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Vers le chemin de la tolérance

par Meziane Abdellah*

Alors que les musulmans d'aujourd'hui forment un peu ple de loin supérieur dans ses idéaux et son mode de vie, à la société matérialiste de l'Occident, et que tout observateur impartial doit admettre l'absence de toute trace d'orientation spirituelle chez la plupart des musulmans contemporains, car actuellement, les musulmans ne sont pas loin d'être à égalité avec leurs précepteurs occidentaux, et dire même qu'ils sont devenus plus matérialistes qu'eux, puisque en Occident, on respecte toujours l'intelligence, la réussite culturelle, l'effort individuel, tandis que chez les sociétés musulmanes contemporaines, seuls comptent pour elle l'argent, la carrière, le prestige personnel; au point qu'un homme riche jouit parfois de plus de prestige qu'un homme sage. Il ne fait aucun doute que nous assistons actuellement peut-être au dernier stade de la dégénérescence musulmane, car si les musulmans d'aujourd'hui continuent dans la voie dans laquelle ils sont engagés, nous arriverons inévitablement au point ou le mot musulman sera vide de tout sens, c'est à dire que les musulmans seront autant ou aussi peu musulmans que les Américains ou les Européens ne sont chrétiens, avec en plus une haine intérieur de son autrui. Si l'histoire des musulmans toute entière et toutes les sources possibles de leur fierté commune sont liées à l'Islam et à lui seul, les musulmans contemporains ne peuvent être que condamnés à courir aux basques des civilisations étrangères et à devenir une espèce de parasites culturels, à moins qu'ils trouvent un moyen de faire revivre l'Islam de la tolérance et d'en faire le moteur de leur vie puisque l'Islam ne peut leur être d'aucun secours tant qu'ils ne postuleront pas pour lui afin qu'il forme le moteur de leur existence, car épiloguer sur les valeurs spirituelles de l'Islam et faire de sorte en même temps que la vie, dans tous ses aspects pratiques, ne soit en rien moulée sur les principes de l'Islam, qui constitue une dépense en pure perte tout autant qu'une malhonnêteté de ce fait, l'hésitation passive actuelle entre un consentement de principe et une abdication de fait de l'Islam devant les exigences de la civilisation Occidentale est indigène et insensé, car seule une communauté de second rang peut se comporter de la sorte.

