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Espagne, une destination pas comme les autres...

par Chaalal Mourad

Depuis le dernier quart de ce siècle, l'Espagne, ce voisin à 15 km seulement du Maghreb et de l'Afrique, représente la frontière sud de la richesse européenne la plus proche du Tiers-Monde.

Deux villes, Ceuta et Melilla, sont même enclavées au Maroc, cette rive nord immédiate de notre mer Méditerranée «Mare Nostrum» (appellation romaine) se trouve convoitée par des masses d'immigrants légaux et illégaux.

 Nonobstant l'histoire récente des migrations touchant l'Europe, des mouvements de population de cette envergure rend l'Espagne un cas d'autant plus singulier que les Espagnols furent considérés, jusqu'au début des années 1980, comme un peuple d'émigrants.

 En effet, il n'y a pas si longtemps que le flux d'immigrants espagnols affluant vers les quatre coins du monde en quête de paix, de pain et souvent des deux à la fois, entre 1935 et 1940 l'émigration nette des Espagnols était de 101.872 (d'autres références parlent de 250.000, chose qui suscite bien des controverses). Les années de plus grande émigration espagnole furent entre 1955 et 1965, avec un total de 964.916 émigrants qui quittèrent la péninsule natale pour trouver ailleurs refuge et espoir d'une vie meilleure, fuyant la misère et la guerre civile (y compris des migrations politiques) qui faucha la vie à : 500.000 d'entre eux de juillet 1936 à mai 1939 (d'autres références parlent seulement de 200.000 victimes environ) guerre qui fut la conséquence dramatique, sur le long terme, des malaises sociaux, économiques, culturels et politiques qui accablaient l'Espagne depuis plusieurs générations. Après la proclamation de la 2ème République en 1931 et l'exacerbation croissante des tensions entre Espagnols culmina avec l'insurrection de 1934 des Asturies, réprimée dans le sang par les légionnaires appuyés par les unités marocaines sous le commandement du général Francisco Franco. Cette répression, d'une brutalité sans retenue (1 300 tués, 3 000 blessés, 30 000 arrestations) entraîne les protestations de tous les partis de gauche.

 A vrai dire, avant que le Maghreb ne fut une région d'émigration, c'était une zone d'immigration. A partir de la moitié du XIXe siècle jusqu'à la décolonisation du nord de l'Afrique, des milliers et des milliers de Français, d'Italiens et d'Espagnols (en majorité andaloux et levantins) ne cessaient d'aller et venir au Maghreb. Entre 1830 et 1962, l'Algérie considérée jadis comme la colonie française la plus importante, le recensement de 1896 en a fait état presque de 300.000 Européens, dont environ 100.000 Espagnols et autres 100.000 étaient espagnols nationalisés français. Un siècle après l'occupation française, l'élément espagnol domine le panorama de la présence européenne en Algérie. Entre les résidents nés en Europe 137.759 Espagnols contre 133.128 Français. En ce qui concerne les 524.248 Européens nés en Algérie, on estimait autour de 40 % ceux d'origine espagnole.

 L'émigration espagnole vers l'Algérie est un phénomène relativement ancien voire antique en comparaison à l'émigration espagnole vers le Maroc. L'arrivée des Espagnols dans les villes côtières algériennes remonte au XVe siècle, c'est-à-dire, durant la Reconquête (Reconquista). Quelques facteurs historiques qui ont lié l'Algérie à l'Espagne ont pu influer sur la préférence migratoire vers notre pays, depuis l'époque des Rois Catholiques, la Couronne espagnole ayant eu la souveraineté sur quelques sites du littoral maghrébin, tenta de nouer quelques relations (disons normales) bien que «Les rivages opposés d'Europe et d'Afrique furent plus constamment, plus cruellement ennemis que jamais : Littora litloribus contraria ».

