Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Des pratiques handicapantes pour notre système éducatif

par Ahmed Houari*

Dans toutes les chartes éducatives des différents pays, il est clairement inscrit que la mission essentielle du système éducatif consiste en la formation intellectuelle et civique du jeune citoyen. Donc, le rôle du système éducatif est d'une importance capitale pour une préparation à une intégration harmonieuse du jeune citoyen à la société.

Seulement, il se trouve qu'un système éducatif d'un pays n'est jamais isolé du reste de la société dans sa propre mission. Par la nature de sa mission et la densité de sa composante humaine englobant toutes les couches de la société, le système éducatif d'un pays subit automatiquement les effets positifs ainsi que négatifs de la culture dominante au sein de la société. C'est dans cette optique que j'essaye dans cette contribution de mettre en évidence quelques anomalies que je juge comme étant des handicaps sérieux pour notre système éducatif. En même temps, je propose ici quelques remèdes afin de corriger la situation.

 Il est maintenant bien connu qu'il existe dans divers pays une industrie florissante du manuel parascolaire en parallèle de l'édition du manuel scolaire officiel. La raison d'être de cette industrie est de diversifier les moyens d'apprentissage, d'acquisition et d'entraînement mis à la disposition des apprenants. A l'instar de l'édition du manuel scolaire, celle du manuel parascolaire est régie par des normes strictes de qualité bien connues dans le domaine d'édition. Qu'en est-il alors de cette industrie chez nous ? D'abord, on constate progressivement une inflation galopante dans les titres des manuels parascolaires, tous cycles et disciplines confondus. Concernant la forme, on constate qu'il y a une proportion assez importante de ces manuels étant mal conçue et mal tirée. Vu la qualité médiocre de la conception et du tirage, on sent que les gens qui investissent dans ce créneau sont essentiellement motivés par le profit. Mais le plus inquiétant dans ce domaine est qu'on relève des erreurs fréquentes dans ces manuels. Ces erreurs pourraient être de simples erreurs de frappe mais quelquefois se sont des explications imprécises ou confuses sur des notions et des concepts de base dans les disciplines concernées.



Donc, il est clair que l'édition de ce type de manuels bâclés aura certainement des incidences négatives sur le processus d'apprentissage des apprenants. Il y a risque de les induire en erreur et même de leur faire apprendre carrément du faux. Pour sortir de l'anarchie dans cette industrie, il faut revoir complètement toute la chaîne de l'édition. Il faut commencer par le maillon initial en confiant la confection des manuels à des professeurs agrégés en la matière. En plus, il faut installer au niveau de la tutelle des comités de lecture par discipline composés de pairs confirmés, choisis exclusivement pour leur compétence avérée. Leurs tâches consistent à examiner systématiquement et minutieusement le contenu de tout manuel pédagogique destiné au public scolaire pour validation et finalement émettre un avis sur le mérite de publication. Ne devrait être publiable qu'un manuel conforme au programme officiel, scientifiquement correct et pédagogiquement attrayant. Ceci est une norme universelle dans le domaine de la production pédagogique.

 D'un autre côté, on assiste depuis maintenant plusieurs années à un phénomène de société qui prend de plus en plus d'ampleur, se rapportant à la généralisation des cours de soutien dans presque toutes les disciplines des différents cycles scolaires en parallèle de la fréquentation de l'école officielle. Sans prétendre analyser ce phénomène en profondeur, il importe seulement de rappeler ici la raison d'être de ce type de cours. Comme leur nom l'indique, ces cours devraient être normalement donnés à une catégorie d'élèves bien identifiée. Ils sont en principe conçus pour aider les élèves en difficulté scolaire pour différentes raisons psychologiques, sociales etc. Mais il se trouve que beaucoup de parents se croient obligés d'inscrire leurs enfants à ces cours afin d'anticiper et de remédier aux résultats médiocres de leur progéniture à l'école. Mais qu'en est-il exactement de ce type de cours ? Sans rentrer dans le détail relatif aux conditions de leur pratique, on constate dans la majorité des cas que ces cours sont essentiellement donnés afin d'améliorer les résultats scolaires au cours de l'année et surtout à maximiser les chances de réussite aux examens de fins de cycles (5ème année primaire, B.E.M. et Baccalauréat). Donc, il est évident que ces cours sont détournés de leur vocation première. Au lieu d'aider les élèves ayant des difficultés d'assimilation à renforcer leurs capacités de raisonnement, de critique et de jugement, on leur inculque des méthodes et des démarches mécaniques pour résoudre machinalement des exercices et des problèmes afin d'affronter les différents examens. Ainsi conçus et pratiqués, ces cours ne contribuent qu'à robotiser les apprenants au détriment du développement de leurs capacités d'analyse et de synthèse.

 Alors, si les deux pratiques mentionnées ci-dessus se déroulent à la périphérie de notre système éducatif, il y a d'autres anomalies qui sont malheureusement issues du sein même de ce système. Ici, je me contente d'en signaler deux pour leurs répercussions négatives directes sur le processus d'apprentissage des élèves.

