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Un baril à 180 dollars en 2010-2011: Pourquoi la dépression économique mondiale n'est qu'à son commencement ?

par Medjdoub Hamed*

2ème partie

 

La croissance économique a eu lieu, mais principalement grâce aux familles américaines qu'on persuada de s'endetter davantage, en renégociant leur prêt immobilier et en dépensant une partie des recettes ainsi obtenues.

 Et, aussi longtemps que le prix de l'immobilier résidentiel augmentait à cause des taux d'intérêt plus faibles, les Américains pouvaient se permettre d'ignorer leur endettement croissant. Pour autant, cela ne stimula pas suffisamment l'économie. Afin que plus de personnes empruntent plus d'argent, les critères d'accès au crédit hypothécaire furent assouplis, ce qui alimenta la croissance de crédit dits « subprime ». De plus, on inventa de nouveaux produits financiers, qui abaissèrent le montant des apports initiaux, ce qui encouragea les personnes à prendre en charge des crédits plus élevés.

 Certains crédits avaient même un amortissement négatif : les paiements ne compensaient pas les intérêts dus, de telle sorte que chaque mois la dette augmentait plus encore. Les remboursements fixes, avec des intérêts à 6%, furent remplacés par des crédits à taux variable, dont les taux de remboursements étaient liés aux taux à court terme des bons du Trésor. Ce qu'on appela les « teaser rates » (taux incitatifs) proposaient des paiements encore plus faibles pendant les premières années du remboursement. Ils étaient incitatifs en ce sens qu'ils s'appuyaient sur le fait que beaucoup d'emprunteurs n'étaient pas aguerris en matière de finance et ne comprenaient pas vraiment à quoi ils s'engageaient. »

 La question pertinente que Joseph E. Stiglitz a porté sur le problème des taux d'intérêt posé par le président de la FED : « Et Greenspan les incita à cumuler les risques en encourageant ces crédits à taux variables.

 Le 23 février 2004, il fit remarquer que « beaucoup de propriétaires auraient pu économiser des dizaines de milliers de dollars s'ils avaient contracté des crédits à taux variable plutôt que des crédits à taux fixe ces dix dernières années ». Mais Greenspan s'attendait-il vraiment à ce que les taux d'intérêt se maintiennent en permanence à 1% - un taux d'intérêt réel négatif ? Ne se préoccupait-il donc pas de ce qui arriverait aux Américains pauvres ayant contracté des crédits à taux d'intérêt variable si les taux d'intérêt se mettaient à augmenter, comme cela devait arriver ? » Il est clair que le président de la FED, Alan Greenspan, était bien conscient que le taux d'intérêt devait tôt ou tard être relevé. Mais, au-delà des taux fixes et variables, le problème de la « bulle immobilière » se portait ailleurs et n'en est, en réalité, qu'une conséquence des événements qui ont suivi le 11 septembre 2001. Pour comprendre, le problème doit être abordé dans son contexte véritable.

 D'abord du point de vue des investisseurs et ce qui a suivi, ensuite du point de vue des décideurs qui ont en charge l'économie américaine. Pour le premier, il est évident que les investisseurs ont boudé le marché des actions compte tenu des krachs boursiers répétitifs de 2000 à 2002, il est facile d'imaginer pourquoi les foyers américains se sont portés sur l'immobilier, surtout que les taux d'intérêt étaient très bas.

 On comprend alors pourquoi l'immobilier avait le vent en poupe. Pour ce qui est des décideurs, la victoire des Etats-Unis en Afghanistan après le 11 septembre 2001 et en Irak en avril 2003, incitait à l'optimisme. Dans l'inconscient collectif des décideurs américains, le temps était venu pour l'Amérique d'imposer sa suprématie sur le monde.

 Championne du monde libre, son destin était d'asseoir la démocratie partout dans le monde. Quel que soit le prix à payer. Et c'est ce qui a prévalu en fin 2001, 2002, 2003, 2004 et même en 2005. Evidemment, cette politique chimérique cachait des enjeux considérables. La Chine montait en puissance, et la Russie renaissait de ses cendres. Il était péremptoire de remporter des victoires dans cette partie centrale du monde, le Proche et Moyen-Orient - ce qui expliquait la doctrine en vogue du GMO, le Grand Moyen-Orient. Des régimes arabes despotiques qu'il fallait civiliser, les rendre proche de leurs peuples et, surtout, les faire rentrer dans le « giron occidental ». L'Iran, dans cet inconscient collectif, était déjà comme faisant partie du giron occidental, il ne restait que la forme : des frappes chirurgicales, même au moyen d'armes tactiques (nucléaires) ou par l'invasion.

