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Le problème de la conservation des eaux de boisson en Algérie

par Yahia Dellaoui *

«L'eau est indispensable à la nutrition et à la santé publique en Algérie et presque toutes les branches de l'économie en dépendent. Or, l'eau contaminée est responsable de 80% de toutes les maladies et plus des 3/4 de la population rurale ne disposent pas d'eau salubre et potable ». C'est ainsi que dans une étude scientifique récente est présenté le problème de l'eau en Algérie. Cette étude classe, pour le besoin de ses enquêtes, les indices de la qualité de l'eau en 3 catégories.

 Une première catégorie comprend 13 indices de qualité de base, représentant les paramètres considérés comme importants pour une évaluation générale de la qualité de l'eau. Citons parmi ces paramètres la température, le pH, la D.B.O., la conductivité, l'oxygène dissous, les chlorures, les solides en suspension et les coliformes fécaux.

 Une deuxième catégorie comporte des déterminants d'importance mondiale comprenant des polluants durables et toxiques, tels que le cadmium, le mercure, le plomb et les composés organochlorés, qui sont susceptibles d'être transportés sur de grandes distances et de s'accumuler dans l'organisme.

 Une troisième et dernière catégorie est composée de déterminants dont l'étude est facultative et qui revêtent tous un intérêt local. Ils sont au nombre de 37. On peut citer, entre autres, le carbone organique total, la DCO, les tensioactifs non ioniques et anioniques, le chrome total, le chrome VI, l'arsenic, le bore, le sélénium, les cyanures, les phénols et les streptocoques fécaux.

 Le programme de l'OMS n'impose pas la détermination de tous les paramètres (60 environ au total) dans chacun des trois réservoirs hydriques naturels pris en considération, à savoir les cours d'eau, les lacs et les aquifères. Par exemple, la chlorophylle X ne doit être mesurée que dans les lacs, les matériaux en suspension dans les cours d'eau et les fluorures dans les aquifères.

 Cette classification met en relief les trois principaux types de contamination qui risquent de rendre une eau dangereuse pour la consommation.

 1) Contamination microbienne,

 2) Contamination chimique d'origine naturelle,

 3) Contamination physico-chimique due aux activités humaines.

 Nous ne pouvons, dans le temps et l'espace qui nous sont impartis, étudier tous les détails. Nous n'étudierons donc que les aspects généraux essentiels.



La contamination microbienne de l'eau

L'eau peut véhiculer n'importe quel germe de la microbiologie médicale (bactéries, virus et parasites mono ou pluricellulaires) : il faut et il suffit simplement qu'un germe puisse vivre quelque temps dans l'eau, le temps de son transfert d'un hôte malade à un hôte sain.Ce sont les germes résistants ou possédant des formes de résistance appropriée telles que spores, kystes, oeufs, qui seront véhiculés le plus longtemps, occasionnant une fréquence plus grande des infections qu'ils provoquent.

 La recherche systématique de tous les germes à caractère pathogène est une entreprise longue et difficile à cause :

 1) du grand nombre de germes à rechercher,

 2) de l'extrême dispersion ou dilution le plus souvent de ces germes dans l'eau souillée,

 3) du manque de milieux appropriés à mettre en oeuvre pour une identification rapide de certains germes.

 C'est pour ces raisons qu'en dehors de circonstances spécifiques, on a recours à des procédés indirects pour déceler une contamination microbienne dangereuse. Comme les maladies les plus fréquemment transmises par l'eau sont celles provoquées par des germes ou des parasites entéro-pathogènes, on recherchera les germes d'accompagnement dans les selles, qui constituent la flore intestinale habituelle, assez résistants et infiniment plus nombreux.

 L'OMS préconise la recherche des coliformes fécaux plus spécifiques que les streptocoques fécaux qui possèdent certaines caractéristiques communes des streptocoques du groupe D, dont certains sont d'origine autre qu'humaine.

 Quant aux anaérobies sporités, ils ont perdu de leur intérêt, car ce sont des germes telluriques ubiquitaires qu'il n'est pas toujours aisé d'identifier avec précision.

 Lorsque des coliformes fécaux sont décelés, toutes les suppositions sont permises : l'eau peut contenir des germes entéro-pathogènes ou non, selon qu'elle a été contaminée par un malade ou par un porteur sain (ce qui revient au même) ou par un individu sain non porteur de germes qui n'a communiqué à l'eau que ses coliformes fécaux inoffensifs.

