Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La crise alimentaire: dommage collatéral de la récession de l’économie mondiale, ou une tragédie oubliée ?

par A. Zaber *

La faim gagne du terrain, lentement mais sûrement. Cette situation d'insécurité alimentaire mondiale ne peut être occultée.

642 millions de personnes en Asie et le Pacifique; 265 millions en Afrique subsaharienne; 53 millions en Amérique latine et les Caraïbes; 42 millions au Proche-Orient et en Afrique du Nord et 15 millions au total dans les pays développés.

1,02 Milliard, un chiffre effarant - Une tragédie ! Plus de 25 000 personnes meurent chaque jour de sous-alimentation. (FAO).

Et pourtant et selon la FAO, «la récente aggravation de la faim dans le monde n'est aucunement le résultat de mauvaises récoltes au niveau mondial, mais de la crise économique qui a provoqué baisse des revenus et pertes d'emplois», ce qui a réduit l'accès des pauvres à la nourriture. De son côté, Josette Sheeran, directeur exécutif du Programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) signale et recommande que «La progression rapide de la faim provoque une gigantesque crise humanitaire et que le monde doit se ressaisir et s'activer pour satisfaire les besoins d'urgence tout en pensant à des solutions à long terme». La situation risque de devenir encore plus dramatique.

Cet appel aurait?il un écho?

Mais que fait la communauté internationale ? Ne doit-elle pas réagir à la mesure de cette tragédie, de ce scandale ? Est-il acceptable et humain que la faim soit encore la principale cause de la mortalité dans notre monde d'aujourd'hui ? Les responsables de ce monde «civilisé» ne doivent-ils pas prendre conscience que chaque jour des gens ne meurent pas uniquement du sida et du cancer mais faute de n'avoir pas trouver de quoi se nourrir pour rester en vie. Pourtant le concept de sécurité alimentaire est bien clair : «La sécurité alimentaire consiste à assurer à toute personne et à tout moment un accès physique et économique aux denrées alimentaires dont elle a besoin» (FAO, 1983)- Ces responsables de ce monde «civilisé» ne supposent-ils pas que cette crise silencieuse aux conséquences mondiales représente une grave menace pour la paix et la sécurité de l'ensemble des pays de la planète. Un monde affamé n'est il pas un monde dangereux.

Delors que cette crise perdure, il serait difficile et même impossible de répondre à cette définition du concept de sécurité alimentaire tel qu'il est stipulé (PAM, 1989) que: « La sécurité alimentaire correspond à la capacité pour toute personne de posséder à tout moment un accès physique et économique aux besoins alimentaires de base».

Malheureusement, ce problème de la faim persiste, non en raison d'un manque de nourriture, mais parce que ceux qui en ont le plus besoin sont privés des moyens de produire où d'acheter les vivres qui leur permettraient de s'alimenter et de préserver leur dignité. (On produit assez pour nourrir tous les habitants de la planète). «Ce qui est scandaleux, c'est que les chiffres augmentent, et jusqu'où il va falloir monter pour que la communauté internationale se mobilise sérieusement sur ce fléau de la faim». (ONG Action contre la faim)

L'objectif du Sommet mondial de l'alimentation fixé pour 2050 s'éloigne t-il pas de plus en plus et devient-il pas impossible à atteindre alors que la réponse a été très vite engagée pour arrêter ou du moins atténuer la récession de l'économie mondiale engendrée par les irresponsables financiers de Wall street, responsables du crash financier planétaire.

Pourquoi cette progression fulgurante et qui s'éloigne de plus en plus de l'objectif du miliénaire ?

Réduction du nombre de repas, report sur des denrées moins chères mais moins nutritives, emprunts, déscolarisation des enfants?; c'est les enseignements de l'étude menée par le PAM sur les conséquences de la crise économique sur les ménages de la classe moyenne jadis épargnée par la crise alimentaire.    L'ONU fait remarquée que»Les plus sévèrement frappés ne sont pas nécessairement les plus démunis des pauvres, mais une nouvelle catégorie qui doit faire face à un dérapage abrupt dans la misère».

1,02 milliards et ce, malgré que le secteur agricole résiste mieux à la crise économique mondiale que les autres secteurs.

Même les deux institutions de Bretton Woods que sont la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (Responsables en partie de cette situation avec leurs PAS) ont déclaré que l'une des pires crises mondiales a, pour le moment, conduit plus de 50 millions de personnes à vivre dans l'extrême pauvreté, et pourtant, et dés le début du crash financier, ces deux institutions, comme le Forum économique mondial, ont répertoriée plusieurs risques majeurs déjà pour l'année pour 2008. Parmi eux, la sécurité alimentaire.