 Le triangle Iran-Iraq-Afghanistan devait être le socle autour duquel s'articulerait une nouvelle stratégie militaro-financière américaine, laquelle venait renforcer l'Alliance atlantique.         L'alliance, en tant que bouclier du système économique, monétaire et social, constitué par les démocraties occidentales, verrait ce socle comme une défense avancée du camp occidental face au camp adverse : le tandem Chine-Russie.

 Ceci nous rappelle la fameuse doctrine du « containment » (endiguement) ou doctrine Truman, et les guerres qui ont suivi au Vietnam, Laos, Cambodge.

 Dès lors, la place n'est plus à l'économie rationnelle, ni au taux fixe ou variable mais aux enjeux géostratégiques qui ne pouvaient laisser d'alternative aux décideurs de la donne financière et monétaire. Ces décideurs devaient soutenir cette volonté américaine de plus en plus affirmée de parvenir à une suprématie militaire absolue et sans fin.

 Donc à assurer un soutien sans faille en capitaux pour, à la fois, financer la guerre au Moyen-Orient et assurer la croissance de l'économie américaine, tels étaient les objectifs de la FED et de tout le système financier américain. Et c'est ainsi que l'on comprend pourquoi les excédents asiatiques, russes et arabes étaient nécessaires à la puissance américaine.

 De plus, la bulle immobilière américaine allait jouer un rôle central dans la redistribution financière et monétaire dans le monde. Comme on le verra, elle va rebattre les cartes de la finance mondiale.



L'«approche» de Barry Eichengreen, professeur d'économie et de sciences politiques à l'Université de Californie à Berkeley

 Evidemment, dans un monde pluriel, il est illusoire de songer à un monopole. Les Etats-Unis, bien qu'ils soient la première puissance mondiale, sont pris aussi dans les filets de la globalisation, et donc de la dépendance qui est de leur propre fait : cette consommation américaine sans limite a en fait contribué à soutenir l'activité économique asiatique, surtout chinoise, et par conséquent à enrichir la Chine.

 Pour ce qui est du pétrole, le même processus de hausse des cours a permis à enrichir la Russie, les pays producteurs de pétrole, en particulier arabes. Ce qui s'est fait au détriment de l'Europe, mais aussi à sa propre économie, la balance des paiements et la position extérieure nette américaine ne cessaient de se dégrader.

 Barry Eichengreen, professeur d'économie et de sciences politiques à l'Université de Californie à Berkeley, écrit, en mai 2009, à ce propos : « Une approche sera d'accuser les Etats-Unis pour leur manque de régulation, pour avoir assoupli leurs politiques monétaires et pour avoir mal épargné. Une autre, que certains officiels américains en fonction ou non comme Alan Greenspan et Ben Bernanke avancent déjà, sera d'accuser les pays d'Asie du Sud et du Proche-Orient d'avoir accumulé de considérables liquidités en épargnant trop. Tout cet argent, diront-ils, devait bien aller quelque part. Et logiquement, il devait se diriger vers le pays aux marchés financiers faisant le plus autorité, c'est à dire aux Etats-Unis où le prix des actifs a atteint des sommets insupportables.

 Mais les deux camps sont d'accord sur un point : le déséquilibre de la balance des économies dans le monde - une épargne faible aux Etats-Unis contre une épargne élevée en Chine et sur d'autres marchés émergents -a joué un rôle clé dans cette crise en permettant aux habitants des Etats-Unis de vivre au-dessus de leurs moyens. Cela a poussé le monde de la finance, soucieux d'obtenir un rendement sur des fonds abondants, à spéculer davantage sur ces instruments. Un argument recueille tous les suffrages : impossible de comprendre la bulle et le crash sans réfléchir au rôle des balances déséquilibrées dans le monde.» Précisément, cette approche pour accuser les uns d'avoir assoupli leur politique monétaire, les autres d'avoir accumulé des liquidités considérables en épargnant trop, a un sens profond.

