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C'est moi Ben Ali?

par Ahmed Saïfi Benziane

Nous sommes confusément en mille neuf cents deux mille neuf et qui pouvait douter de la réélection du Président Tunisien ne serait-ce que pour jouer à croire en une démocratisation de la vie politique dans un pays arabe, maghrébin de surcroit ? En face trois candidats dont un de gauche qui s'empêtre dans son passé communiste résiduel, un lièvre qui défend les libertés syndicales tout autant que le libéralisme et un nationaliste, qui prône une juste place du secteur public au moment où l'ouragan du libéralisme souffle même sur la Chine. Résultat : Ben Ali est élu à plus de 80% et des poussières laissant à ses concurrents de quoi se faire les dents.

 Pour la cinquième fois. C'est la vitesse maximum puisque l'âge d'un candidat à la présidence tunisienne, ne saurait excéder constitutionnellement 75 ans et il n'en n'a que 73. En plus ses cheveux sont étonnement noirs. Selon le schéma en vogue les tunisiens ont dû d'ores et déjà prévoir une révision de leur constitution vers 2013. Bien sûr que sur l'aile Est de ce petit pays particulièrement apprécié des vacanciers algériens et des petites bourses germano-françaises, tant que la frontière Ouest reste fermée; on ne peut que constater cette drôle de ressemblance, avec notre pays. La Mauritanie ayant renoué avec les coups d'Etat, la Lybie disposant de trop d'argent pour s'ouvrir à la pluralité, le Maroc respirant d'un seul poumon d au fur et à mesure que l'on s'éloigne de Tanger vers Smara, le Maghreb demeurerait la chasse-gardée de la France, qui sait présenter ses félicitations aux gagnants en lâchant ses majorettes politiques par vocation, pour crier au secours de la démocratie et des droits de l'Homme.

 Dans la Tunisie on essaie de voir les progrès de la libéralisation de la femme et l'efficacité de la lutte contre l'intégrisme religieux. On avance les chiffres de la croissance par le tourisme et l'agriculture principalement. On y organise des rencontres internationales surtout en basse saison pour soutenir les graphes. On ferme les yeux sur la corruption, sur l'injustice, sur la confiscation de la parole, sur la liberté de la presse, sur les prisonniers d'opinion, sur la mainmise de quelques familles quant au revenu national. Les plages sont propres, le soleil tape fort, les grands hôtels sont réservés aux étrangers, les touristes s'en donnent à cœur joie et la proximité méditerranéenne facilite toute intervention en cas de pépins selon les accords internationaux. C'est ce que l'on appelle la souveraineté territoriale. Et Ben Ali passe comme un SMS. Dans l'Algérie on voit des puits gros comme le chagrin, une immensité géographique qui reste une réserve de croissance pour le tourisme, des cadres en quantité suffisante, une main d'œuvre bon marché inutilisable et inutilisée, un islamisme apprivoisé, une armée qui ne demande que la paix au fur et à mesure qu'elle s'équipe et un gouvernement immuable qui ne sait rien faire en dehors de se sucrer. Mais on ferme les yeux sur la fermeture du jeu politique, sur le transfert clandestin des capitaux, la passation de marché de faveur, la bi nationalité ambigüe, les revendications regganiennes, l'éviction de toute opposition sérieuse.

 Bouteflika passe comme MMS avec l'image d'un homme aussi tranquille que la révolution qu'il mène, un pigeon à la main prêt à s'envoler, l'autre main retenant son cœur. Dans le Maroc on voit un allié sûr, un multipartisme qui ne remet rien en cause qui touche le palais, une monarchie en voie de constitutionnalisation depuis l'ère alaouite, Djmââ Elfna bourré de brochettes, les erriads bon marché, une population aimable, des piscines pleines d'eau de vie, une destination touristique qui attire les pauvres et les riches, un joint fumé en paix, un stock de phosphate pour les engrais et une population qui travaille tellement qu'elle n'a pas le temps de s'intéresser à la politique. Mais on ferme les yeux sur la liberté d'expression, sur la mendicité, sur l'exclusion, sur l'immigration clandestine, sur Ceuta et Melilla, sur la RASD. Et Mohammed VI est un bon message vocal.

 Dans la Mauritanie on voit une immensité qui peut servir un jour du fait qu'elle a été créée pour ça, des dromadaires qu'on appelle des chameaux par déformation linguistique, une population tellement peu nombreuse qu'elle mériterait de vivre dans le quart de la Tunisie, une poubelle nucléaire, une côte poissonneuse de quoi nourrir toute l'Afrique et des femmes qui ne représente aucun dangers tellement elles sont grosses. Mais on ferme les yeux sur la misère dans l'arrière pays, sur des coups d'Etat d'une armée sans armes, sur les concessions truquées, sur les détournements des dons internationaux, sur le rôle joué par les humanitaires dans la perpétuation de l'esclavage par ignorance de la société.

 Et Mohamed Ould Abelaziz est un spasme récupérable pour l'avenir américain de la région.

 Dans la Lybie on voit un partenaire riche qui a des ambitions continentales, une source d'investissements indirects, un territoire qui regarde vers la mer mais qui ne voit que le désert, un pouvoir stable par généalogie transmissible via une légende disparue. Mais on ferme les yeux sur les infirmières bulgares dont on se demande ce qu'elles faisaient là-bas, sur le Lockerbie, sut les suisses en résidence, sur le lac qui a pompé l'eau algérienne et sur les tenues afro-arabo-occidentales du leader. Kaddafi est un message électronique sans adresse que celle d'une tente royale. Devant cette vison français de la situation du Maghreb et se débattant encore avec la positivité de sa colonisation, le pays des Droits de l'Homme a tout intérêt à négocier avec tous les Ben Ali au pouvoir. Ils sont d'ailleurs bien dégourdis.