Dans un communiqué, le FMI et la Banque Mondiale déclarent que «L'économie mondiale s'est dramatiquement détériorée et que les pays en développement font face à de graves conséquences puisque la crise économique et financière se transforme en une catastrophe humaine » et « Personne ne sait combien de temps durera la crise >> selon Robert Zoellick, président de la Banque Mondiale.

Or, que fait la communauté internationale ?

Cette communauté internationale qui s'est érigée en gardienne de ce monde, cette gardienne de ce capitalisme aveugle et sans âme, un capitalisme responsable de cette fulgurante et catastrophique progression de miséreux de cette planète bien qu'elle soit aux prises avec la récession mondiale, a-t-elle le droit d'oublier ses engagements envers les personnes, au nombre d'1,02 milliard, qui souffrent de la faim?

La communauté internationale, que des promesses et des intentions, de sommet en sommet de grandes déclarations sur la faim sont faites, des promesses de don sont lancées, déplore Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation. En ce sens, le directeur général de la FAO, avertit que : « Ce qui est important aujourd'hui, c'est de réaliser que le temps des paroles est désormais révolu «. La prise de conscience ne suffit plus. L'appel de M.Diouf, Secrétaire Général de la FAO, sur l'urgence de dégager un large consensus sur l'éradication totale et rapide de la faim dans le monde sera-t-il entendu ?

Les Etats peinent à s'accorder sur des solutions concrètes.

l Plusieurs organisations ou experts de l'aide alimentaire se sont dit choqués par la disproportion des moyens et déplorent l'écart entre les moyens mis en œuvre dans un cas et la passivité dans l'autre.

En effet, il y a un écart patent entre les moyens mis en oeuvre pour tenter de juguler la crise financière mondiale et la passivité de la communauté internationale face à la crise alimentaire et humanitaire. On mobilise en un temps record quelque 1000 milliards de dollars pour les banques, mais quand il s'agit de la faim et de la pauvreté, cette mobilisation fait défaut.

La FAO n'a-t-elle pas toujours rappelée qu'il fallait relancer l'investissement en agriculture ? La crise économique a fait oublier cet impératif, son impact sur les plus pauvres, le rend pourtant encore plus que nécessaire.

«Les dirigeants mondiaux reconnaissent qu'il y a une crise mondiale de la pauvreté, mais l'ont ignorée». Or, la faim et la malnutrition ne cessent de progresser «Alors que le monde développé a dégagé plus de 1000 milliards de dollars en quelques semaines pour empêcher ses banques de faire faillite, il ne parvient pas aider les pays les plus pauvres à surmonter la crise alimentaire» (Oxfam) et déplore l'écart entre les moyens mis en œuvre dans un cas et la passivité dans l'autre.

La préoccupation majeure des puissances économiques et industrielles n'est-elle pas résolument les cotations du Dow Jones, du Nasdaq, du CAC 40, du Nikkei et autres Dax? ?

Cette crise financière et économique est- elle seule responsable de cette catastrophe humanitaire ?

Un désastre planétaire qui s'explique en grande partie et en premier lieu par l'inaction des gouvernements, pourtant le développement de l'agriculture doit être au centre des préoccupations.

Déjà paupérisées par la mondialisation, les populations se retrouvent dans l'incapacité d'assumer cette charge de se nourrir, trois facteurs, « les C.B.CF», (Les Changements Climatiques, les marchés émergents des Biocarburants et la Crise Financière et économique) dont l'impact, en se conjuguant, à encore davantage fragiliser les ménages les plus pauvres. Ces trois facteurs sont lourds de conséquences.

Les changements climatiques et ses perturbations dramatiques (Pluies déluviennes, Inondations, sécheresse,?) engendrant morts et désolations, les biocarburants et son expansion au détriment de la production de nourriture, et cette crise économique mondiale et ses conséquences sur les investissements et le chômage.

Certes, lors du sommet du G8 de l'Aquila (Italie - Juillet 2009), il a été question de consacrer 20 Milliards de $ US dans le but d'accroître les investissements pour l'augmentation de la production agricole dans les pays en développement afin de garantir la sécurité alimentaire dans le monde. Cet engagement, ne serait-pas encore une fois, qu'une simple déclaration intention ?

D'ailleurs et vu l'extrême gravité de la situation, le directeur général de la FAO, J. Diouf, avertis que, « Ce qui est important aujourd'hui, c'est de réaliser que le temps des paroles est désormais révolu « Or, y a-t-il eu de réactions ? Au Sommet du G20 de Pittsburgh (USA - 2009), la préoccupation c'était les finances surtout et aucunement la crise alimentaire.