Certaines voix nihilistes se battent à travers les différents médias du monde occidental, pour faire pousser les décideurs des lois musulmanes à aller de l'avant afin d'écrire une nouvelle version des textes religieux, tout en abrogeant les versets traitant l'héritage des femmes et le port du voile, à l'instar de ce qui a été fait pour le droit canon chrétien à une certaine époque de la chrétienté, au point qu'aujourd'hui le pape ne pouvant plus déclare l'apostasie comme un péché mortel. Si le Coran par ses preuves liées aux progrès scientifiques contemporaines, qui le déterminent comme une oeuvre qui est loin d'être celle de la main de l'homme et que l'abrogation de ses versets s'avère impossible puisqu'il est dit dans le Coran que « Dix-neuf sont chargés d'y veiller (sur le Saint Coran ) », ce que l'imam de la mosquée de Tucson en Arizona, aux Etats-Unis d'Amérique, Monsieur Rashad Khalifa, avait pu prouver en analysant le texte arabe du Coran à l'aide d'un ordinateur, et d'y constater que le Coran est effectivement construit en constante relation avec le nombre dix-neuf (19) comme une suite numérique indissociable. Penser aujourd'hui l'Islam consiste donc en priorité à prendre et à faire prendre conscience de ce processus historique, et à le déconstruire. Mais il n'est guère facile de traverser les couches épaisses et successives des interprétations et des manipulations qui se sont exercées sur le texte pour remonter au message originel et appréhender toute sa richesse. Il faut donc le saisir dans sa globalité et dans ses intentions, non dans ses injonctions circonstancielles car, une telle déconstruction remettrait d'abord en cause l'idée très répandue selon laquelle les premières générations de musulmans, les «pieux anciens» avaient une meilleure connaissance et une meilleure application des préceptes de l'Islam. En effet, les premiers musulmans qui avaient en charge de mettre en application ce qu'ils comprenaient de l'Islam ne pouvaient le faire que dans le cadre des systèmes cognitifs et sociaux à leur disposition puisque leurs solutions étaient dictées par des impératifs qui ne sont plus les nôtres et s'y conformer aujourd'hui, revient en définitive à couper le lien entre la religion et la vie. Penser l'Islam aujourd'hui avec une nouvelle application du Coran et des textes fondateurs pour être plus fidèle à l'esprit et à l'objectif ultime du message du Prophète Mohamed «QSSL», sans toucher à l'intégrité des versets du Saint Coran ou chercher à les abroger, c'est démasquer le caractère trompeur de ces traditions venues du fond de l'Arabie préislamique et qui prétendent refléter les volontés du Prophète, alors qu'elles ne sont, et ne peuvent être, que des représentations influencées, de bonne ou de mauvaise foi, par des facteurs historiques susceptibles d'être analysés par les méthodes des sciences humaines et sociales modernes. Grâce au retour aux idéaux de l'Islam et à la recherche du dessein de la voie divine, il est possible de parvenir à mobiliser les efforts des musulmans, dans le projet de changer les réflexions nihilistes et de les rendre plus justes, plus conformes à l'esprit de la religion musulmane. Puisque avant l'avènement de la modernité occidentale, l'Islam était porteur d'avancées sociales et politiques; et qu'au moment où le catholicisme était beaucoup plus exclusiviste, la tolérance de la religion musulmane était reconnue jusqu'à Voltaire et Locke car les dispositions juridiques que contient le Coran constituent une avancée par rapport à la Torah puisque en Islam, les femmes héritent et elles ont un statut juridique, alors même si on ne peut faire la synthèse de la Bible et du Coran, l'Islam peut-être interprété et vécu aujourd'hui en conformité avec les valeurs de la modernité et le respect des droits humains universels, mais pour donner cette nouvelle image à la religion musulmane, il faut s'appuyer sur les valeurs du dialogue qui sont prônées par l'Islam et qui ont été largement explicitées par le Coran et les Hadiths, car il ne peut y avoir de paix entre les peuples sans la concorde entre les religions et les cultures, car pour le bon croyant, il est important de faire le plus de bien afin de préparer l'avenir de l'humanité. L'autre point qui renforce cette concorde et qui a été mis en exergue par l'Islam, c'est la valeur de l'altérité puisque l'Islam accepte l'altérité et incite les musulmans à collaborer avec les autres, sans ségrégation aucune. Parmi aussi les valeurs véhiculées par l'Islam, la justice et l'équité. Cependant, il est de toute nécessité pour donner une nouvelle compréhension de la religion musulmane et de faire une nouvelle lecture des textes religieux, tout en envisageant une autre lecture d'interprétation pour l'application des versets coraniques conforme à la lumière de la modernité, loin de la haine colonialiste et des guerres de religions, afin d'impulser davantage les préceptes de l'Islam et d'en faire des valeurs attractives pour le futur de la nation musulmane et de l'humanité à travers le monde, puisque seule cette façon de procéder permettra de donner à l'Islam une nouvelle vision, une nouvelle image, notamment auprès de ceux qui l'ignorent ainsi que des nihilistes. En effet, si les valeurs universelles de tolérance, de respect et de dialogue sont propres à toutes les régions, l'Islam en a fait des préceptes qu'il véhicule et inculque à tout musulman, mais pour faire saisir ces valeurs, il faut que les penseurs contemporains sur l'Islam éditent des ouvrages, de différentes langues, qui expliquent et explicitent ces valeurs tout en démontrant que les accusations portées sur l'Islam ne sont que des préjugés et des actes égarés de certains musulmans se considérant orthodoxes.

Depuis le siècle dernier des sa vants se lèvent tour à tour et appellent à une renaissance de la civilisation musulmane par un retour aux sources fondamentales de la religion qui est le Coran et la tradition du Prophète. Ils tiennent à ce que les querelles historiques d'interprétation soient dépassées afin de promouvoir une lecture des sources qui soient en prise avec notre temps. Ainsi, ils font la distinction entre la voie de la législation « la Charia » et le travail d'interprétation appliquée des juristes «le Fiqh», afin que les musulmans se libèrent des querelles d'école et reviennent à l'essentiel du message de l'Islam. Comme le Coran et la Sunna ne donnent que les grandes lignes de la législation et les juristes, chacun selon les besoins de son temps, ont effectué un travail d'interprétation et promulgué des lois respectant l'esprit des textes de base. Ils ont effectué un travail d'hommes pour les hommes de leur temps et les résultats auxquels ils sont parvenus, s'il faut les respecter, ne doivent pas être sacralisés. Cette distinction entre « Charia » et « Fiqh », une fois assimilée, impose aux musulmans contemporains, de faire le point sur les affaires sociales (mu'âmalât) et de produire une législation « Fiqh », en adéquation avec leur temps et qui s'inspire des références fondamentales. Il est l'heure d'engager une large réflexion qui tienne compte des réalités concrètes des sociétés musulmanes dans un monde en constante évolution. Que les savants (Ulémas) et les spécialistes des divers domaines de l'action sociale et politique, des champs d'investigation économique et financière se réunissent et travaillent de concert pour établir les priorités et les perspectives d'une société qui, dans son ordre et ses objectifs, s'approche autant que possible des recommandations divines de justice et de respect des autres. Pour ce faire, il convient de dépasser les querelles sur les détails et de s'engager dans le sens d'une profonde réforme des mentalités chez les musulmans contemporains et même de permettre une transformation radicale des sociétés musulmanes, pour aboutir à une meilleure application de la religion musulmane ainsi qu'une vision améliorée chez les autres, sans chercher à changer les bases canoniques de la religion musulmane.