 Peut-on maintenant affirmer qu'une eau sans coliformes n'est pas contaminée ? On ne peut l'affirmer, car :

 1) elle peut contenir des germes plus résistants pathogènes qui persistent après la disparition des germes fécaux,

 2) elle peut avoir été souillée par d'autres déjections que fécales (expectoration, urines, pus, etc.) qui ne contiennent pas de germes fécaux, mais qui peuvent être bourrées de bactéries ou de parasites pathogènes. Cela montre quelles sont les limites de confiance et la fiabilité relative de la colimétrie des eaux devenue un contrôle bactériologique routinier pour la surveillance de l'eau. Ceci explique également la nécessité d'un traitement systématique pour l'aseptisation des eaux de boisson, que la recherche des germes fécaux soit positive ou non. A la limite et en toute logique, on peut s'interroger sur l'utilité d'une telle recherche, en dehors des enquêtes statistiques de pollution.

 Pour l'aseptisation des eaux, il existe maintenant diverses méthodes physiques, telles que l'ultrafiltration, le rayonnement UV ou gamma, mais elles ne sont pas encore mises en oeuvre, à ma connaissance, aussi bien dans nos pays que dans beaucoup de pays avancés.

 Le procédé le plus répandu car le moins onéreux est malheureusement le plus archaïque, le plus désagréable et qui présente la toxicité la plus sensible. Il a recours aux propriétés antiseptiques des hypochlorites alcalins (principe actif des solutions de Labarraque et de Dakin). Ce procédé utilisé pour la 1ère fois aux Etats-Unis, amélioré ensuite en 1916 par l'Américain Bunau Varila, n'a pas varié depuis. Il suscite quelques remarques :

 1) Pour obtenir un effet antiseptique foudroyant pour tous les germes, il faut une concentration d'hypochlorite voisine de celle du Dakin. Ce n'est pas possible pour des raisons évidentes. On se contentera alors de maintenir un léger excès de chlore actif, de l'ordre d'une fraction de mg par litre, de manière à ne pas trop altérer le goût de l'eau et à ne pas trop abîmer la muqueuse gastrique.

 Le temps de contact nécessaire pour détruire la plupart des germes pathogènes peut être plus ou moins long, selon le pH de l'eau et la température. En effet, le potentiel d'oxydation de l'hypochlorite varie avec le pH de 1,63 U en milieu acide, à 0,88 V en milieu neutre. Comme le pouvoir antiseptique suit le pouvoir oxydant, il en résultera, selon le pH, des temps plus ou moins longs selon les lots d'eau à traiter pour obtenir cette stérilisation.

 2) A ces faibles concentrations d'hypochlorite, des germes sous certaines formes peuvent ne pas être affectés : c'est le cas des kystes et oeufs de parasites et de germes à enveloppe, à membrane renforcée tels que certains virus, les mycobactéries, etc.

 3) L'action du chlore sur les matières organiques en solution dans l'eau aboutit à la formation d'organochlorés, derine, appartenant à la catégorie II de la classification de l'OMS des composés polluant à effet durable, cumulatif et toxique.

 4) Enfin, il faut citer le procédé d'aseptisation le plus simple, le plus ancien et très efficace surtout en période de risque, pendant une épidémie : c'est l'ébullition prolongée de l'eau, qui coagule les protéines, c'est-à-dire qui provoque la mort des microbes par cuisson. Il dénature le goût de l'eau, mais il l'adoucit par précipitation du carbonate de calcium. Il suffit, après refroidissement, de l'agiter pour lui restituer son oxygène dissous.



Voyons maintenant les contaminations chimiques intestinales d'origine naturelle

Ce sont principalement des éléments chimiques minéraux empruntés par l'eau à l'environnement géologique. Ils font partie jusqu'à une certaine concentration de la composition des eaux potables. Et selon leur nature et leur concentration, quelques-uns ont une action sénétique sur l'organisme. L'eau potable leur doit son goût agréable et sa digestibilité. Enumérons-les rapidement :

 Na+ et K+, éléments constitutifs de l'organisme. Une eau qui contient du sodium étanche mieux la soif que celle qui n'en contient pas.

 Les alcalino-terreux, Ca++ et Mg++. Lorsqu'ils sont en excès, ils font partie des éléments qui communiquent à l'eau de la dureté. L'excès de Magnésium, dans certaines eaux minérales, communique à l'eau une saveur amère et la rend laxative.

