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Le Panaf et le prédicateur

par Abdou B.

«Si tout ici était excellent, il n’y aurait rien d’excellent.» Diderot

Lorsque madame la Ministre de la Culture déclare: «Vous pensez que la culture est chère ? Essayez donc l’ignorance !» Elle a parfaitement raison. Jamais au grand jamais la culture ne sera chère, et jamais il ne faut se contenter du budget consenti par l’Etat à la culture car il sera toujours peu satisfaisant et toujours insuffisant quelle que soit son importance financière. Mme Toumi a parfaitement raison de dire que la culture n’est pas la cerise sur le gâteau car elle est le gâteau pour le pays qui tient à ses racines, à son identité, à son oxygène, à son histoire et à sa place dans l’histoire universelle que les grandes puissances veulent à leur image. Si la mondialisation est aujourd’hui une réalité indiscutable dans les relations politiques, économiques, stratégiques, sécuritaires, énergétique, migratoires, elle l’est encore plus dans les champs divers de la culture et de la création toujours plus métissée, transversale comme disent les experts et chercheurs. Les cultures, grâce aux rapides mutations technologiques, aux supports de plus en plus sophistiqués et miniaturisés, voyagent en défiant les gouvernements, les frontières, les barrières linguistiques, religieuses et éthiques. Mais la culture est chère et le rendement de ses industries est colossal, durable pour des richesses autres que matérielles, mais cependant vitales.

Le Panaf est au top départ. L’essentiel n’est pas son coût qui doit être pertinent et maîtrisé, contrôlé sans faste inutile et protocolaire. Il s’agit d’une fête et non d’une commémoration qui aurait perdu de son faste à l’image du 1er Novembre et du 5 Juillet. Et il n’y a aucun doute, les Algériens, surtout les jeunes, ont un besoin naturel, culturel et pressant de renouer ou de nouer avec le sens de la fête. Cette dernière, considérée à un terrible moment comme une hérésie, un blasphème, un phénomène la yajouz par des annonciateurs de l’apocalypse qui ont semé dans de nombreux partis les germes du gris, du triste, du bannissement de la femme, est une nécessité vitale tout le temps, par toutes les saisons, jour et nuit. Commentaires et critiques ont accompagné la préparation du Panaf. D’autres critiques viendront après. Il n’y a rien d’anormal, de malsain à ce que la critique s’exerce, que les artistes, la société civile et le champ politique s’expriment en toute liberté. La culture, le Panaf, son financement, son déroulement concernent l’Algérie entière et non la seule administration et les démembrements de l’Etat qui, souvent, barbotent dans la routine.

Bien évidemment, il y aura des créateurs, des élites et des artistes mécontents, frustrés, mais c’est l’implacable loi d’un genre circonscrit dans le temps et par l’importance des charges financières. Il y aura aussi les manifestations d’un réflexe ancré dans les générations «mûres» qui attendent tout et toujours de l’Etat. La mentalité d’assistés se reflète parfaitement dans l’absence d’associations, de syndicats ou d’une fédération démocratiquement représentatifs des différents métiers et professions qui produisent pour et dans la culture. Dans tous les cas, il faut à tout le pays réussir le Panaf sans croire un instant qu’une conjoncture éphémère peut remplacer une ambition, une politique tracée, budgétisée par les secteurs privé et public, des formations d’envergure ciblées, des champs d’expérimentation dans toutes les pratiques artistiques dans la liberté et l’innovation. On peut, légitimement, regretter et le dire avec force que des hommes de grande qualité soient barrés par des charlatans bonimenteurs qui pérorent sur le cinéma africain sans citer ni rendre l’hommage mérité à Boudj lorsqu’il dirigeait une des meilleures cinémathèques du monde. Qui a fait plus que lui pour faire connaître et défendre le cinéma africain ? Si la reconnaissance des pères fondateurs du septième art dans le continent (décédés ou vivants) lui a été largement prodiguée, les vaines tentatives de courtisans et de bureaucrates de le «tuer» avant terme ne les honorent pas et ils ne pourront jamais effacer une histoire à laquelle ils sont étrangers.

Cependant, l’essentiel serait que les couacs soient réduits au strict minimum auquel n’échappe aucune manifestation de grande envergure, quel que soit le pays et quelle que soit la conjoncture. Alors que vive le Panaf qui va permettre, peut-être, la chute de certains tabous entretenus avec méthode et ténacité par les forces les plus obscurantistes du pays, étrangement ménagés par les courtisans bonimenteurs, aveugles et aphasiques devant les mortels dangers qui pèsent sur la culture nationale, donc sur l’Algérie. Ils tètent sans prendre ni risque ni position.

Ces dangers existent bel et bien. On les retrouve dans les discours tenus publiquement par des «leaders» politiques le plus souvent dans l’indifférence de certaines élites à qui les journaux algériens ne sont pourtant pas interdits. La banalisation de propos archaïques, pathétiques en 2009, la complaisance entretenue à leur égard risque d’être dévastatrice pour les générations futures en excommuniant des cadres, des femmes et des hommes porteurs de connaissances, de savoirs, d’idées nouvelles et utiles au pays. Un chef de parti qui siège au sein de l’alliance présidentielle n’a même pas pris des précautions convenues au niveau du langage, sans doute parce que le sien est d’une pauvreté affligeante, pour exclure des catégories d’Algériens selon d’abscons critères inventés par lui-même. Il y a selon le sieur «ceux qui vivent ailleurs et qui ont fait le choix de couper toute relation avec leur pays d’origine ; ceux qui pensent être de super Algériens, qui passent leur temps à gérer leurs intérêts personnels en proposant leurs services à des institutions internationales ; ceux qui vivent en Algérie, qui n’ont aucune position politique, qui ne votent pas et ne soutiennent personne». Bigre ! A l’évidence, ce «leader» sans citer personne (mieux vaut rester dans le vague patrioticard) vise des millions d’Algériens à l’image de ceux qui exercent un droit constitutionnel intouchable, celui de ne pas voter selon tel ou tel scrutin. Quant aux institutions internationales, elles emploient des compétences de toutes les nationalités, et les indicateurs par pays font honneur aux pays qui fournissent le plus d’expertises et d’élites dans toutes les disciplines. On comprend donc que l’auteur de «thèses» qui ne sont celles de l’alliance présidentielle refusera sûrement la tête d’une commission à l’ONU, à l’UPM et certainement le prix Nobel de philosophie.

Pauvre Algérie où de telles inepties ont droit de cité dans la classe politique ! Il ne reste plus à son parti qu’à diligenter des enquêtes et des sondages pour identifier ces nouveaux «traîtres» pour leur enlever la nationalité algérienne, car il faut, pour un homme politique, aller au bout d’une logique et s’en donner les moyens politiques, scientifiques et financiers car il s’agit de mettre un nom sur chaque Algérien qui entre dans une de ces nouvelles catégories made in Algeria. En fait, il s’agit d’un médiocre exercice de prédicateur égaré dans des sphères qui utilisent d’autres ingrédients délaissés depuis Torquemada et l’inquisition catholique. Mais il y a plus facile: ficher ceux qui ne vont pas à la mosquée et ceux qui vont aux bars encore ouverts. Mais là aussi, c’est trop compliqué pour tous les prédicateurs évangélistes ou islamistes. Y a du boulot !