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La croissance sans la démocratie

par Akram Belkaïd, Paris

 Il y a plusieurs manières de commenter les bonnes performances de l’économie chinoise au second trimestre de cette année. En annonçant une croissance du Produit intérieur brut (PIB) de 7,9 % en rythme annuel (contre 6,1% au premier trimestre), Pékin a d’abord obligé les experts à reconnaître la réussite de son plan de relance quand tant d’autres pays, à commencer par les membres de l’Union européenne, se résignent à ce que l’année 2009 soit marquée pour eux du sceau de la récession. Mieux, les analystes ont vite révisé à la hausse leurs prévisions, tablant pour une croissance chinoise de 8,5 % en 2009 et de 10 % en 2010.

 

La démocratie, un obstacle ?

 

Mais le plus important reste cet étonnant raisonnement entendu sur plusieurs chaînes spécialisées dans l’économie et la finance. A en croire leurs éditorialistes, c’est aussi parce que la Chine est un pays où n’existe pas la démocratie que son plan de relance à 586 milliards de dollars donne des résultats positifs ! Qu’on en juge : ni opposition politique réticente vis-à-vis d’une augmentation de la dépense publique ni Parlement combatif à convaincre d’une baisse des impôts afin de soutenir l’activité économique : le gouvernement et le Parti communiste chinois ont eu les coudées franches pour lutter contre la récession et compenser, par le recours au marché intérieur, la baisse de 22 % des exportations.

 Le thème est tabou, mais il ressurgit de manière fréquente : l’absence de démocratie serait donc bénéfique pour l’économie. Pas de contre-pouvoir, pas de débats sans fin entre majorité et opposition et pas de lois et de contraintes du marché à respecter. Par exemple, la Chine n’a rien connu de ce que les Etats-Unis ont subi au cours des derniers mois avec des Républicains vent debout contre le plan de relance défendu par l’administration Obama. De même, c’est par une injonction politique que les autorités chinoises ont « convaincu » les banques de prêter sans compter aux opérateurs économiques (1.100 milliards de dollars de prêts consentis aux entreprises). Une intervention impossible dans les pays démocratiques où la séparation des pouvoirs exclut toute interférence du pouvoir politique dans le secteur bancaire et où l’on voit bien que ce dernier fait ce qu’il veut.

 Aux Etats-Unis, Kevin Hasset, économiste vedette de l’American enterprise institute, un think tank ultra-libéral, a publié en 2007 un article où il clamait, chiffres à l’appui, que démocratie et croissance économique ne faisaient pas forcément bon ménage (*). Ainsi, les dix taux de croissance les plus élevés sur une période allant de 2000 à 2006 sont en majorité enregistrés dans des pays émergents où la démocratie, pour ne pas dire les droits de l’homme, sont loin du premier rang. C’est cette statistique qui alimente, entre autres, les discours différentialistes ou relativistes, dont l’objet est d’expliquer que, pour certains pays, l’économie doit primer sur la démocratie.

 

Les limites du raisonnement

 

Quand la Chine affiche 8 % de croissance alors que le reste de la planète patine, le raisonnement décrit ci-dessus est toujours difficile à contrecarrer. Une économie qui va bien signifie que l’individu mangera à sa faim, qu’aurait-il à faire alors de la liberté ? En réalité, et c’est ce que les experts de l’American enterprise institute ont feint d’ignorer, c’est que l’absence de démocratie ne sert jamais longtemps l’économie. Cela peut marcher un temps, deux, trois ou quatre décennies jusqu’à ce que le système se sclérose et que l’autoritarisme et ce qu’il engendre - le clientélisme, la corruption et la prédation - ne s’avère être le pire ennemi de l’économie. A long terme, la démocratie paie toujours...

 

(*) Does economic success need democracy,

Kevin Hasset, mai-juin 2007