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Le sens d'une victoire

par Brahim Snoussi

Les plus belles des victoires sont celles que l'on rempor- te sur soi-même. Cette sentence s'applique admirablement à l'équipe nationale d'Algérie. Après un parcours presque triomphal, elle tombe dans le misérable traquenard d'une soirée cairote, traquenard imaginé sans nul doute par les politicaillons qui gouvernent l'Egypte. C'est presque le crime parfait puisque, après l'agression que l'on sait, suivie d'une nuit agitée dans un hôtel retentissant d'une opportune noce, un deuxième but encaissé au bout de la nuit ramène l'Egypte à une égalité parfaite avec l'Algérie. Un tel scénario avait tout du cauchemar pour une équipe jusque-là dans une phase ascendante et tout du miracle pour l'Egypte qui devait en retirer un avantage psychologique déterminant...

 Mais voilà. Cette équipe meurtrie, choquée, a réussi contre toute attente à trouver les ressources morales pour se sublimer à Khartoum, scellant le dernier acte d'un vaudeville qui aurait pu tourner à la tragédie. Cette histoire aurait pu rester anecdotique. Il ne s'agissait après tout que d'un match de football. De plus, l'équipe d'Algérie a connu la défaite plus souvent qu'à son tour durant ces vingt dernières années. On connaissait sa fragilité psychologique, son indiscipline, la valse des entraîneurs, le manque de sérieux de la Fédération... Il se trouve que, pour la première fois, le scénario prévu ne s'est pas réalisé parce qu'il s'est trouvé des acteurs, joueurs et supporters, pour le refuser.

 Ceci dépasse à l'évidence le cadre du football et constitue une sorte d'allégorie de ce que pourrait être l'Algérie si elle refusait la logique mortifère qui produit l'exclusion, le désespoir et qui incite des milliers de nos jeunes à risquer leurs vies sur des coquilles de noix pour fuir leur pays.

 Et si le sursaut d'orgueil qui a conduit nos footballeurs à transcender le sort et à arracher une victoire qui semblait avoir décidé de les fuir se transmettait à notre peuple ? Et si, lui aussi, avait le courage de refuser la fatalité du sous-développement et du malheur ? Et s'il se remettait à croire à une victoire collective qui serait le fruit d'une communauté de destin ? Et, en un mot, s'il en finissait avec la haine de lui-même qui nourrit sa pulsion suicidaire ?

 Le comportement de l'Egypte officielle a été ignoble. Si le gouvernement et les médias s'étaient désolidarisés des énergumènes qui ont caillassé le bus des joueurs algériens, les esprits se seraient sans doute calmés et nous n'en serions pas aujourd'hui à ce degré de haine. Non seulement ils ne l'ont pas fait, mais ils ont jeté de l'huile sur le feu en affirmant que l'agression avait en réalité été simulée. Ce faisant, ils se sont montrés à la hauteur des voyous lanceurs de pierres. Ils sont les vrais responsables de ce qui aurait pu verser dans le drame. Rien d'étonnant à cela. Ce sont ces mêmes responsables qui ont mené l'Egypte au stade de la mendicité internationale puisque, toute honte bue, ils encaissent les deniers de Judas que leur versent les Etats-Unis en échange de leur soumission à l'ordre yankee. Ce sont ces mêmes responsables qui avalent sans broncher toutes les couleuvres que leur sert leur suzerain israélien. Ce sont ces mêmes responsables qui participent au malheur des Palestiniens en contribuant à l'étranglement de Gaza, Gaza qui a fêté dignement la victoire algérienne ! Ce sont ces mêmes responsables affairistes, corrompus, qui prospèrent sur la misère de leur peuple.

 Il ne faut surtout pas confondre ce dernier avec ses dirigeants ! Ainsi, les attaques conduites contre des Egyptiens en Algérie sont parfaitement condamnables. Elles révèlent la grossièreté de leurs auteurs et leur absence totale de lucidité. Ces citoyens sont les hôtes de l'Algérie et l'une des valeurs de notre pays est le traitement amical, fraternel, des étrangers. A cet égard, nous avons manqué à cette belle tradition. De la même manière que nos footballeurs ont vaincu leurs vieux démons du renoncement et de l'indiscipline, il faut que notre peuple en finisse avec ces comportements qui ne le grandissent pas. Il faut laisser aux dirigeants égyptiens le monopole de la lâcheté et du déshonneur. L'attitude envers le peuple d'Egypte doit rester fraternelle ; il faut l'aider à retrouver, avec nous, le chemin de l'honneur et de la dignité. N'oublions jamais la fraternité d'armes qui nous a réunis en bien des circonstances, il n'y a pas si longtemps. Ne cédons pas à la facilité d'une rupture que certains appellent de leurs voeux. N'insultons pas une part de notre passé sous prétexte que nous la partageons avec l'Egypte qui n'en a, du reste, pas la propriété exclusive.

 Et si ce match de football était une ruse de l'Histoire ? Et si ces jeunes footballeurs, en plus de nous offrir la joie d'une qualification pour la Coupe du Monde, nous interpellaient sur notre inaptitude à réussir notre développement, notre vivre-ensemble, notre incapacité à donner un sens à notre destinée ?