L'Objectif de réduire à défaut de l'éradication de la crise alimentaire dans l'immédiat pourrait-il être atteint avec l'apparition de la problématique de la Grippe A (H1N1).

Cette tragédie de malnutrition, de la faim et de la pauvreté s'aggravera certainement, le nombre de miséreux s'accroîtra encore d'avantage pour cause de pandémie de grippe A (H1N1) qui touche pratiquement l'ensemble des pays de la planète. Le monde aujourd'hui fait face à la pandémie du siècle qui selon l'OMS, se propage à une grande vitesse. Ainsi, cette problématique de la sécurité alimentaire qui déjà, n'était pas inscrite parmi les priorités dans les agendas des grands de ce monde pour raison de crise économique ne se verra certainement pas prioritaire avec cette nouvelle grande menace. Certes, la menace est bien réelle et le souvenir de la pandémie du siècle dernier avec ses 50 millions de morts est bien présent, les objectifs des pays riches se porteront sur la protection de leur population. A cet effet, et certainement dans cet avenir immédiat. Les puissances de ce monde se détourneront encore une fois de ce problème des mal famés et, à l'image des autres institutions (la FAO, PAM, FIDA) qui ne cessent de sensibiliser et de compter le nombre de victimes de la faim, l'OMS, quant a elle comptera le nombre de victimes qui seront terrassés par le H1N1 parmi ce 1,02 milliard qui n'auront même pas la force et la vitalité face à une grippe saisonnière. La loi de la jungle ou le faible n'a pas le droit de vivre. Il est fort probable qu'avec ces prévisions et ces scénarios catastrophiques sur les conséquences de cette pandémie, la communauté internationale se détournera encore une fois de ce problème de sécurité alimentaire.

Cette malédiction ne viendra qu'à se rajouter à cette population déjà incapable de se protéger, le vaccin c'est pour les autres, surtout qu'il ne sera disponible en quantité suffisante pour les 6 milliards qui peuplent cette planète.

L'Objectif de réduire à défaut de l'éradication de la crise alimentaire pourrait-il être atteint avec l'apparition de la problématique de l'achat des terres par des investisseurs et des pays étrangers.

La flambée des cours des produits agricoles en 2007 et 2008 et la dépréciation des valeurs financières induite par la crise actuelle ont incité de gros investisseurs internationaux et même des Etats à se tourner vers l'acquisition de terres agricoles, aujourd'hui considérées comme actifs stratégiques.

Cette ruée sur le foncier agricole des pays sous-développés ira en s'accélérant sous les effets de l'essor démographique.

Blé, riz, soja, maïs, lait, café? Ces matières premières sont et resteront des valeurs refuges.

L'étude réalisée par l'Institut International pour l'Environnement et le Développement (IIED, Londres) à la demande de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) et du Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA) met en évidence le fait que ces transactions ont augmenté rapidement depuis cinq ans.

Les pays en voie de développement ayant produit, mondialisation oblige, une législation favorable à la cession de terres agricoles aux étrangers (vente directe, concession sur de très longues périodes, exploitation en partenariat étranger majoritaire, etc.). Cette opportunité a permis à des pays de forte population ou de faible SAU l'acquisition de terres fertiles (Chine, Corée du Sud, Arabie Saoudite, les Emirates Arabes Unis?). La sécurité alimentaire est devenue un enjeu stratégique de premier ordre. Or, cette nouvelle problématique n'engendra t-elle pas de nouvelles conséquences ? N'aggravera t-elle pas la situation d'insécurité alimentaire dans les pays ouverts à la cession des terres agricoles ? Cette pratique de vente du foncier agricole à l'étranger n'est elle pas en contradiction du principe de souveraineté nationale et de dépendance de l'étranger ? Ne serait-il pas juste de baliser cette réglementation afin d'éviter que cette pratique de ventes de terres agricoles ne s'opèrent pas au détriment des intérêts de la nation ? Dans un article paru dans un hebdomadaire national, Nordine Grim, fait remarqué que pour l'Algérie, qui dispose d'à peine 0,5 hectare de surface agricole utile par habitant, une surface, de surcroît, en constante régression en raison de la croissance démographique, de l'avancée du désert et de l'érosion, le cas se pose avec acuité et qu'il serait plus avantageux d'acheter des terres fertiles à l'étranger.

