayas de Tlemcen, de Mascara, de Relizane et de Aïn Témouchent seraient à restituer à l'agriculture de toute la région Ouest. Au même titre, le traitement et la réutilisation des eaux usées est aussi une autre action à promouvoir au titre de l'appoint d'irrigation. Les actions évoquées au titre de l'adaptation de la recherche agronomique, des systèmes et modes de production agricoles et des arbitrages autour de la répartition de la ressource en eau sont à entrevoir dès à présent. Elles ne sauraient suffire à elles seules, pour faire face à la conjoncture d'une aridité durable au sein de laquelle devra évoluer notre agriculture. Si l'on part du principe que la configuration du paysage agraire de demain se décide aujourd'hui, les actions les plus urgentes à entreprendre sont celles qui consistent à améliorer la couverture végétale et à créer les microclimats propices au développement des cultures, à l'atténuation des effets de l'évapotranspiration et à la préservation des réserves en eau des sols. Il s'agit en quelque sorte, d'initier à hauteur du risque majeur de l'aridité, un véritable «plan vert» soulignant ainsi la détermination de la communauté nationale à vouloir agir par elle même, dans l'intérêt de sa sécurité alimentaire, de sa souveraineté et de sa dignité. Cette initiative dans l'élaboration d'un plan à décliner sur plusieurs décennies aurait pour élément moteur, le barrage vert dont la composante végétale devrait être revue dans le sens d'une plus large diversification qui devrait réserver une place prépondérante à la culture du pistachier, de l'olivier, du jujubier, de l'arganier, du jojoba, du câprier, du cactus et autres espèces fourragères à introduire, à partir des régions arides. Cette action à l'échelle de toutes les étendues des régions des Hauts Plateaux est de nature à favoriser l'amorce d'une authentique politique de grands travaux, génératrice d'emplois pour les populations locales, dont les sources de revenus restent intimement liées aux aléas de l'activité pastorale. C'est pourquoi, la steppe est aussi à considérer, dans son caractère d'écosystème fragile, comme espace à protéger, à restaurer et à aménager. De par la fragilité de ses parcours, les mécanismes de gestion de cet espace doivent nécessairement s'imprégner de l'esprit communautaire qui doit être le dénominateur commun de toute action partenariale à promouvoir, en vue de la conciliation des intérêts de la pratique pastorale avec ceux de la remontée biologique. C'est dans cette équation qui lie l'homme à son milieu, dans un destin commun, que doit être pensé le statut de la steppe qui tarde à venir. La conjugaison des actions du barrage vert à celles de la steppe doit également trouver son prolongement dans la réalisation de brise-vent et de ceintures vertes à l'effet de prévenir le risque d'ensablement des établissements humains et des infrastructures économiques, tout particulièrement au niveau des régions du Sud et des Hauts Plateaux. Dans le même ordre d'idées, l'amélioration de la composante paysagère à l'intérieur et autour des villes est une autre action à entreprendre, dans le cadre de l'amélioration des conditions de vie de nos concitoyens, dans un environnement empreint d'aridité. Cette mutation profonde attendue du secteur agricole dans sa relation avec le segment hydraulique de l'irrigation n'a de chances de porter ses fruits, que si elle se conjugue à l'adaptation des systèmes d'éducation, de formation professionnelle et d'enseignement supérieur qui doivent intégrer dans leurs projections futures, la permanence de la variabilité climatique.

Elle sous-tend également, un meilleur usage des matériaux locaux pour la construction d'habitats mieux adaptés à l'aridité du milieu. Elle souligne aussi l'intérêt dans le développement des énergies renouvelables en tant que systèmes énergétiques mieux adaptés aux réalités des exploitations agricoles et plus particulièrement des exploitations familiales. Ceci pour dire que la question des changements climatiques ne peut être traitée convenablement dans ses différents volets, que si elle s'inscrit dans le principe d'une compétence partagée, qui tend à cerner les contours d'un destin commun, à l'échelle de toute une nation. Elle nécessite également des travaux prospectifs autour de cet enjeu majeur et une plus large implication de la communauté scientifique et technique qui devra intégrer cette donnée fondamentale en tant que constante dans ses travaux de recherches. Outre cette prise en charge au niveau national, l'on devrait rechercher des dénominateurs communs avec d'autres pays du continent Africain, du moyen Orient, de l'Asie et de l'Amérique du Sud pour constituer une communauté d'intérêts à opposer à celle des pays développés qui nous impose la taxe carbone, alors qu'ils sont les plus concernés et que c'est à nous de leur exiger les taxes déforestation et désertification pour avoir spolier nos richesses et induits la ruine écologique dans bon nombre de nos contrées, depuis les nuits obscurs de la colonisation.