 En effet, un grand nombre de morisques (moriscos) ont trouvé refuge en Algérie expulsés d'Espagne au début du XVIIe siècle et se sont installés dans nos villes côtières. Ensuite, c'est la Couronne d'Aragon qui eut un intérêt commercial en y tenant des relations de négoce mais, en 1509, Ferdinand, encouragé dans ses propres sentiments, et poussé par les conseils ardents de Ximénès, sponsor officiel de l'expédition, voulut avoir l'honneur et se donner la popularité de continuer le châtiment des Maures réfugiés en Afrique, qui devenaient, comme pirates, de jour en jour plus formidables, ou, du moins, plus incommodes aux puissances chrétiennes, et surtout à l'Espagne. Oran fut ainsi prise par l'armée du cardinal Francisco Jiménez (Ximénès) de Cisneros commandée par Pedro Navarro. «C'est la plus belle ville au monde», s'écria en 1509 le cardinal de Cisneros après avoir vu Oran la Joyeuse qu'il venait d'annexer par les armes à la couronne des rois catholiques. En 1563, Don Alvarez de Bàzan y Sylva, marquis de Santa-Cruz, fit construire au sommet du pic de l'Aïdour (Murdjadjo) le fort de Santa-Cruz qui porte encore son nom (et pas celui de la sainte Vierge comme le croient encore les Oranais), coincés dans le Rozalcazar, ou Bordj Lahmar, ou encore Château Neuf, considéré jadis comme la plus grande fortification de la ville d'Oran. Les Espagnols s`enferment à l'intérieur du fort, par manque de ravitaillement ils se nourrissent pour la première fois de la fameuse KARENTIKA (caliente o calientita) - en espagnol la modérément chaude. Malgré plusieurs expéditions à l'intérieur, les Espagnols furent bloqués dans la ville jusqu'en 1708. En 1732, ils entrèrent en Algérie à la suite de la victoire remportée à Aïn El-Turck par le comte Montémar, pour en sortir définitivement en 1792 à la suite du tremblement de terre qui détruisit la ville en 1790.

 L'Algérie coloniale comptait parmi le nombre le plus important d'immigrants et colons espagnoles qui se sont installés en travailleurs, entrepreneurs et, souvent, en grands propriétaires et maîtres fonciers, jouissant des avantages offerts jadis par l'administration coloniale, leur niveau de vie était bien meilleur que celui des Indigènes, quelques mois suffisaient aux saisonniers espagnols pour épargner entre 100 et 130 francs, sommes échangées en pesetas, représentaient en somme entre 30 à 50 pour cent à peu près du salaire annuel dans la Péninsule, déduits les mois de chômage saisonnier.

 La dernière émigration massive des Espagnols a eu lieu en 1939, à la fin de la guerre civile espagnole. En avril de ladite année, et à bord du «Stanbrook», ce sont 2.300 personnes qui ont débarqué à Oran, venant du port d'Alicante. Dans la province d'Alger, divers champs de réfugiés ont été installés. Un total de 10.000 réfugiés sont arrivés en Algérie.

 Aussi, convient-il de réfléchir à la place accordée à l'histoire de l'immigration espagnole en Algérie, par exemple, dans les différents espaces, publics et privés, concernés par cette mémoire.

 Actuellement, et restant fidèle et cohérente avec son histoire, l'Espagne veut avoir un statut de terre d'accueil et, selon l'Eurostat (Office statistique des Communautés européennes), laquelle indique qu'au cours des cinq dernières années (période 2001-2005), le nombre d'immigrés en Espagne a augmenté de quelque 3 millions (2.977.300). C'est dès 1997, toujours selon les chiffres d'Eurostat, que l'Espagne, aujourd'hui secondée par l'Italie, raflait à l'Allemagne, pour le conserver jusqu'à ce jour, le titre de nº1 européen de l'accroissement de l'immigration par an.

 En effet, dix ans de miracle économique espagnol, ponctués en 2005 par une croissance de 3,5 % (près de 3 fois la moyenne des pays de la zone euro), un excédent budgétaire de plus d'un pour cent du PIB (contre au moins 3 % de déficit pour la France, l'Allemagne et l'Italie) et un taux de chômage ramené à 8,7 % (moins qu'en France et qu'en Allemagne), alors qu'il était de 23,9 % en 1994.

 Des régularisations dites «extraordinaires» de clandestins. On en compte six depuis 1985, trois ayant été opérées par des gouvernements socialistes (la dernière au printemps 2005) et trois par les gouvernements conservateurs de José Maria Aznar. L'Espagne, qu'elle soit de gauche ou de droite, régularise donc massivement en moyenne tous les trois ans et demi. Aussi, les clandestins ne cessent-ils d'affluer dans l'attente d'une prochaine régularisation.