Selon l'expert Mourad Boukella, directeur de recherche au Centre de recherche sur l'économie appliquée et du développement et professeur à la Faculté des sciences économiques et de gestion d'Alger, la SAU ne représente que 3% de tout le territoire national, et le taux par habitant n'est que de 0,254 ha, soit le plus faible de la Méditerranée. Compte tenu de cette contrainte de faiblesse de la SAU, du manque d'eau et du climat semi-aride de notre territoire agricole, cette solution d'acquisition de terres fertiles à l'étranger peut être exploitée comme solution face à la crise alimentaire afin de sortir du risque de l'importation et de la dépendance de l'étranger. La facture alimentaire grève lourdement le budget de l'état, du fait de cette crise économique engendre une baisse du prix des produits exportés par les pays en développement. Le FMI, prévoit que cette baisse devrait être plus forte pour les pays en développement et elle sera particulièrement dommageable aux économies tributaires de leurs exportations comme principale source de devises.

Et en Algérie, existe-t-il une réponse à la sécurité alimentaire ? A notre futur alimentaire ?

Mourad Boukella fait remarqué que notre pays ne s'est-il pas enlisée dans le modèle agro importateur presque entièrement dépendant sur le plan alimentaire du marché international ? Cette situation de dépendance n'est elle pas un risque d'insécurité alimentaire ?

Au regroupement de Sétif du 22.10.2008, le ministre de l'agriculture et du développement rural, Rachid Benaissa a souligné que « la production agricole et la sécurité alimentaire doivent être perçues comme des éléments essentiels de consolidation de la souveraineté nationale et requièrent à ce titre, un éveil collectif » marquant du fait que la sécurité alimentaire est au centre des préoccupations majeures et l'objectif de la politique agricole. Déjà, et Lors de la JMA 2008, il a annoncé que « l'augmentation de la production nationale et l'accroissement des rendements sont les objectifs stratégiques que se fixe le renouveau de l'économie agricole et rural pour assurer la sécurité alimentaire de notre pays et renforcer son indépendance alimentaire ». C'est dans cette vision que la politique de Renouveau de l'économie agricole et de Renouveau Rural est mise en œuvre. Une politique construite autour de 10 programmes de développement et d'intensification des filières appuyées par un ensemble de batteries, de mécanismes et de mesures très incitatives qui entrent dans l'optique de la sécurisation de la chaîne agricole en amont et en aval, dont notamment le financement des exploitations agricoles par le crédit «RFIG», un crédit de campagne sans intérêts et la mise en place du système de régulation des produits agricoles de large consommation «le SYRPALAC». Un système qui est mis en place afin de protéger les revenus des producteurs en régulant le marché en cas d'excédents de production et d'éviter la perte de la production.

Pour la mise en œuvre de ces programmes et outils de cette nouvelle stratégie, des contrats de performances ont étés signés avec l'ensemble des wilayates aux fins de l'atteinte des objectifs fixés et ce, par l'intériorisation de la culture des résultats, le respect des engagements contenus dans les contrats de performance, le respect des délais d'exécution, l'assurance de la mobilisation et de l'implication active de tous et surtout la garantie d'une gestion rationnelle des ressources.

Ces défis peuvent ils être réalisés, délors que des contraintes certaines se posent et influent négativement sur le développement agricole ? La faiblesse de la SAU, une agriculture pluviale, un vieillissement de la population agricole dont 36,2% des chefs d'exploitation ont plus de 60 ans, 65 % sont sans instruction, l'inexistence de la notion de gestion de l'exploitation agricole (2 % seulement tiennent une comptabilité) et 70 % des exploitations (25,4% de la SAU totale) sont de 0,1 et moins de 10 ha. (RGA 2003) en plus du phénomène de l'implosion des EAC en micro exploitations.

En plus de ces contraintes qui influent négativement sur le développement agricole, la définition de nouvelle organisation et de nouvelles approches de la relation avec les agriculteurs ne peuvent- elles pas être développées ? Le dispositif est sans cesse à redynamiser. La recherche agronomique, la formation des agriculteurs et la vulgarisation agricole ne sont ?elles pas des facteurs et des conditions de qualification des agriculteurs, de professionnalisation et de développement agricole ? Le développement des exploitations agricoles ne peut se limiter uniquement aux investissements, le développement des exploitations est aussi tributaire des compétences et des capacités des agriculteurs.

La nécessité de l'accompagnement des agriculteurs par l'élévation de leur niveau de qualification et, par là, l'élévation du niveau technologique des exploitations agricoles deviennent des impératives de production, de rendements, de coût de production et de qualité de production, de gestion rationnelle des moyens de production et de l'utilisation des prêts et des subventions.

L'intégration de la dimension économique dans cette nouvelle politique de Renouveau de l'Economie Agricole, est une dimension importante. Elle impose un changement important dans le contexte d'action des agriculteurs ce qui n'est pas sans conséquences sur la façon d'aborder l'exploitation agricole.

La sécurité alimentaire est un grand défi.

* Agronome - Alger