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Le système et les «systémards» !

par Aïssa Hirèche

Lorsque les sirènes se mettent à chanter, la dernière chose à faire c'est certainement de passer le temps à se demander si elles existent ou pas. Et lorsqu'on voit la colonne de fumée monter au ciel, il n'est plus permis de s'interroger si oui ou non il y a le feu ! La simple négation, autre preuve du manque flagrant d'argumentation sérieuse, ne suffit point à entretenir le doute et ce n'est pas parce que l'on n'aime pas quelque chose qu'elle n'existe pas !

N'en déplaise à ceux qui auraient été apparemment chargés de rapporter certaines choses, notre scène politique nationale ne peut connaître de changements parce que rien, depuis des lustres, n'a été sérieusement fait pour le changement ; et parce qu'un véritable changement ne peut arriver comme cela, d'un coup et tout seul, il est clair qu'à travers notre éloignement incessant des choses sérieuses, nous ne pouvons ni aspirer ni provoquer un changement quelconque.

Nul ne peut échapper à son destin, pas même la scène politique nationale dont le destin a été forgé parfois à coups de dribles et de mensonges, parfois à l'aide de tâtonnements inutiles ou de mépris honteux.



Ni temps ni relève



Tout changement nécessite du temps, des ressources, de la volonté et, surtout, de la connaissance. Or, tous ces éléments nous manquent et il est dès lors légitime de se demander de quel changement parle-t-on ! Depuis la mort de Boumediene (Allah Yarhmou), le temps a cessé d'être utilisé à bon escient. Il a cessé d'être comptabilisé comme facteur important. Il a même été évacué de tous les pseudo-plans et les semblants de programmes. A l'époque, et malgré leurs connaissances restreintes et les moyens insuffisants, les dirigeants savaient que la prise en compte du temps était un élément de premier ordre dans la réalisation des objectifs du pays. On avait mis en place un véritable plan de formation pour accompagner le développement planifié, on avait tracé une stratégie rigoureuse et tous les programmes s'inscrivaient dans les plans de plus long terme de sorte à ce que, à la fin, l'objectif de développement soit atteint. Le temps était alors un facteur de grande importance dans la convergence des sous objectifs en un objectif global. Depuis, nous ne savons même pas ce que signifie le temps. Une ressource rare dont il faut optimiser l'utilisation, un bien en abondance qu'on peut gaspiller ou, simplement, quelque chose qui ne nous concerne pas ! Dans nos soi-disant plans et devant l'absence de toute rationalité qui caractérise la plus part de nos décisions, c'est à peine si nous pouvons parler de temps. Entrecoupés, irréguliers, inutiles parfois, nos efforts ne ressemblent souvent à rien. Soit ils ne cadrent pas avec la grandeur du pays soit ils sont à côté des attentes du peuple. Toutes les compétences formées durant les années soixante dix sont cassées. Il y a ceux qui ont pris la route pour aller s'installer ailleurs, il y a ceux qui ont été mis sur le banc de touche en vue d'une mi-temps qui n'arrivera jamais et il y a ceux qui, pour vivre, ont du changer de métier et laisser mourir leurs compétences réelles.

Le pays est aujourd'hui sans relève. Et sans relève, sur qui comptera-t-on pour mener un changement ? Sur qui comptera-t-on pour bien faire les choses ? Élevés sous le regard d'un régime qui met d'abord - et uniquement - les incompétences aux premières loges, des générations qui ne se sentent point utiles n'ont jamais raté l'occasion de montrer leur ras le bol d'une situation qui n'a aucune raison d'être. Au nom de quoi détruit-on l'Algérie comme on le fait ? Sans relève, il ne sert à rien de rêver d'un changement ! Et n'ayant rien semé depuis le temps, que voudrait-on moissonner aujourd'hui ?



Ni volonté ni connaissances



La volonté manque aussi à un moment où les affres d'une ère, qu'il est difficile de nommer, ont fini par démobiliser les jeunes et les moins jeunes. Pire, sans travail et sans avenir, c'est vers l'alcool et la drogue que nos jeunes se retournent aujourd'hui. Il n'y a qu'à sillonner le pays de long en large et de haut en bas pour constater que, tout au long de nos routes, il n'y a que des bouteilles de bière vides jetées n'importe comment à côté de la chaussée, comme pour montrer à quel point on est en train de tuer notre jeunesse. Et peu importe la raison, elle sera toujours idiote ! Allez donc voir combien ils sont à entrer et à sortir par jour dans ce qu'on appelle « dépôt » de boissons alcoolisées. Est-ce ainsi qu'on forme la relève ? Est-ce ainsi qu'on préserve la jeunesse ? Est-ce avec cela qu'on peut faire un changement ? A quoi sert-il d'avoir autant de ministères si aucun d'entre eux n'est chargé de prendre en charge les problèmes de la jeunesse ? A quoi servent tous ces édifices si aucun d'eux ne revient réellement à la jeunesse ? On se souvient même que, il n'y a pas longtemps, des vieux aux cheveux blancs représentaient les jeunes, aussi bien devant les caméras qu'en réalité. D'où viendrait donc la volonté de prendre le changement dans les bras lorsqu'un semblant de changement surviendra ? Les algériens sont presque non concernés par ce qui leur arrive. Ils ne font que regarder_ Lorsque quelqu'un est agressé devant eux, ils regardent. Lorsqu'ils sont méprisés par un fonctionnaire, ils regardent. Lorsqu'ils sont ignorés par le temps et par l'histoire, ils ne font que regarder ! Quant aux connaissances, mieux vaut ne rien dire.

