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Le prix Nobel de la paix et l'Algérie, une distinction manquée ?

par Mohamed-Rédha Mezoui*

Suite et fin



C/ POURQUOI L'ALGERIE

A-T-ELLE MANQUE D'ETRE HONOREE PAR UN PRIX NOBEL DE LA PAIX ?

Ils étaient nombreux ceux qui avaient anticipé sur les chances réelles de l'Algérie d'être lauréate du Prix Nobel de la Paix dès l'année 2003. Ces derniers se basaient sur la reconnaissance des prouesses de l'Algérie tant au sortir de la grave crise interne (politique du Pardon), dans son agir diplomatique en faveur de la consolidation de la paix (l'Union africaine, le Nepad, la médiation Ethiopie-Erythrée), que dans sa volonté affichée de mettre en place en Etat de droit dans le pays (élection présidentielle 2004).

 C'est-à-dire un ensemble de fait légitimant en toute objectivité la pole position de l'Algérie par rapport à l'ensemble des prétendants à cette distinction. A cela, il avait été pris en compte qu'un rééquilibrage des attributions du Prix Nobel de la Paix vers les pays du Sud devait indéniablement s'opérer pour crédibiliser sa vocation universelle.

 Qu'est-ce qui aurait fait que l'Algérie n'a pas été honorée pour cette distinction pourtant annoncée depuis au moins 2003 ?

- Selon les hypothèses avancées par les analystes, il y aurait probablement :



1/ La campagne récurrente du « qui tue qui ? »



La thèse du « Qui tue qui ? » s'apparente à une croisade répétitive au gré de la conjoncture internationale et des positions géopolitiques du pays, accusant l'armée algérienne d'avoir pratiqué une politique « d'Escadrons de la mort » pendant la décennie noire.

 Les récentes déclarations du général Butchwalter, ancien attaché militaire à l'ambassade de France à Alger, l'été 2009 (8.7.09 - Liberté), s'apparentent à une nouvelle variante de la thèse répétitive du « Qui tue qui ? », laquelle suscite de nombreuses interrogations d'ordre géopolitique.

 

2/ L'affaire Bentchicou et ses répercussions négatives sur l'image de l'Algérie (22)

 C'est, semble-t-il, aussi à cause de l'affaire du journaliste et directeur du quotidien Le Matin, incarcéré le 14 juin 2005 et condamné à deux années de prison ferme, pour un motif considéré fallacieux par l'opinion publique car, masquant de façon grossière un délit de droit de critique et d'investigation sans lesquels il n'y a pas de presse libre et donc de démocratie.

 Une condamnation considérée comme arbitraire et qui a eu pour conséquence la mobilisation de nombreuses ONG, notamment Reporter Sans Frontières (RSF), la Fédération internationale des Journalistes (FIJ) et le président du Parlement européen, Josep Borell Fontenelles (Algeria News le 16.06.2005).

 Une sanction qui aurait, selon les observateurs, considérablement entaché l'image de l'Algérie à l'international notamment.

 C'est une affaire qui aurait été mal gérée, principalement à cause du vouloir plaire et du zèle déployé par les courtisans, les va-t-en guerre et autres opportunistes qui ont poussés aux décisions extrêmes de suspension du quotidien et de l'emprisonnement de ce patron de presse, connaissant l'exceptionnelle sensibilités du président Abdelaziz Bouteflika pour tout ce qui touche sa famille.

 Pourtant, « Savoir encaisser les coups » pour les politologues, c'est pour un président de République une qualité fondamentale » (Cf. les exemples de Tony Blair, Bush, Chirac, etc.).

 A ces deux hypothèses avancées pour l'explication de la non attribution du Prix Nobel de la Paix à l'Algérie, pourtant en pole position dès 2003, vient s'en ajouter une autre qui laisse entendre que le pays doit faire un deuil définitif quant à une éventuelle nomination à cette distinction internationale, notamment pour 2009.