 L'absence complète de calcium, comme dans une eau permutée de l'aquifère en terrain granitique, favoriserait, d'après des chercheurs, la fréquence des maladies cardiovasculaires.

 Le fer est apporté quant à lui par le contact de l'eau soit avec des minerais d'oxyde ferrique, soit par la rouille qui se forme dans les canalisations contenant du fer. Ces eaux qui en contiennent se troublent au repos par formation de flacons d'hydrate ferrique. Cet élément est bénéfique pour l'organisme malgré l'hétérogénéité et le goût métallique qu'il communique à l'eau.

 L'ion phosphate, à concentration raisonnable, est un élément bénéfique, mais à condition aussi qu'il provienne de l'environnement géologique et non pas des phosphates toujours impurs ajoutés au sol comme amendement ou d'une pollution par les lessives ménagères aux polyphosphates.

 L'ion fluorure, bénéfique jusqu'à une concentration limite au-delà de laquelle il devient nocif. Il est dans l'eau sous forme d'ion fluorure associé aux alcalins terreux, et sous forme de complexe hexafluorosilicate. Ce dernier est moins soluble. La solubilité maximum du fluorure de calcium dans l'eau est de 15 mg/l : l'effet nocif de cet élément commence à se manifester au-delà de 1 mg/l.

 Deux oligo-éléments utiles peuvent se trouver dans l'eau naturelle :

 - l'iode, dont l'absence complète coïncide souvent avec une fréquence plus sensible des goitres,

 - le manganèse qui, à l'état de traces, peut être considéré comme un oligo-élément utile: il entre dans la constitution d'enzymes du corps humain. A concentration sensible, il devient toxique.

 Un constituant neutre est l'oxygène dissous : c'est un paramètre de la qualité chimique et organoleptique de l'eau. Son absence peut traduire une activité bactérienne anormale dans l'eau qui en est dépourvue.

Eléments dus

aux canalisations

Les canalisations en cuivre, en fer galvanisé et en plomb peuvent céder leurs éléments à l'eau, généralement à l'état de traces. Le cuivre et le zinc ne sont pas nocifs dans ce cas. Le cuivre est utile à l'érythropoïèse et le zinc entre dans la constitution d'enzymes de l'organisme.

 Le plomb est généralement indécelable, sauf si le carbonate de plomb qui tapisse les tuyaux, et qui est totalement insoluble, se fragmente et est entraîné vers le robinet. C'est un polluant toxique d'importance mondiale, selon la classification de l'OMS.

 Dans les contaminations cliniques indésirables dans l'eau, un petit groupe possède la particularité d'être à la fois des toxiques et des témoins d'une contamination microbienne récente ou ancienne de l'eau. Ces composés se forment par oxydoréduction fermentative de composés minéraux ou organiques du soufre et de l'azote. Ainsi, les sels ammoniacaux sont produits par des animations oxydatives ; l'ion sulfure est dû à l'action des sulfo-réductases et l'ion nitrite se forme par action sur les nitrates des nitrate-réductases bactériennes.

C'est l'explication générale admise de la présence de ces composés dans l'eau, avec une exception pour les eaux profondes chaudes où ces corps peuvent se former par oxydo-réduction purement chimique.

 Suit maintenant la longue liste des polluants toxiques inscrite dans les catégories II et III de la nomenclature de l'OMS des indices par l'appréciation de la qualité de l'eau. Quelques-uns ont déjà été cités. Leur origine est quelquefois naturelle, telle que le sélénium, mais le plus souvent leur origine est dans les déchets que l'homme rejette au cours de ses activités.

 L'eau devient de plus en plus polluée : c'est la conclusion à laquelle ont abouti de multiples enquêtes. La poussée démographique, la forte surcharge des agglomérations, l'occupation de plus en plus grande du terrain en milieu rural ont entraîné, en même temps qu'une consommation accrue d'eau, le rejet de plus en plus important et sans traitement de toutes sortes de déchets et d'eaux usées.

 Une maigre consolation : même les pays avancés n'ont pas encore complètement réglé les problèmes posés par les eaux usées, dont le traitement d'épuration nécessite des installations d'un coût considérable.

 En Algérie, ces installations d'épuration sont pratiquement inexistantes, ce qui favorise les infections et les intoxications. C'est ce problème majeur d'hygiène à l'échelle nationale qu'il nous faudra résoudre dans les plus brefs délais : toute tentative de mettre en place une médecine préventive exige d'abord la solution de ce problème.