 En d'autres termes, on doit comprendre que les deux protagonistes sont responsables de la «bulle immobilière». Ce postulat va nous permettre de comprendre le sens réel de la bulle immobilière, et montrer que les millions de ménages américains qui ont laissé leurs fonds dans les prêts hypothécaires ou fait l'objet de saisie de leurs biens immobiliers, ainsi que les pays qui ont épargné, ont été « victimes du système financier mondial et non plus américain». Les Etats-Unis n'ont qu'une part de responsabilité, même si tout est parti d'Amérique.

 Comme l'a écrit Isaac JOHSUA : «D'où vient la bulle immobilière américaine ? Elle ne tombe pas du ciel, n'est pas la conséquence de la spéculation, d'une mauvaise gestion ou encore le résultat de l'irresponsabilité de «ceux qui ont joué avec le feu».        En réalité, la bulle immobilière américaine, c'est la crise de la « nouvelle économie», celle de la bulle des nouvelles technologies (2001) qui continue. En 2000, l'éclatement de la bulle boursière a entraîné, comme on pouvait s'y attendre, une chute particulièrement sévère de l'investissement des entreprises et une montée rapide des licenciements. Mais la récession ne s'est pas transformée en véritable dépression, grâce aux dépenses des ménages.

 D'énormes moyens ont été mis en œuvres pour y parvenir. Le premier d'entre eux a été une baisse extraordinaire du taux de la banque centrale américaine, taux ramené en un temps très court de 6% à 1% (soit un taux réel négatif, si on tient compte de l'inflation). Prolongeant une fuite en avant depuis longtemps engagée aux Etats-Unis, le robinet du crédit a été ouvert à fond, ce qui a grandement facilité le crédit hypothécaire et lancé la bulle immobilière.

 Le médicament pour soigner la bulle boursière est devenu la drogue de la bulle immobilière : on n'est sorti d'une bulle que pour tomber dans l'autre, et parce qu'on est tombé dans l'autre. C'est ainsi que le taux d'endettement des ménages américains a bondi de 107% en 2001 à 140% en 2006, ouvrant la voie à la crise de surendettement que nous observons aujourd'hui. » Si Issac JOHSUA dit vrai, il reste que les pays créanciers, et la Chine, ont aussi participé à la bulle, comme le fait comprendre le professeur d'économie et de sciences politiques à l'Université de Californie à Berkeley, Barry Eichengreen. Sans l'épargne et les excédents commerciaux de la Chine, de la Russie, des pays arabes, de l'Islande et d'autres pays qui ont investi dans les places financières américaines, il n'y aurait pas eu de bulle immobilière. Ceci étant, et au-delà des explications des économistes, que s'est-il réellement passé pour qu'a priori, la bulle immobilière a pris de court tout le système financier américain ? Thèse difficile à admettre.



La question de la bulle: Qui ? Comment et Pourquoi ?

 Il faut rappeler que, depuis plus de dix huit ans, l'économie américaine enregistre de façon systématique des déficits de balance des paiements courants. Fondamentalement liés à la faiblesse de l'épargne américaine et, couplée au creusement du déficit budgétaire, ces déséquilibres courants sont longtemps restés soutenables grâce à l'appétit de l'économie mondiale pour les titres publics ou privés américains, compte tenu des rendements offerts, mais aussi à cause de la situation privilégiée du dollar dans le commerce mondial. Depuis 2001, la politique économique américaine a opéré une stupéfiante volte face. Les vannes monétaire et budgétaire ont été ouvertes à fond. L'excédent de 224,8 milliards de dollars hérités de l'ère de Clinton s'est s'effondré. En 2002, il était remplacé par un imposant déficit de 254 milliards.

 Depuis, les déficits de la balance courante américaine se sont accumulés. De 413 milliards de dollars en 2000, 386 milliards en 2001, 474 milliards en 2002, 530 milliards en 2003, 666 milliards en 2004, il est de 804,9 milliards de dollars, en 2005.