Chacune des trois religions monothéistes possède un recueil d'écritures qui lui est propre. Ces documents constituent le fondement de la foi de tout croyant qu'il soit juif, chrétien ou musulman. Ils sont pour chacun de ceux-ci la transcription matérielle d'une révélation divine, directe comme dans le cas d'Abraham ou de Moïse qui reçurent de Dieu même les Commandements, ou indirecte dans le cas de Jésus et le Prophète Mohamed, le premier déclarant parler au nom de Dieu, le second transmettant aux hommes la Révélation communiquée par l'Archange Gabriel. La prise en considération des données objectives de l'Histoire des religions oblige à placer sur le même rang l'Ancien Testament, les Evangiles et le Coran comme recueils de la Révélation écrite. Mais cette attitude partagée en principe par les musulmans n'est pas celle admise par les croyants des pays occidentaux, à influence judéo-chrétienne prédominante, qui refusent d'attribuer au Coran le caractère d'un Livre révélé. De telles attitudes s'expliquent par les positions prises par chaque communauté croyante vis-à-vis des deux autres en ce qui concerne les Ecritures. Le judaïsme a pour livre saint la Bible hébraïque. Celle-ci diffère de l'Ancien Testament chrétien par l'addition opérée par ce dernier de quelques livres qui n'existaient pas en hébreu. En pratique, cette divergence n'apporte guère de changements à la doctrine. Mais le judaïsme n'accepte aucune révélation postérieure à la sienne. Le christianisme a repris à son compte la Bible hébraïque en y ajoutant quelques suppléments. Mais il n'a pas accepté tous les écrits publiés pour faire connaître aux hommes la mission de Jésus. Son Eglise a effectué des coupes extrêmement importantes dans la multitude des livres relatant la vie de Jésus et les enseignements qu'il a donnés. Elle n'a conservé dans le Nouveau Testament qu'un nombre limité d'écrits dont les principaux sont les quatre Evangiles canoniques. Le christianisme ne prend pas en considération une révélation postérieure à Jésus et à ses Apôtres. Il élimine donc à ce titre le Coran. Venue six siècles après Jésus, la Révélation coranique reprend de très nombreuses données de la Bible hébraïque et des Evangiles puisqu'elle cite très fréquemment la «Torah» et l'Evangile ». Le Coran prescrit à tout musulman de croire à l'écriture antérieure à lui (sourate 4, verset 136). Il met l'accent sur la place prépondérante occupée dans l'histoire de la Révélation par les Envoyés d'Allah, tels que Noé, Abraham, Moïse, les Prophètes et Jésus qui est placé parmi eux à un rang particulier. Sa naissance est présentée par le Coran tout autant que par les Evangiles comme un fait surnaturel. Le Livre accorde à Marie une mention toute spéciale puisque la sourate n° 19 du Coran porte même son nom. Force est de constater que ces dernières données concernant l'Islam sont généralement ignorées par les Occidentaux. Comment s'en étonner quand on évoque la manière dont y furent instruites tant de générations des problèmes religieux de l'humanité et dans quelle ignorance elles ont été tenues pour tout ce qui touche à l'Islam. L'utilisation des dénominations de «religion mahométane» et de «mahométans» n'a-t-elle pas été entretenue et ce jusqu'à nos jours, pour maintenir dans les esprits la conviction erronée qu'il s'agissait de croyances répandues par l'oeuvre d'un homme et dans lesquelles Dieu ne peut avoir aucune place ?

