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L’essor des banques islamiques

par Akram Belkaïd, Paris

 Loin des mises en accusation récurrentes des grandes places financières - accusations qui rebondissent actuellement en France avec l’affaire des bonus de la BNP - la finance islamique fait figure à la fois de thème à la mode et, pour certains, d’exemple à suivre. Il est vrai que la crise financière qui s’est abattue sur la planète depuis bientôt un an a pratiquement épargné la majorité des établissements propres à ce segment particulier. De fait, il n’y a eu ni faillite, ni scandale ni même polémique à propos de la rémunération des dirigeants de ces établissements, dont le fonctionnement repose sur le respect de la charia (notamment par une prohibition de l’intérêt).

 

Un engouement réel

 

 L’«islamic banking» a donc le vent en poupe comme en témoignent ces deux statistiques. A la fin 2008, le total de ses actifs sous gestion atteignait 840 milliards de dollars, un chiffre qui devrait atteindre les 1.000 milliards de dollars en 2010. Ces sommes, modestes en comparaison d’autres activités, notamment celle des produits dérivés, n’en attisent pas moins la convoitise de tout ce que la planète compte comme gérants de fonds. En un mot, tout le monde se met à la «finance musulmane» comme en témoignent les différents colloques organisés à Londres, Genève, Paris ou Manama. Il va sans dire que cet engouement fait la fierté de nombre de musulmans, qui y voient un triomphe de leurs valeurs par opposition à un secteur bancaire traditionnel qui doit faire face à plusieurs mises en cause, même si ces dernières ne semblent guère l’obliger à changer de fonctionnement comme en témoigne, une fois encore, la persistance de pratiques décriées telles que les bonus ou, plus grave encore, le développement de nouveaux outils d’investissements spéculatifs, cela comme si la leçon des subprimes n’avait pas été tirée.

 En se tenant à distance des produits dérivés ou autres techniques d’investissement complexes, les banques islamiques se sont en effet protégées et n’ont pas eu à subir le choc en retour provoqué par la dépréciation brutale de titres qui ne valaient plus sur le marché. Faut-il pour autant affirmer que ces banques sont plus sûres et qu’elles sont l’alternative aux établissements classiques ? La réponse n’est pas évidente et il faut se garder de faire des banques islamiques la solution aux maux de la finance moderne.

 

Plusieurs faiblesses

 

 Dans une récente étude (*), l’agence de notation Moody’s, qui suit le rating de dix banques islamiques, rappelle les grandes faiblesses du secteur. Tout en relevant que ce dernier profite d’une grande liquidité, ce qui le met à l’abri des tensions sur le crédit, l’agence relève d’abord que la spécificité des banques islamiques, c’est-à-dire la conformité à la charia, est telle qu’elle les oblige finalement à évoluer dans un segment étroit en matière d’investissement. Cela signifie une plus grande vulnérabilité aux chocs sectoriels puisque la diversification n’est pas toujours possible. Même si elles ont été limitées, les pertes enregistrées par les banques islamiques dans l’immobilier le montrent bien. Par ailleurs, Moody’s met en exergue deux autres faiblesses des banques islamiques : la première est une faiblesse structurelle en matière de gestion des risques, appréciation qui renvoie notamment au fonctionnement de ces établissements qui dépendent beaucoup de liquidités à court terme pour financer leurs engagements à long terme. Quant à la seconde faiblesse, elle concerne l’insuffisance des pratiques de « corporate governance » ou de bonne gouvernance. Une remarque qui rejoint les critiques du Fonds monétaire international (FMI) qui a appelé les banques islamiques à être plus transparentes.



(*) The Liquidity/Leverage Trade-Off for Islamic Banks - and its impact on their ratings, Août 2009.