Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Epargne de l'immigration et fuite des capitaux

par M. Saâdoune

L'argent des émigrés intéresse les banques françaises. Rien de bien nouveau. Les banques marocaines le font depuis longtemps et les transferts des MRE (Marocains résidents à l'étranger) sont devenus un élément très important de la structure financière globale du pays. A l'opposé, les banques algériennes, si l'on excepte la tentative avortée de l'Union méditerranéenne de banque, ne se sont guère intéressées à l'argent des ARE (Algériens résidents à l'étranger, pour reprendre l'abréviation des voisins), qui n'est pourtant pas négligeable. Les banques marocaines, en revanche, ont déployé depuis longtemps une stratégie puissante et soutenue pour canaliser et capter les fonds des expatriés.

 L'intérêt des banques françaises est relativement récent. Elles ont découvert la rentabilité des banques marocaines très actives qui trustent 85% des transferts des Marocains résidents à l'étranger. L'argent envoyé par les émigrés en direction des trois pays du Maghreb a dépassé les 7 milliards d'euros en 2008. Les transferts en direction du Maroc ont été de 4,7 milliards d'euros en 2008, contre 1,3 milliard pour la Tunisie et 1,5 milliard pour l'Algérie. Ces transferts représentent 9% du produit national brut (PNB) du Maroc, 4,9% de celui de la Tunisie. Un niveau important que l'on ne retrouve pas dans le cas de l'Algérie, où ils représentent à peine 1,6% du PNB.

 Diverses estimations, pas toujours désintéressées, situaient le flux annuel des transferts entre 5 et 10 milliards d'euros entre l'Europe et les trois pays du Maghreb. Mais la fourchette plutôt large devrait être mise en rapport avec des mouvements en sens inverse de l'épargne maghrébine. Ce serait près de 7 milliards d'euros par an qui quittent les pays du Maghreb pour l'Europe et les Etats-Unis.

 Si les banques algériennes n'ont pas accordé une grande importance aux transferts des Algériens établis à l'étranger, cela ne signifie pas qu'il n'est pas significatif. Ces transferts existent pourtant et atteindraient les 3 milliards d'euros par an. Sauf qu'une partie non négligeable emprunte des circuits informels. La vieille réticence à passer par les banques, qui remonte aux années du socialisme spécifique et des taux de change décourageants, est restée tenace. Le change dans le marché informel reste plus rémunérateur pour les détenteurs de devises. Un rapport commandé en 2005 à la Caisse d'Epargne française par le ministère de l'Intérieur en France montrait que les transferts des Algériens ont atteint 3,15 milliards d'euros, contre 2,13 pour le Maroc et 0,84 milliard pour la Tunisie.



De la main à la main

 

Les chiffres sont suffisamment importants pour pousser les banques françaises, déjà présentes au Maghreb, à oeuvrer à capter l'épargne de l'immigration maghrébine et à concurrencer des banques auxquelles elles sont parfois étroitement associées. En effet, beaucoup de banques marocaines et tunisiennes comptent des banques françaises parmi leurs actionnaires principaux. En juillet 2008, à la veille de la tenue du sommet inaugural de l'UPM, neuf établissements financiers privés des rives nord et sud de la Méditerranée (Maroc, Tunisie, Egypte, Espagne, Italie et France) ont créé un groupe de travail pour faciliter et abaisser le coût des transferts d'argent des migrants présents en Europe. Les banques algériennes n'en faisaient pas partie. Sans doute partagent-elles la conviction qu'elles ne font pas le poids dans la bataille pour la captation de l'épargne de l'immigration. L'image des banques publiques demeure plutôt négative, leur qualité de service et la gamme de leurs prestations ne supportent toujours pas la comparaison avec les voisins. Il faut dire aussi que la communauté algérienne à l'étranger a des raisons d'être échaudée après le passage de la comète Khalifa Bank où certains ont perdu leur épargne.

 Mais la captation de l'épargne de l'immigration algérienne n'explique pas toute la stratégie des banques françaises en Algérie. Pour des raisons diverses, les Algériens ne manifestent toujours pas d'inclination à transférer leurs avoirs par le circuit formel des banques. A l'inverse, ils exportent des capitaux. Beaucoup de ces transferts se font par les importations, via la surfacturation, qui ont atteint des cimes ces dernières années, estiment des spécialistes. D'autres transferts se font de « la main à la main » à travers de réseaux de quasi-banque informelle qui collectent des devises et des dinars. Les dinars sont essentiellement destinés aux entreprises, notamment pétrolières, qui ont des contrats en Algérie. La part dinars des travaux en Algérie est très majoritairement, et depuis longtemps, assurée par des échangeurs non officiels ayant pignon sur rue.

 C'est « un marché informel très encadré », estime ce spécialiste. Quand près de 40% du PIB se trouvent dans l'informel, on peut raisonnablement supposer que les transferts de l'immigration, quels que soient les circuits qu'ils empruntent, ne pèsent pas lourd face à l'argent qui quitte l'Algérie, sans retour.