Par le fait que nous vivons dans le cadre d'une seule civilisation, alors même que les religions et les cultures sont plurielles. L'échange entre les mondes judéo-chrétien et musulman est jalonné de contre-sens puisque le Moyen-âge fut une époque de véritable échange mais sur fond de polémique, voire de guerre. Quand la religion musulmane fut de nouveau évoquée, dans la philosophie des lumières, son instrumentalisation antichrétienne n'a pas permis une réelle analyse de son contenu. Et ce, en dépit de ceux qui tentèrent de la lier aux modes de vie des populations. L'oubli de la polémique religieuse au profit d'une sociologique a été réalisé par le développement de « l'Orientalisme », mais ce fut souvent au détriment d'un réel dialogue, cette discipline ayant tendance à plaquer des schèmes de rationalité occidentale sur les faits étudiés sans prendre en compte les rationalités des acteurs eux-mêmes. L'Orientalisme est ainsi devenu une connaissance biaisée, mêlant des faits empiriques à des interprétations sur-codifiées dans un code étranger à ces faits. Le plus étonnant est que ce système biaisé a fonctionné comme un miroir pour l'intelligensia arabe, souvent tentée d'y lire son propre vécu. Un dialogue nouveau devrait éviter de reproduire les lapsus du passé, en contournant la question de guerre afin de réfléchir de façon moderne, c'est-à-dire sociologique, sur les valeurs et les préjugés des civilisations et des religions. Il faudrait oser lancer un programme d'études occidentalistes parmi les intellectuels arabes car de telles études, qui analyseraient les modes de vie et les valeurs occidentales dans le cadre de rationalités nouvelles, permettraient un véritable travail de connaissance de soi et de l'autre car chaque être humain unique, à chaque instant de sa vie, du point de vue biologique, culturel et religieux est capable de créer une démesure distinctive du moment que ce mystère est un espoir car la diversité est la grande richesse commune de l'humanité.

Pendant que les hommes s'affrontent et se faisaient la guerre, les civilisations et les cultures, elles, ont eu le temps de se rencontrer pour former enfin une seule civilisation de cultures différentes, car elles s'étalaient sur des générations d'humains dont l'influence et la grandeur fluctuaient et se délocalisaient sans arrêt d'une latitude à l'autre et d'une communauté à l'autre, sur des siècles. Comme il est dit au sein du Coran : « Ô ! Vous les gens ! Nous vous avons créés d'un homme et d'une femme et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus pour que vous vous entredonnassiez... » et que dans la Bible il est dit que : « Dieu n'est pas partial, mais qu'en toute nation l'homme qui le craint et pratique la justice est agréé de lui », l'Espagne médiévale, durant la période musulmane, était une terre fertile propice à différents genres de dialogue au sein des différentes communautés religieuses et culturelles, au point que l'interaction entre l'Espagne musulmane et l'Europe a contribué à l'édification de l'Europe moderne telle que nous la connaissons aujourd'hui, pourquoi il est question de continuer à engager les voies de cette culture dont la majeure partie a disparu, afin de créer une interaction dynamique entre les différents groupes religieux et culturels, dans une problématique de changement puisque les liens majeurs entre les religions et les cultures doivent être renforcés en permanence par le dialogue et par la connaissance mutuelle comme il est indispensable de défendre l'identité de chacun par la réflexion et l'échange et cela grâce à la création d'espaces soutenus d'entente et de résolution de conflits entre les cultures et les religions, puisqu'il ne convient pas de parler de dialogue de cultures sans vraiment parler des cultures religieuses, car le monde contemporain aspire à vivre dans l'amitié des peuples et des religions puisque l'amitié, qui Chercher à se rapprocher de l'autre, à le connaître et à le comprendre, est ce qu'il y a de plus nécessaire pour vivre ensemble parce qu'elle est le plus grand des biens pour les religions et les cultures, voire même entre les hommes et les femmes des différents pays du monde car l'amitié authentique vit avant tout des valeurs de l'esprit, qui sont ce que les véritables amis échangent d'abord et qui fonde les amitiés durables. Parce que l'amitié et religion vont ainsi de pair, qu'il en va pour les cultures et les religions comme pour les personnes ; en conséquence, chaque individu à travers le monde est amené par la démarche de l'amitié à s'interroger, à ajuster ses idées, ses comportements, à les modifier, à se dégager de son modèle conceptuel, méthodologique, culturel et religieux, tout en opérant un transfert sur lui-même d'attitudes, de comportements, de pratiques professionnelles parce que ce travail de soi sur soi, par l'échange avec l'autre est un facteur fondamental, puisque l'échange est une autre école que l'école, du moment qu'il déstructure et reconstruit parallèlement, tout en permettant le transfert de soi à soi, puis de soi à l'autre, au contact de réalités, de savoirs, autrement découverts et appropriés au préceptes de la voie divine de chacune des religions monothéistes en particulier et de l'ensemble des cultures en général.

*Ancien élève de l'Ecole des sciences philologiques de la Sorbonne.