 Cette régularisation massive n'est pas sans raisons et nécessités économiques. En effet, bien que la population espagnole crût au XXe siècle de 112 %, «la baisse de la natalité a été non-stop», selon l'expert en comptabilité nationale et régionale, Julio Alcaide, qui, dans une étude intitulée «l'Évolution de la population espagnole au XXe siècle aux provinces et des communautés autonomes», explique que : le taux de natalité est passé de 17,7 % au début d'un siècle à 4,6 % dans la période 1995-2000. «La population a augmenté grâce aux facteurs compensatoires, comme la baisse de la mortalité infantile qui, au début du siècle passé, était de 50 % alors qu'aujourd'hui elle est pratiquement nulle, à l'espérance de vie, qui est en amélioration, et aux mouvements migratoires de ces dernières années», a expliqué Alcaide.

 «Grâce aux flux d'immigrants, notre pays tendrait à disparaître», a affirmé cet expert, qui considère que sans ceux-ci, le développement économique de ces dernières années n'aurait pas été possible».

 Bien qu'au point de vue de la qualité d'immigration et apport à la société espagnole en termes de valeur ajoutée on reproche au marché espagnol de ne demander en général qu'une catégorie de main-d'oeuvre immigrante de travailleurs manuels, secteur domestique, d'agriculture ou des mines, car pour les postes de qualifications spécifiques qui exigent des diplômes, la priorité est donnée aux nationaux. En effet, un immigrant avec bagage, qui vient en Espagne pourvu de visa, a plus de mal à être régularisé ou à s'intégrer qu'un clandestin qui débarque dans une embarcation de fortune sur les côtes des Canaris ou des Baléares...

 Les gens de faible culture y trouvent apparemment, et bien facilement, espace et moyen d'intégration en Espagne qu'un intellectuel à mon avis !

 Une analyse de la façon dont les cultures particulières se maintiennent et s'expriment dans la vie politique, sociale et économique à l'heure de la mondialisation, est plus que nécessaire à méditer pour le cas de l'Espagne plus concrètement.

 Les temps ont bien changé, ce pays déchiré par 3 ans de guerre civile des plus meurtrières et 36 ans de dictature franquiste semble acquérir une nouvelle vie, un nouveau souffle lui a été octroyé tel un sphinx qui renaît de ses cendres. L'Espagne entre de plein fouet dans le modernisme, elle rejoint de plein droit la CEE le 12 Juin 1985, où elle intégra, par la suite, toutes les structures de ce corps qui promet tant de bonnes choses à l'avenir des peuples de la rive Sud méditerranéenne avec toutes les belles et nobles valeurs qu'il fit siennes, Démocratie, Droits de l'Homme devenus les colonnes d'Hercule de cette nouvelle entité. Elle ratifia le traité de Maastricht le 07 Février 1992, y compris celui ayant trait au respect des droits de l'Homme, notamment la convention européenne des droits de l'Homme.

 L'essor économique (criard !) de l'Espagne frappe l'oeil du plus distrait, des infrastructures époustouflantes, des routes des autoroutes, des vielles villes revalorisées, des villes modernes qui naissent comme des champignons, une débauche architecturale de haut niveau à te couper le souffle, qui n'a rien à envier à ce qu'on voit à Munich, Paris ou à Londres, une explosion d'art, de culture. L'Espagne s'inscrit ainsi en un pays touristique de prédilection, ayant acquis ce cachet par excellence. A vrai dire, ce pays a beaucoup investi en efforts, moyens humains et financiers, il mit le paquet pour arriver, non sans l'aide de la communauté européenne. L'Europe solidaire confère à l'Espagne, outre l'aide d'aspect financier, un espace vital où sa politique étrangère s'exprime en toute rigueur, une autre portée stratégique qu'elle à toujours prisée à travers ses nombreuses «conquistas» et «compañas» outre-mer, davantage de puissance lui a été facilitée, l'Espagne peut désormais compter inconditionnellement sur l'Europe qui lui procure, selon le principe de solidarité, presque tout !.



Références bibliographiques: La sociedad rifeña frente al Protectorado español de Marruecos (1912-1956). Edicions Bellaterra, Barcelona, 2003.& J. B. Vilar, Emigración española a Argelia (1830-1900). Instituto de Estudios Africanos, Madrid 1975, et Aperçu historique statistique et topographique sur l'Etat d'Alger à l'usage de l'Armée expéditionnaire d'Afrique avec cartes, plans, vues et coutumes par CH.Picquet géographe du Roi et Monseigneur le Duc d'Orléans 1830).