Eaux minérales

La nécessité de disposer dans certaines circonstances d'une provision d'eau, la crainte de boire une eau contenant des germes infectieux malgré la javellisation, l'effet désastreux sur les muqueuses digestives et le mauvais goût du chlore résiduel et des dérivés organochlorés toxiques auxquels il donne naissance, ont poussé les consommateurs à se tourner de plus en plus vers les eaux dites «minérales» conditionnées en bouteille.

 Certaines de ces eaux ont une minéralisation importante ou spéciale : elles ont une prétention médicinale, elles sont souvent gazeuses, car le CO2 masque bien le goût un peu salé de ces eaux. D'autres ont une minéralisation normale ou réduite : elles sont dites de table. Elles peuvent être plates (sans gaz) ou gazeuses.

 Ces eaux jouissent de la faveur du public qui les croit protégées contre toute pollution grâce à une surveillance chimique et bactériologique censée être constante et grâce aussi à une protection rigoureuse du site de la nappe ou de la source contre toute pollution.

Ces eaux sont naturellement pures en principe et ne nécessitent, théoriquement, pas l'aseptisation.

 Malheureusement, la surveillance aussi bien analytique que celle du périmètre de protection n'est pas à l'abri d'une défaillance et il arrive, plus souvent qu'on ne le croit, que des eaux minérales, en particulier les eaux plates, soient polluées. Ces eaux se présentent conditionnées dans des emballages en verre ou en matière plastique.

 Dans les eaux minérales fortement gazeuses, des contrôles bactériologiques par la recherche aussi bien des germes fécaux que saprophytes aérobies s'avèrent presque toujours négatifs, surtout après quelques jours de conservation. Le CO2, s'il est sous forte pression, ralentit la vie microbienne et, ce faisant, finit par la détruire plus ou moins rapidement.

 Il n'en est pas de même des eaux plates où l'on retrouve non seulement les germes saprophytes normaux de l'eau qui en contient toujours, mais encore, quelquefois, des germes de contamination fécale. Ces germes sont dus à des fautes d'hygiène d'un personnel insuffisamment encadré, ignorant les règles élémentaires d'hygiène au cours des opérations de mise en bouteille.

 Examinons maintenant ce qui se passe dans une eau mise en réserve dans un vase clos. A l'air libre, un équilibre s'établit dans l'eau, variable selon la température entre la masse d'oxygène dissoute et la pression partielle de ce gaz dans l'air environnant. C'est cet oxygène qui permet à une flore exclusivement aérobie de vivre dans l'eau.

 L'oxygène dissous inhibe les anaérobies. Le bouchage hermétique va contribuer à faire disparaître toute trace d'oxygène aussi bien en solution qu'à l'état gazeux dans le petit espace aérien compris entre le niveau de l'eau et la capsule étanche, car les bactéries saprophytes aérobies vont l'utiliser jusqu'à la dernière bulle.

 Après ça, le milieu devient anaérobie, favorisant le développement, à partir de leurs formes de résistance, des micro-organismes adaptés à ce milieu : bacilles telluriques, algues, lédiens, etc. L'eau change non seulement de flore, mais encore de composition chimique par des phénomènes d'oxydoréduction, des fermentations anaérobies qui vont entraîner quelquefois l'apparition de substances indésirables, malodorantes (NH3, H2S, etc.).

 Certains analystes anglo-saxons en particulier vous expliqueront qu'il n'est pas possible d'emprisonner une eau naturelle, milieu vivant et équilibré, sans le risque de la voir ressembler bientôt à une eau stagnante dans un trou et certains pays tels que les USA n'autorisent que la mise en bouteille d'eau fortement gazéifiée ou aseptisée par un procédé physico-chimique agréé. Et si vous désirez disposer d'une petite réserve transportable d'eau, on vous proposera un récipient de la contenance d'un gallon contenant de l'eau traitée, aseptisée.

 En conclusion, cet aperçu, à dessein très panoramique de l'hygiène de l'eau en Algérie, montre que cette hygiène soulève de multiples problèmes qui ne sont pas toujours aisés, ni même encore possibles à résoudre. Cet aperçu montre aussi que des efforts de recherche sont encore nécessaires dans deux domaines :

 - la lutte contre les pollutions industrielles de plus en plus nombreuses et importantes dans les eaux,

 - dans le recyclage des eaux usées : l'épuration de ces eaux sales et bactériologiquement dangereuses est une condition sine qua non à la mise en place d'une médecine préventive.



* Service de thérapeutique

Faculté de médecine d'Oran