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Que veut l’Algérie ?

par Akram Belkaïd, Paris

Alors que la torpeur estivale s’étend dans presque tout le bassin méditerranéen, l’actualité algérienne s’invite à la table des grands médias économiques occidentaux. Ces derniers sont tout heureux, ou presque, d’annoncer que la menace d’une résurgence du protectionnisme en raison de la crise économique mondiale vient de se concrétiser. L’Algérie ne vient-elle pas d’interdire le crédit à la consommation après avoir adopté des mesures restrictives à l’égard des investisseurs étrangers ? Pour tous les observateurs, la chose est claire: cela sent la reprise en main musclée à l’image de ce qui s’est passé en Russie après que Poutine eut décidé d’effacer l’héritage de plusieurs années d’ouverture débridée.

 Il est évident que ces mesures vont fâcher beaucoup de monde. Si un concessionnaire automobile ne pourra vendre que dix véhicules au lieu d’une centaine, tout cela parce que le crédit à la consommation n’existera plus, il fera certainement grise mine tandis que son fournisseur réalisera dans la douleur que l’eldorado algérien vient subitement de cesser d’exister. Des voix vont certainement s’élever ici et là tandis qu’il y a fort à parier que ni l’Union européenne ni l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ne vont saluer ce qui vient de se passer. Bien au contraire, après la Russie et le Venezuela, l’Algérie risque d’être rapidement classée dans la liste des mauvais élèves qui rament à contre-courant du marché. Pensez donc ! Alors que le Fonds monétaire international (FMI) n’en pouvait plus d’impatience vis-à-vis du refus d’Alger d’assurer une convertibilité totale du dinar, voilà que le gouvernement algérien va plus loin dans le bridage de l’ouverture économique.

 

Tout passe à condition que cela marche !

 

 C’est que les choses ont bien changé en moins de vingt ans. L’idée même qu’un pays a le droit d’adopter les lois qu’il souhaite n’est plus aussi vraie qu’avant. Depuis la chute du mur de Berlin, et malgré quelques trous d’air importants, le consensus de Washington demeure une référence même si les grandes organisations internationales comme la Banque mondiale ont pris leurs distances vis-à-vis de cette batterie de mesures libérales. Un pays qui adopte des dispositions, fussent-elles indirectes, pour limiter les importations est forcément «out». Mais la véritable question est de savoir combien de temps va-t-il le demeurer. On se souvient de la Malaisie qui, bravant les foudres du consensus de Washington, avait, pour son plus grand bien, décidé d’instaurer un contrôle des changes à ses frontières. Ce fut un beau tollé, une mise à l’index vigoureuse puis, petit à petit, c’est devenu un fait acquis. La Malaisie n’est plus «out».

 Tout cela pour dire que l’Algérie peut effectivement décider ce qu’elle veut. Grâce aux richesses de son sous-sol, elle peut même se permettre d’envoyer le pire signal qui soit aux investisseurs étrangers, c’est-à-dire l’imprévisibilité de ses lois, mais cela ne la dispense pas d’avoir une politique économique lisible et qui, surtout, réussisse. En clair, on peut tout décider à condition d’avoir une stratégie bien définie. Se réfugier derrière des dogmes, qu’ils soient libéraux ou dirigistes ne sert à rien. L’essentiel est d’annoncer clairement la couleur et de s’y tenir. On peut décider que l’économie algérienne a besoin d’une pause de cinq ou dix ans dans son ouverture afin d’aider à l’émergence d’un tissu économique local. Cela signifie que l’on repousse aux calendes grecques l’adhésion à l’OMC, que l’on signifie à l’Union européenne le gel de l’accord d’association et que l’on réfléchisse sérieusement à recycler les milliards de dinars qui circulent dans l’économie informelle. Cela se fera contre l’air du temps, cela provoquera certainement un retour fort de l’inflation et des pénuries mais cela permettra peut-être d’effacer quelques erreurs commises lors de l’ouverture menée durant les années 1990. Mais, encore une fois, le plus important c’est d’avoir une vraie stratégie avec laquelle les milieux d’affaires sauront toujours composer.