 Ce palmarès en faveur du monde occidental est le reflet d'une des sources de sa domination sur le reste du monde, notamment par la maîtrise de la technologie qui, elle, est au coeur de la puissance contemporaine des nations.

 L'interface du Prix Nobel scientifique, qui est généralement une avancée significative dans la recherche pure, est indubitablement un avantage certain quant à l'ouverture de possibilités opérationnelles de produire des innovations et de les breveter « c'est en cherchant des lois que l'on découvre leurs applications... lesquelles prendront le nom charmant d'innovation dont toutes les structures économiques sont friandes » ( ). Le brevet permet en même temps de mesurer la capacité technologique d'un pays. Il est, avec la licence, ce lien immatériel qui assure le monopole à celui qui le dépose et qui a une valeur marchande, laquelle peut se transformer en une importante source de revenus, et donc une des principales causes de rivalité et d'inégalité, développant une nouvelle théorie, celle de la « guerre économique ».

 Les pays comme les Etats-Unis ont compris très tôt l'importance des moyens à accorder au développement de l'économie de la connaissance et à sa nécessaire domination. De son côté, l'Union européenne redouble d'effort pour ne pas se laisser distancer dans ce domaine comme le montre l'augmentation de 40 % la dotation budgétaire pour le « Programme cadre de recherche et de développement technologique » (PCRD), soit 54 milliards d'euros au troisième Salon européen de la recherche et de l'innovation à Paris, le 11.06.2007 (Les Echos 11.06.2007).

 Le Prix Nobel est aussi reconnu comme moteur pour la recherche, les résultats sont là quand les moyens y sont aussi. Le Prix Nobel est aussi et surtout une question de moyens.



3/ La transgression

des normes



 C'est la reconduction forcée en faisant sauter le verrou de la limitation des mandats - prônée par la Constitution - Pour le président Abdelaziz Bouteflika en 2008 qui apparaît comme une réfutation claire de l'application du principe de « l'alternance du pouvoir » (pas plus de deux mandats, sauf exception) comme norme fondamentale du modèle démocratique occidental. Un canon de l'idéologie libérale irrécusable pour les tenants des honorables membres des jurys de l'Académie Royale des Sciences de Stockholm, siège du Prix Nobel. L'Algérie doit-elle s'offusquer de ne plus espérer d'être lauréate d'un Prix Nobel de la Paix ? Surtout lorsque l'on prend conscience que derrière le spectacle de la remise des prix Nobel offert par le faste du cérémonial, la mise en scène, l'appropriation des symboles du progrès, de la science est occulte un instrument de consolidation de l'idéologie capitaliste libérale occidentale en même temps qu'une institution fondamentalement et structurellement inéquitable envers les pays du Sud.



? LA POLITIQUE DU BRAINDRAIN: UN EFFET PERVERS



- La course au progrès scientifique et technologique est un enjeu de pouvoir et de domination des plus implacables. On pourrait même sans crainte paraphraser Machiavel tant « La fin justifie les moyens ». C'est les Etats-Unis qui sont en tête du peloton pour la pratique de la politique du Braindrain. Laquelle est essentielle pour l'aboutissement des objectifs de recherches et d'innovations et de brevets. Il s'agit là de drainer la matière grise complémentaire et indispensable. C'est-à-dire toute celle disponible vers les pays pouvant les utiliser. C'est la politique dite du Braindrain.

L'inégalité des nationalités des brevets déposés en Europe (1997)

- LA POLITIQUE DU «BRAINDRAIN»

Il en est de même pour le Prix Nobel où les «sherpas» recrutés à grands renforts de moyens, n'apparaissent presque jamais à la lumière ou très rarement.

