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La faim dans le monde :  un fléau à éradiquer

par Jose Manuel Barroso

De nombreux sommets sont prévus cette année, mais le sommet mondial sur la sécurité alimentaire mérite une attention particulière.

Cette réunion, qui se tiendra à Rome du 16 au 18 novembre, conférera un élan politique essentiel à trois problématiques étroitement liées et faisant partie des principaux défis de ce siècle : la sécurité alimentaire, la biodiversité et les changements climatiques. Nous essuyons actuellement un échec collectif dans la lutte contre la faim dans le monde. Plus d'un milliard de personnes dans le monde ne disposent toujours pas aujourd'hui d'une alimentation suffisante pour satisfaire leurs besoins nutritionnels de base quotidiens, et la situation s'aggrave dans les pays en développement.

 Il s'agit là, avant toute chose, d'un véritable scandale moral. Comment est-il possible en effet, au vingt et unième siècle, alors que l'homme est allé sur la Lune et en est revenu, que nous ne soyons toujours pas en mesure de nourrir tout un chacun sur notre planète ? Les responsables politiques se doivent, par ailleurs, de reconnaître que l'insécurité alimentaire est liée aux effets durables de la crise économique et aux changements climatiques en cours, et qu'elle constitue une menace réelle pour notre société dans son ensemble.

 Soyons justes : les principaux dirigeants du monde ont réagi. À l'occasion du récent Sommet du G-8 de L'Aquila, en Italie, nous avons pris l'engagement ferme «d'agir avec toute la force et l'urgence nécessaires pour atteindre une sécurité alimentaire globale» et nous nous sommes collectivement engagés à verser 20 milliards de dollars sur trois ans. Il s'agit là d'un engagement considérable, mais qui pourrait ne pas être suffisant - il y a lieu de faire plus encore pour accroître la production agricole, pour libéraliser le potentiel commercial de manière à renforcer la sécurité alimentaire, et pour gérer l'impact croissant des changements climatiques sur l'agriculture.

 La Commission européenne a elle aussi réagi, en dégageant, dans le cadre de différents instruments, des moyens financiers en faveur de la sécurité alimentaire. La «facilité alimentaire» de l'Union européenne, adoptée l'an dernier, mobilise aujourd'hui un milliard et demi de dollars supplémentaire en vue d'apporter une réponse rapide à l'escalade des prix alimentaires. Et nous injecterons quatre milliards de dollars supplémentaires dans les trois années à venir, en vue du financement d'activités destinées à aider les États à améliorer la sécurité alimentaire et à s'adapter aux changements climatiques.

 L'accroissement des moyens financiers destinés à l'élimination des problèmes de sécurité alimentaire, notamment, doit constituer l'un des principaux aboutissements des programmes financiers vigoureusement soutenus par l'Union européenne en vue du prochain grand rendez-vous que constitue la conférence de Copenhague sur le climat, en décembre. La configuration des changements climatiques ainsi que l'ampleur et la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes nécessiteront des investissements substantiels si l'on veut que les agriculteurs puissent s'y adapter avec succès. Les plus pauvres sont le plus durement frappés par ces changements et les tendances globales masquent des disparités régionales considérables.

 Les petits agriculteurs, des pays en développement principalement, seront les premières victimes des changements climatiques. Si nous n'agissons pas rapidement, les 40 pays les plus pauvres, principalement en Afrique subsaharienne et en Amérique latine, perdront, d'ici à 2080, de 10 à 20 % de leur capacité de production de céréales de base pour cause de sécheresse.

 Des solutions à ce problème sont toutefois à portée de main. L'impact de la biodiversité est souvent insuffisamment compris, avec, pour conséquence, que nous avons sous-évalué la contribution que cet élément peut apporter pour relever les défis globaux. Plus les formes de vie sont nombreuses et différentes au sein d'un écosystème donné, plus grande est sa souplesse de réaction face au changement.

 La biodiversité peut donc agir en tant que « police d'assurance » naturelle contre les changements environnementaux soudains et amortir les pertes provoquées par ceux-ci (ainsi que par les catastrophes et les maladies). La biodiversité joue un rôle essentiel en matière de production alimentaire sûre et stable à long terme. Les famines qu'ont connues l'Irlande au dix-neuvième siècle et l'Éthiopie à la fin du vingtième siècle démontrent clairement la vulnérabilité des cultures non diversifiées aux changements environnementaux et les conséquences dramatiques de cette vulnérabilité pour la population.

 La diversité des cultures offre également d'importants avantages en matière d'écosystème. Les variétés résistant à la sécheresse et aux inondations permettent non seulement d'accroître la productivité mais aussi d'éviter l'érosion des sols et la désertification. Dans le sud du Ghana, par exemple, les agriculteurs sont arrivés à réduire le nombre des mauvaises récoltes résultant du caractère variable et imprévisible des précipitations en cultivant plusieurs variétés résistantes à la sécheresse d'une seule et même espèce. En outre, la diversification des cultures a réduit les besoins en pesticides coûteux et nuisibles pour l'environnement.

 Je suis convaincu qu'il faut donner davantage d'importance à la biodiversité pour lutter contre les changements climatiques et améliorer la sécurité alimentaire; et qu'une plus grande attention doit être accordée à ces éléments à un haut niveau.

 La semaine prochaine, lors de la réunion des dirigeants à Rome, j'espère que nous nous entendrons sur les priorités essentielles en matière de lutte contre la faim et l'insécurité alimentaire, et plus particulièrement sur la désignation d'une source d'information faisant foi, chargée de conseiller les gouvernements et les institutions internationales dans le domaine de la sécurité alimentaire. En fait, nous avons besoin, en ce qui concerne la sécurité alimentaire, de la même chose que ce que le panel intergouvernemental des Nations unies a fait dans le domaine des changements climatiques: un système d'alerte rouge pour la planète, reposant sur des bases scientifiques. Et, à l'aube de mon nouveau mandat de cinq ans à la tête de la Commission européenne, je m'engage à continuer à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour défendre cette question essentielle.

 Mais même les politiques de financement les meilleures et les plus modernes resteront vaines si les gouvernements des pays développés ne font pas suivre leurs engagements par la mise à disposition de budgets et par des investissements de meilleure qualité dans le domaine agricole au niveau mondial.

 Que le sommet mondial sur la sécurité alimentaire apporte en fin de compte la preuve évidente d'un engagement de tous les gouvernements en faveur d'un objectif commun : un monde dont la famine soit éradiquée. L'histoire ne anquera pas de nous juger défavorablement si nous échouons.