 En 2006, le déficit courant se creuse encore, il s'élève à 856,7 milliards de dollars (données du département du Commerce américain). C'est la cinquième année de suite que la balance des comptes courants, qui prend en compte le commerce extérieur et les transferts de revenus, affiche un déficit record. Le déficit a représenté 6,5% du produit intérieur brut (PIB) américain en 2006, ce qui est là un record, après 6,4% en 2005. Il en va de même en 2007. Et précisément, la bulle immobilière a commencé à faire son apparition dès fin 2005, la chute de l'immobilier et la destruction d'emplois étaient déjà perceptibles. Cette baisse de l'immobilier s'est poursuivie en 2006, mais à partir de février 2007, la situation s'est aggravée, les banques gérant les prêts hypothécaires à risque (tel l'American Home Mortgage) sont les premiers touchés par l'augmentation rapide des non-remboursements de prêts «suprime». La banque d'affaires américaine Bear Stearns doit fermer deux fonds spécialisés dans ce type de crédit. BNP Paribas suspend la valeur liquidative de trois de ses fonds qui venaient de perdre plus de 20 % en moins d'une semaine.

 Et la liste est longue : Faillite d'American Home Mortgage, puis de Home Bank et First Magnus Financial, des pertes de 400 milliards de dollars pour HSBC, des rachats de banques, des faillites de banques qui ne trouvent pas de repreneurs ni n'obtiennent l'aide de la banque centrale américaine (FED), telle la banque Lehman Brothers, la quatrième banque d'affaires américaine, le 14 septembre 2008. La Bank of America rachète Merril Lynch pour 50 Milliards $. La Fed accorde un prêt d'urgence de 28 jours à Bear Stearns et organise son achat par JP Morgan avec sa garantie. Les autorités américaines décident un soutien à Fannie Mae et Freddie Mac afin d'enrayer le début de panique de la semaine du 7 au 12 juillet 2008. Pendant la semaine l'action de Freddie Mac a chuté de 47% et celle de Fannie Mae de 45%. La liste est longue, citygroup, AIG, Wachovia, Fortis en Belgique, etc. - la crise bancaire s'étendait à l'Europe. C'est dire les pertes fantastiques des grandes banques américaines amenées soit à la fusion, soit à la reprise (rachat), soit au soutien et à la garantie de la FED, soit tout simplement à la disparition - la faillite.

 Ceci étant, sans entrer dans le détail des produits financiers « sophistiqués» comme le dit à l'époque le patron de la FED, Alan greenspan, ces produits ont inondé la planète. Grâce à leurs forts rendements liés aux risques du produit, ces créances «titrisées» ou prêts «subprime», mêlées à d'autres créances, se retrouvent rapidement dans les charpentes de la plupart des banques qui ont achetés ces produits.

 La plupart des banques ignorent (ou veulent ignorer) leur contenu. Pour les investisseurs étrangers, cela a été assurément une aubaine, les rendements des taux d'intérêt étaient bien plus alléchants que les Bons de Trésor américain à court terme. Déjà, les taux d'intérêt des bons de Trésor à court terme étaient supérieurs aux taux d'intérêt des bons de Trésor à long terme (dix, vingt ou trente ans)-inversion de la courbe de rendements en 2006.

 Des injections massives en 2007 et 2008 ont été opérées par les banques centrales occidentales pour contrecarrer la méfiance qui s'est instaurée sur le marché interbancaire. Il fallait un retour à la confiance sinon l'économie américaine, par assèchement des crédits (crédit crunch), allait en pâtir.

 Aujourd'hui, la valeur totale des actifs dits toxiques (subprime) est estimée à environ 800 milliards de dollars et les pertes induites des banques entre 2200 et 3600 milliards de dollars dans le monde. Alors que la capitalisation boursière mondiale, qui était d'environ 60 000 milliards de dollars fin 2007, a chuté de presque 50% en 2008. Il est clair que la chute de la capitalisation boursière de 30 000 milliards de dollars n'est que virtuelle, elle n'exprime pas les pertes réelles des investisseurs (banques, etc.). La plupart des investisseurs ont acheté leurs actions à un cours plus bas ? Si les cours sont montés, en cas de vente, ils ont bénéficié d'une plus-value, si les cours ont baissé en deçà de leur prix d'achat, ils ont enregistré des moins-values, donc des pertes, mais «par rapport à leur prix d'achat» et non par rapport au cours lorsqu'il était au plus haut.

 Mais les pertes induites des banques américaines, comme le rapporte la presse, les 2200 à 3600 milliards de dollars, au centre desquelles figurent celles des pays émergents, sont bien réelles puisqu'elles ont entraîné les banques à la restructuration ou à la faillite. A suivre

*Chercheur