Une prise de conscience de la gravité du problème, quant au départ des compétences et de ces talents, en sciences et en technologie pour le Continent africain notamment, a suscité l'aspiration légitime des pays en voie de développement à vouloir les récupérer mais aussi à oeuvrer à retenir ceux qui ne sont pas partis. Une réflexion forte initiée lors du Colloque international sur la fuite des cerveaux en Algérie (le 02.06.2008 à Koléa/Algérie). Et où, selon le président du Syndicat national des chercheurs permanents, M. Smati Zoghbi, évalue à plus de 40.000 chercheurs algériens qui ont quitté le pays en dix ans (Soir d'Algérie 31.08.2009). Faut-il rappeler quelques réussites d'Algériens médiatisés : Elias Zerhouni (radiologie, USA), Senhadji (médecine Sida, France), ou encore Mohamed Banat (Prix scientifique international en physique nucléaire au Japon - Liberté du 17.07.2003).

 L'autre effet pervers dans cette course au progrès scientifique afin de garder l'avance de la maîtrise technologique et éviter d'être rattrapé par d'autres pays, l'attitude des Etats-Unis (entre autres) est significative, attirer des talents coûte que coûte, elle est sans état d'âme et où seule la course vers la puissance compte.

 En effet, sa politique du « Braindrain », c'est-à-dire du drainage des cerveaux en s'appliquant, notamment par l'offre de multiples avantages afin d'attirer des centaines de milliers de chercheurs du monde entier. C'est une fuite hémorragique de cerveaux qui est ainsi provoquée pour les autres pays du monde et qui en freine considérablement l'émergence de bon nombre d'entre eux. Une véritable machine à aspirer des milliers d'ingénieurs, de chercheurs, de talents, chinois, coréens, indiens, africains, européens, etc. (1998).

 C'est effectivement une véritable cohorte d'individus, anonymes mais talentueux, attirés du monde entier, pour des raisons multiples (financières, honorifiques, émulation, bien-être, etc.) lesquels, à l'instar des lancements d'engins dans l'espace, sont largués successivement comme les étages de propulsion, après utilisation et avoir mis en orbite la fusée spatiale ; la gloire restant exclusivement au pays d'accueil et concepteur de la mission.

 Une supériorité qui commence par la priorité donnée à la recherche fondamentale, où les multiples formes pour son encouragement, notamment l'organisation de la machinerie des Nobel.



NOTRE AVENIR DEPEND DE LA RECHERCHE FONDAMENTALE



CONCLUSION:

 Le Prix Nobel, en fin de compte, apparaît comme faisant partie de cette machinerie complexe qui a pour mission d'assurer, notamment par son rituel et son faste, la captation des savoirs, de la technologie et des talents dans le monde au profit des puissants.

 « Notre avenir dépend de la recherche fondamentale », soulignait le président de l'Académie des Sciences de France, Edouard Brézin (Le Monde 12.02.2005). Et c'est là une des fonctions du Prix Nobel des Sciences, en organisant l'émulation et la compétition dans cette direction.

 Dans sa déclinaison « Pour la Paix », le Prix Nobel a pour principale tâche de soutenir la reproduction et la défense d'un modèle capitaliste libéral et de ses canons idéologiques. Notamment par la production d'une communication émotionnelle mondiale pour un partage forcé d'un lien social global.

 Le Prix Nobel s'apparente ainsi aux compétitions de courses automobiles de formule 1, où seules les grandes écuries (multinationales ou lobbies) dotées de puissants moyens financiers, techniques et humains, peuvent prendre place dans les circuits et donner le spectacle de la puissance, du prestige et de la gloire.

 Une démonstration de force suscitant l'allégeance des faibles.

 C'est à cette inéquitable structure des Prix Nobel, et en particulier celui de « de la Paix » qu'il faut réfléchir afin de trouver impérativement des alternatives, car l'histoire montre que l'hégémonie sous toutes ses formes est source de violence.

 Trouver les moyens d'organiser la récompense, la distinction, la reconnaissance «des justes» de toutes la planète est socialement vitale pour l'humanité.



Références :

(22) Affaire Bentchicou. Algeria watch. 21.07.2005. www.algeria.watch.org

(23) Henri Laborit. Op cit. P. 314