 

D'abord, il faut rappeler qu'initier les apprenants à la recherche bibliographique est certainement très utile pédagogiquement. Il n'est plus à démontrer l'importance pédagogique d'orienter les apprenants à compléter et à approfondir leurs connaissances par une recherche documentaire personnelle à travers la fréquentation des différentes bibliothèques disponibles. Toutefois, grâce à la généralisation progressive de l'accès à l'Internet au sein de la société, on remarque depuis plusieurs années une pratique pédagogique contre-productive dans nos collèges et lycées qui consiste à exiger des élèves dans beaucoup de matières des projets de recherche en se basant exclusivement sur l'Internet comme source de documentation. En empruntant la solution facile, la majorité des élèves sollicitent les services de personnes tierces pour réaliser leurs tâches de recherche qui sont censées être le fruit de leurs propres efforts. Ces projets de recherche où réellement l'on ne cherche pratiquement rien sauf les fausses bonnes appréciations des enseignants sont souvent des documents synthétisés à partir du ?'copiage-collage'' de différentes sources de l'Internet. Néanmoins, il faut préciser ici qu'Internet, comme une nouvelle technologie d'information, est une toile où circule une quantité d'information qui croît exponentiellement avec l'inconvénient majeur que son contenu échappe jusqu'à présent à tout contrôle systématique. Beaucoup d'informations qui y circulent ne sont pas fiables. Donc, pour des jeunes apprenants non encore armés du sens de critique ne peuvent juger tout le temps pour eux-mêmes de l'authenticité et la qualité de l'information téléchargée. Il incombe aux enseignants et aux parents instruits de leur inculquer progressivement à discerner le vrai du faux et l'utile de l'inutile. Il s'agit d'une lourde responsabilité partagée entre les enseignants et les parents. Donc, il y a toute une initiation pédagogique à faire au profit des jeunes apprenants afin de faire de l'Internet un support pédagogique pour apprendre et s'instruire et de leur éviter à tout prix à s'asservir à ses usages nocifs qui sont assez nombreux. En fait, si le but recherché derrière ces projets est de développer les capacités d'analyse, de synthèse et de critique chez les apprenants, en procédant de la manière actuelle, on aboutirait à des résultats inverses. Avec une telle pratique, non seulement on fait sûrement perdre un temps précieux aux apprenants et de l'argent à leurs parents mais on accentue chez eux le manque du compter sur soi et du savoir-faire et, surtout, on cultive chez eux l'illusion de faire de la recherche documentaire. Par ailleurs, je profite de cette occasion pour attirer ici l'attention de nos responsables de l'Education qu'au rythme de notre développement technique et technologique actuel, avant de chercher à connecter tous les établissements scolaires au réseau Internet, qui est indiscutablement une initiative pédagogiquement très utile, il faut à mon avis d'abord respecter les priorités en besoins fondamentaux de ces établissements en les raccordant tous au réseau de Sonelgaz pour le chauffage et à celui de l'Algérienne des eaux pour l'approvisionnement en eau potable.

 

Enfin, il y a la pratique de la langue française dans les disciplines scientifiques et techniques en premiers cycles des facultés et des écoles supérieures. Par contact pédagogique avec des promotions successives d'étudiants issus de l'école fondamentale, on constate qu'ils sont en majorité très mal préparés en langue française pour poursuivre des études dans les disciplines scientifiques et techniques. Ces étudiants vivent durement cette situation durant leur parcours universitaire du fait qu'ils pensent spontanément dans leur langue maternelle en l'occurrence l'arabe ou l'amazigh et en même temps sont obligés à assimiler les cours, s'exprimer, lire et rédiger en français dont ils ne connaissent que des rudiments. Le résultat en est une frustration manifeste et une assimilation superficielle des enseignements.



C'est un problème très sérieux qui reste entièrement posé au sein de notre enseignement universitaire scientifique et technique. C'est pour cette raison, d'ailleurs, que cette question linguistique est un thème récurrent dans mes écrits précédents sur notre système éducatif [1]. A mon avis, la solution à ce problème est tout à fait classique qui consiste à emprunter la voie normale pratiquée à travers tous les pays du monde. Il est prouvé qu'on ne peut maîtriser une langue étrangère sans en avoir maîtrisé sa propre langue maternelle. En effet, il est bien connu en linguistique que les compétences linguistiques acquises en apprenant la langue maternelle sont transférables dans l'apprentissage de la langue seconde. Donc, il est évident que la maîtrise des langues étrangères dans notre système éducatif reste tributaire de la maîtrise de la langue arabe. Ceci explique pourquoi on accuse notre système éducatif de former des apprenants qu'on qualifie paradoxalement d'analphabètes bilingues. Aussi, je dois insister ici sur un fait fondamental. Par expérience, il est connu que les parlers maternels sont irremplaçables pour une expression fluide, claire et une pensée originale. Pour cela, il faut absolument décomplexer l'apprenant qui fait usage de son parler maternel en situation de blocage communicatif en milieu scolaire avec la seule condition que ce parler soit dépourvu d'emprunts étrangers pour éviter sa créolisation. Donc, il est salutaire pour notre développement intellectuel et culturel de valoriser nos parlers maternels comme outils de communication incontournables.

 Pour conclure, je dois signaler que la liste dressée ici des pratiques entravant le bon fonctionnement de notre système éducatif est loin d'être exhaustive. J'ai particulièrement insisté dans cet article sur quelques-unes de ces pratiques qui deviennent de plus en plus néfastes pour sa bonne performance. Après prise de conscience, je crois qu'il est du devoir de tout membre de la communauté éducative de s'impliquer afin de corriger ces pratiques ou du moins atténuer leurs effets négatifs.





*Département de physique

Université de Tlemcen



Notes:

[1] Ahmed Houari, ?'Contribution à l'amélioration des sciences fondamentales en graduation''. Le Quotidien d'Oran, N° du 15/10/2003.

Ahmed Houari, ?'Quelle(s) langue(s) à adopter pour un enseignement scientifique performant ?''. Le Quotidien d'Oran, N° du 21/10/2004.

Ahmed Houari, ?'De la stratégie linguistique à l'Université''. Le Quotidien d'Oran, N° du 08/11/2007

Ahmed Houari, ?'Les points faibles de notre système éducatif''. Le Quotidien d'Oran, N° du 24/07/2008.