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Algérie - Union européenne: L'accord d'association au creux de la vague

par Ghania Oukazi

«La clause de sauvegarde ne peut être évoquée parce qu'elle n'a rien à voir avec les nouvelles mesures sur l'investissement étranger décrétées par le gouvernement Ouyahia.»

«Il faut que l'Algérie nous sauve la face, elle peut évoquer la clause de sauvegarde. On se sent injurié par ce manque de respect à l'accord d'association.» Ce sentiment d'avoir été floué par les Algériens est exprimé avec insistance par des responsables en poste à la Commission européenne dès qu'il est question de commenter les dernières mesures décrétées par le gouvernement Ouyahia relatives à l'investissement étranger. La mesure qui leur est restée à travers la gorge, c'est en évidence celle obligeant les sociétés étrangères d'importation à ouvrir leur capital à un partenaire algérien à hauteur de 30%. Et ce qui fait le plus mal c'est la rétroactivité de la mesure que doivent subir les sociétés étrangères déjà présentes sur le marché algérien. «Dans le fond, la mesure ne pose pas problème mais sa rétroactivité si ! Les entreprises étrangères d'importation risquent de quitter le pays», nous dit-on.

C'est qu'en face de l'indéniable carte de la souveraineté que brandissent les autorités algériennes à chaque fois qu'il leur est demandé de l'extérieur des explications sur les lois qu'elles érigent en contradiction soient-elles avec l'arsenal juridique du pays, les Européens sont plus émotifs. «Nous ne discutons pas le bien-fondé de ces circulaires, vous êtes un pays souverain qui fait ce qu'il veut. Mais ce qui a été écrit à propos de la lettre de la commissaire européenne des Transports adressée au ministre algérien du Commerce est insultant pour nous. Si vous ne respectez pas les accords internationaux que vous avez signés, vous perdez aussi la face !», se plaignent les responsables européens qui signalent que «c'est le ministre Djaâboub qui a voulu distiller le contenu de cette lettre au sein des médias, nous, nous ne voulions pas parce qu'on a voulu trouver un arrangement sans faire de bruit.»

Ce que veut la CE aujourd'hui, c'est que l'Algérie déclare officiellement et publiquement les raisons qui l'ont poussée à prendre ces mesures. C'est ce qu'elle appelle «nous sauver la face». Au-delà de la clause de sauvegarde qu'ils veulent mettre dans la bouche des Algériens, les Européens avancent une raison, celle-là officielle puisque, disent-ils, elle a été donnée par le ministre des Affaires étrangères lors du Conseil d'association tenu le 16 juin dernier au Luxembourg. Mourad Medelci a, selon eux, justifié les mesures du gouvernement en les qualifiant en premier de «conjoncturelles» imposées surtout «par un grave problème dans la balance nationale des paiements résultant des effets de la crise financière mondiale». Une affirmation qui, au passage, a étonné les responsables du ministère des Finances et beaucoup d'autres responsables.



«La clause de sauvegarde n'a rien à voir avec les mesures»



Les Européens insistent: «Les Algériens doivent nous le dire par écrit et nous sauver la face devant les Etats membres et les autres pays étrangers.» Interrogés sur ces déclarations européennes, des responsables algériens soutiennent d'entrée de jeu que la clause de sauvegarde que la CE veut faire «avouer» à l'Algérie est mal à propos. En effet, il est souligné que «la clause de sauvegarde ne peut être évoquée parce qu'elle n'a rien à voir avec les nouvelles mesures sur l'investissement étranger décrétées par le gouvernement Ouyahia. Elle ne peut l'être pour quoi que ce soit que sous un certain nombre de conditions qui ne sont pas réunies dans le cas de ces mesures.» Les responsables algériens affirment que «la rétroactivité de la mesure est confirmée dans la loi de finances complémentaire».

Les Européens persistent et pensent que ce contentieux peut être réglé par les termes juridiques contenus dans l'accord d'association. Ils insistent énormément sur une solution juridique qui éviterait ainsi le recours par la CE à l'arbitrage. D'ailleurs, les Européens évitent d'en parler parce que, avancent-ils, «on n'est pas encore à l'arbitrage». Les responsables algériens ont bien une autre explication à cette réponse qu'ils qualifient «d'évasive». Les raisons, disent-ils, «les Européens savent qu'ils nous ont bloqués à l'OMC et l'arbitrage n'est possible que si on est membre de cette organisation. Dans le cas des mesures relatives à l'investissement étranger, l'arbitrage est donc nul. Le règlement d'un tel différend, dans le cas de l'Algérie, ne peut se faire qu'entre elle et la CE.»



«C'est comme ça et puis c'est tout !»



Les Algériens reconnaissent que «dans ce cas, c'est le bras de fer !». Mieux encore, «c'est comme ça et puis c'est tout», lancent-ils convaincus de la légalité de leur démarche. Nos interlocuteurs européens pensent cependant qu'«il faut discuter avant de décider de faire quoi que ce soit». Bien qu'ils reconnaissent que ces mesures ne sont pas conformes à quatre articles contenus dans l'accord d'association, les Algériens rappellent cependant à propos de leur unilatéralité que «les Européens ont eux aussi violé le principe de la consultation contenu lui aussi dans l'accord d'association».

Les faits, selon les responsables algériens, remontent à il y a deux ans lorsque la CE a mis en branle une procédure d'antidumping à l'encontre d'une entreprise algérienne à qui il a été conséquemment interdit l'entrée au marché européen. «Ça a été fait sans consultation au préalable et l'affaire n'est toujours pas réglée !», renchérissent les Algériens en lâchant «à la limite, on a appris la leçon !». A la CE, on reconnaît que la directive sur les émissions de gaz qui risque de pénaliser la compagnie Air Algérie a été prise d'une façon unilatérale. Mais, relève-t-on à Bruxelles, «cette directive était en discussion depuis un an et demi mais on n'a jamais entendu un mot des Algériens, ça ne les a pas fait réagir !». L'on précise qu'Air Algérie «est dans de meilleures conditions que certaines compagnies européennes. Elle peut faire voler en Europe la nouvelle flotte qu'elle va acquérir et elle peut garder les avions qu'elle fait déjà voler pour d'autres destinations». Ils avancent d'autres arguments pour convaincre: «La mesure est plus coûteuse qu'une taxe. En plus, elle ne sera applicable pour l'Algérie qu'en 2012, on a donc deux ans et demi pour aboutir à une solution mondiale (et non bilatérale).» Pour les Européens en tout cas, «il ne s'agit pas d'une mesure discriminatoire, par contre les mesures du gouvernement algérien le sont !».

Aux Européens qui affirment qu'«à terme cette instabilité juridique de la sphère économique algérienne aura des incidences sur les investissements directs étrangers (IDE)», les Algériens interrogent «mais avant que ces mesures ne soient prises, pourquoi les IDE ne sont-ils pas venus alors que les conditions étaient des plus favorables ?». A propos des véhicules de moins de trois ans, les Européens qui avaient assisté au Conseil d'association tenu au Luxembourg, font savoir que «l'Algérie est prête à faire des concessions». Ce qui n'est pas de l'avis de nos interlocuteurs algériens qui affirment n'en avoir jamais parlé avec les Européens, «à aucun moment, nous l'avions jamais évoqué, ni eux l'ont fait!».