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Un marché pétrolier bien sclérosé

par Akram Belkaïd, Paris

La péripétie a été rapportée par le Financial Times puis longuement commentée par les observateurs de marché. Le 30 juin dernier, par un seul ordre d’achat, un trader a fait grimper les cours du pétrole de 71 à 73,5 dollars, soit un gain exceptionnel de 2,5 dollars en moins d’une heure. L’opération s’est pourtant déroulée avec une simplicité confondante. En quelques clics de souris, l’acheteur, un certain Steve Perkins, employé par le courtier PVM Oil, a passé commande de 9 millions de barils soit près de six fois la production réelle algérienne. Du coup, d’autre traders ont pris en marche le train de la hausse en achetant pour 7 millions de barils avant que la tendance du marché ne s’inverse après que les dirigeants de PVM eurent décidé de revendre les 9 millions de barils, enregistrant au passage une perte de 14 millions de dollars.

 

Un marché inefficient

 

Il y a plusieurs enseignements à tirer de cet épisode qui est loin d’être un fait isolé même si les montants en jeu sont rarement aussi élevés. Le premier concerne l’organisation du marché. On peut s’étonner ainsi de la possibilité qu’une seule et même personne puisse acheter des contrats portant sur des livraisons futures d’un total de 9 millions de barils, soit l’équivalent de 650 millions de dollars. On sera plus étonné d’apprendre que ces livraisons sont virtuelles puisqu’elles ne portent pas sur du pétrole physique mais sur du « papier », c’est-à-dire des contrats à terme achetés ou vendus, les traders se rémunérant sur le solde de ces opérations. C’est d’ailleurs l’un des problèmes majeurs du marché pétrolier où les échanges n’ont aucun rapport avec les quantités réelles de pétrole.

L’autre enseignement concerne le comportement moutonnier du marché. De nombreux traders ne se sont guère interrogés sur les raisons de la hausse de 2,5 dollars du prix du baril. Une simple vérification auprès des autorités de marché leur aurait permis de comprendre que le mouvement haussier provenait d’un seul trader. Ils auraient pu aussi s’interroger sur l’absence de raisons objectives à cette hausse comme, par exemple, un attentat au Proche-Orient ou une attaque contre des installations pétrolières dans le delta du Niger.

Le troisième enseignement concerne la manière dont sont organisées les transactions sur le marché pétrolier. En achetant pour 9 millions de barils de pétrole, le trader Steve Perkins n’a pas eu à débourser 650 millions de dollars. En effet, pour chaque transaction, les opérateurs n’ont à payer initialement qu’une infime part de la valeur du contrat, le fonctionnement du marché étant basé comme déjà mentionné sur le solde final des transactions.

 

Une réforme peu probable

 

Ces enseignements démontrent l’inefficience d’un marché dont on peut se demander s’il fixe un prix correct au baril. Quel crédit accorder en effet à une place où un seul opérateur peut provoquer de telles distorsions de prix ? Est-on sûr qu’un baril à 100 dollars est un cours qui veut vraiment dire quelque chose ? Pour l’heure, la réponse importe peu puisqu’il y a peu de risque que le fonctionnement du marché pétrolier soit réformé. Réduire les échanges de pétrole papier ? Impossible à faire car les contrats à terme, qu’ils portent ou non sur des livraisons réelles, ont besoin d’être liquides et si le marché devait être réduit aux seules quantités de pétrole physique, il risquerait d’être trop étroit. C’est, d’ailleurs, la nécessité d’assurer la liquidité qui explique le troisième enseignement puisque le principe des paiements à terme, et donc le fait de débourser au préalable une partie infime du montant total du contrat, permet de multiplier les ordres et donc, d’assurer un bon fonctionnement du marché. Quant au comportement moutonnier des traders, il n’y aura malheureusement aucune loi pour l’empêcher et il y aura toujours des gogos pour suivre aveuglément ceux qui manipulent le marché, y compris de façon aussi grossière.