Nous serons certainement le dernier pays au monde à comprendre ce que signifie une société de l'information, une économie de connaissances ou une ère postindustrielle ! Alors, après tout cela, de quel changement sommes-nous encore capables ? Aucun bien sûr !



Le temps des discours



La mystification sciemment entretenue d'une politique fort douteuse ne peut occulter les nombreuses erreurs longtemps commises parce que, à côté de cela, la banalisation obligée de la pratique politique dévoile, chaque jour que Dieu fait, l'incapacité globale qui frappe un système impotent. Jusqu'à preuve du contraire, la seule chose qui reste, c'est-à-dire vers laquelle se détourne le système, c'est le discours. Alors on parle. Tout le monde parle. Il suffit que quelqu'un voit un micro pour commencer à parler et tant pis si le micro ne lui était pas destiné. Il suffit aussi que quelqu'un trouve des oreilles pour se mettre à débiter des insanités et des bêtises. Et tant pis si beaucoup de ces oreilles n'écoutent rien ou si elles sont plutôt occupées à écouter des MP3 ou des MP4, comme semble être le hobby de l'actuelle génération. Dans leur précipitation sur le micro ou vers les oreilles, les parleurs improvisent tout ce qu'ils jugent à même de plaire à l'auditoire. Et, Dieu, comment peut-on donc gérer par l'improvisation ? Comment peut-on gérer par le discours ? Comment peut-on raconter des histoires à des générations entières. On se lamentait du manque de cadres et ils sont plus nombreux que dans beaucoup de pays voisins. On se lamentait des ressources financières et nous sommes l'un des pays dits très riches. On se lamentait pour rien, cela nous l'avons compris car ce n'était que des prétextes derrière lesquels se cachaient le système et les « systémards », c'est-à-dire les enfants et les profiteurs du système. Aujourd'hui, et comme plus aucun prétexte ne tient la route, alors d'aucuns auraient inventé le mensonge de troisième génération, les dribles version 2.0 et bien sûr, le dégoût avec. A un moment où des jeunes chômeurs, mais aussi des moins jeunes, préfèrent partir du pays, la moindre des choses serait de se baisser pour ramasser cette bouteille à la mer qui devrait être bien lue et dont le message devrait être bien décodé. Qui gérer si les jeunes s'en vont ? Et à qui lire vos beaux discours confectionnés sans trop de conviction ? Il suffit de passer près de certaines ambassades pour mesurer l'ampleur du phénomène. Ils sont nombreux à vouloir partir et, surtout, lorsque le sage montre la lune, ne faisons pas comme l'idiot qui regarde le doigt ! Il est impossible de garder les gens contre leur propre gré comme semble vouloir le faire un certain ministère qui refuse d'authentifier des documents pour les partants!  Il est nécessaire que les mentalités évoluent. Tout problème a forcément des causes. Et pour résoudre un problème il est nécessaire d'en connaître les causes. C'est au niveau des causes qu'il faut agir et il faut aussi cesser de mépriser le citoyen. Qui fait fuir les gens ? c'est à méditer !



Des hommes, rien que des hommes



Le frère de Bouteflika peut se tailler un parti comme il veut, Menasra peut faire le dissident si cela lui chante, les dauphins d'Ouyahia peuvent jouer aux pyromanes dès qu'ils en recevront l'ordre, les ennemis de Belkhadem peuvent envoyer des youyous dès à présent, les faux analystes peuvent véhiculer la rumeur et les ballons tant que cela leur plaît, rien, absolument rien, ne peut faire croire à un changement ! Au contraire, ce sera la continuité, la pérennisation d'un système qui n'a plus la force de relever ses os, un système qui, tôt ou tard, s'écroulera sous le poids de ses propres rhumatismes. Ce sera toujours les mêmes noms, avec des visages peut être différents ou, et c'est la technique moderne, ce sera le même système avec des noms différents pour les mêmes visages. De quel changement nous parle-t-on ?

Quelque soit les recompositions auxquelles certains tenteront de faire croire, nous resteront, peut être pour quatre éternités encore, pris entre le mépris d'un pouvoir qui ne fait rien et ne peut rien faire et l'irresponsabilité d'une opposition qui applaudit en se tapant le ventre. Ce n'est pas en se retournant aujourd'hui contre Ouyahia, contre Belkhadem ou contre les autres qu'on peut acheter l'estime des nouveaux arrivants. Comme tous les autres, ce sont les hommes d'un temps, d'une époque, qui doivent un jour ou l'autre laisser leur place et rien en cela n'est surprenant, ce qui l'est cependant c'est à qui laisseront-ils la place ? Il n'y a ni relève, ni temps, ni volonté ni connaissances...

Le changement, si nécessaire et tant urgent, est à chercher ailleurs. C'est en commençant par l'école qu'il faut entamer la réflexion. L'école doit produire une génération capable de comprendre qui elle est, quel est son rôle. Cela nécessite une génération au minimum. A l'aide de cette génération, il sera nécessaire de travailler l'éthique, les m_urs, la morale, les valeurs... ceci demandera encore une ou deux générations. Ensuite, viendra le tour des bâtisseurs pour lesquels on doit refaire l'université à zéro, oui à zéro. Et cela nécessitera au moins deux générations ; ce n'est qu'alors qu'on pourra parler de changement. Autrement, tout ce qu'on est en train de raconter, de présenter depuis trente ans au moins comme des réformes, des changements, des... et des...ce ne sont que des danses et, chose bizarre, ce sont toutes de danses de ventre.

Ceci n'exclut certainement pas que des hommes et des femmes sincères voudraient que les choses changent, mais est-ce suffisant ? Allons, allons !