Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Téhéran-Gaza : la différence médiatique

par Ahmed Bensaada*

Époustouflant! La blogosphère a la fièvre et la température risque de faire exploser le chaudron néo-médiatique. Twitter, Youtube, Facebook, Google, tous les grands joueurs de la toile ont décidé de voler au secours de la rue d'Iran.

Et une seule question me vient à l'esprit : mais où diable étaient-ils pendant le massacre de Gaza?

Petite clarification en guise d'introduction : loin de moi l'idée d'analyser les élections iraniennes, ni de démontrer qu'il y a eu fraude électorale ou non. De toute façon, et contrairement à ce qu'affirment les médias occidentaux, il est très difficile d'avoir une position juste et tranchée sur le sujet. Ce qui a attiré mon attention, c'est plutôt cette magnanimité débordante dont font preuve ces tisseurs de toiles relayés par la fébrilité des médias classiques dans la couverture des récents événements iraniens, alors qu'elle était inexistante lors du massacre de Gaza.

Pourtant, les deux situations présentent des similitudes du point de vue médiatique. À Gaza, l'état sioniste avait interdit l'entrée aux médias occidentaux. Encore mieux, il avait «embedded » des journalistes, c'est-à-dire inclus au sein de Tsahal pour qu'ils donnent une image réaliste de la propreté du massacre. En Iran, les journalistes en place sont «interdits» de faire leur travail et ne peuvent donner une information «fiable». Alors, comment informer ces occidentaux si épris de justice et de liberté? Eh bien, en utilisant l'information communiquée par les citoyens via les sites de réseautage social. Et toutes les informations produites par monsieur ou madame Tout-le-monde sont bonnes à prendre et à diffuser dans les plus grands journaux et canaux de télévision : CNN, TF1, France 24, Le Monde, Le Nouvel Observateur, L'Express, Radio-Canada et j'en passe. Et dire que de vrais journalistes étaient présents à Gaza. Mais ceux-là n'étaient que des journalistes arabes, donc non crédibles ou même incompétents, n'est-ce-pas? Plus incompétents que le simple citoyen iranien qui, armé de son clavier, envoie les vidéos de médiocre qualité enregistrées sur son téléphone portable. Moins crédibles que les internautes iraniens alors qu'eux autres ont risqué leurs vies sous les bombes au phosphore ou les DIME, protégés par des dérisoires casques et gilets pare-balles. Certains d'entre eux ont même perdu leur vie dans l'exercice de leur fonction. «Mais non, on ne peut pas les croire». «Il faut vérifier l'information». «L'information est manipulée et les chiffres gonflés». Mais peut-on croire ce qui est transmis par le biais des sites de réseautage social?

À cet effet, on peut lire sur le site True/Slant (1) qu'une liste d'erreurs (préméditées?) a été diffusée par les utilisateurs de Twitter. Parmi elles, le fait que trois millions de personnes ont manifesté alors que la foule a été estimée à des centaines de milliers, que Mir Hossein Moussavi était assigné à résidence et que l'élection avait été invalidée, alors que c'était faux.

Autre accointance curieuse et insolite de ce site de socialisation : le ministère américain des Affaires étrangères lui a demandé de reporter une opération de maintenance qui aurait entraîné une interruption de service, ce qui aurait privé les opposants iraniens de moyen de communication (2). Et Twitter a accepté. Même la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton a estimé que Twitter était important pour la liberté d'expression en Iran (3). Le Premier ministre britannique Gordon Brown y est allé, lui aussi, de sa philosophie tautologique sur les colonnes du Guardian en affirmant qu'Internet a changé la politique étrangère à jamais: « Une situation comme celle du Rwanda ne peut plus se reproduire car l'information sortirait rapidement et l'opinion publique s'amplifierait de sorte que des mesures devraient être prises » (4). Monsieur le locataire du 10 Downing Street, vous qui avez une bonne mémoire des génocides, pouvez-vous nous dire quelque chose sur celui de Gaza, bien plus récent?

Les Israéliens, comme s'ils pouvaient donner des leçons en matière de libertés individuelles, se sont aussi jetés dans la blogosphère. Un Israélien de 24 ans, du nom d'Arik Fraimovich, a créé une application permettant aux internautes utilisant Twitter de teinter les images de leur profil avec la couleur verte, symbole de la révolte iranienne. Des Israéliens qui veulent le bien des Iraniens : décidemment, le cyberespace a ses raisons que la raison ne connaît pas.

Des citoyens américains se sont joints à la révolution de l'information booléenne.

Certains d'entre eux ont mis à la disposition des internautes iraniens des serveurs proxy pour leur permettre d'accéder aux sites bloqués par les autorités. D'autres leur ont permis d'avoir accès à Tor, un service qui permet la navigation anonyme sur Internet (5).

La semaine dernière, le célèbre site suédois de téléchargements illégaux Pirate Bay, dont les fondateurs ont été récemment lourdement condamnés, ont proposé un service analogue aux blogueurs iraniens et ont mis en ligne un très grand nombre de vidéos amateurs sur les évènements de la République Islamique. Un laboratoire de recherche de l'Université de Toronto, Citizen Lab., a décidé de fournir aux internautes d'Iran le logiciel Psyphon qui est conçu pour contourner les filtres de la censure gouvernementale (6).

Le site de partage vidéo Youtube s'est transformé en média d'information en procédant à des mises à jour fréquentes et les sites Google et Facebook ont lancé des services en langue farsi spécialement conçus pour l'occasion. Comme quoi la fin justifie les moyens.

Les chaînes de télévision et les médias électroniques occidentaux se sont servis des vidéos de piètre qualité et d'origine non vérifiable pour décrire la rue iranienne alors qu'elles n'ont jamais voulu diffuser des reportages de qualité professionnelle réalisés par les journalistes chevronnés des chaînes arabes, encore moins les nombreux témoignages vidéos postés sur Youtube lors de l'hécatombe de Gaza. On est bien aux antipodes de ce qu'affirmait le « pseudo- philosophe » Alain Finkielkraut lors d'une émission diffusée en avril dernier : « Internet est une poubelle » (7) ou de la fameuse « Internet (?) c'est la planète des singes » de Philippe Val (8).

Il est bon de rappeler, qu'à l'inverse de ce qui se passe en Iran, c'est l'état israélien qui avait utilisé Twitter et Youtube pour fin de propagande pendant qu'ils bombardaient les civils Gazaouis. Son armée avait ouvert un compte sur Youtube (Idfnadesk) (9) pour y diffuser des images « propres » du génocide. À New York, le consulat d'Israël avait créé une page sur Twitter pour répondre aux questions des citoyens sur la « légitimité » du massacre (10). Le major Avital Leibovich, responsable de la presse étrangère au sein de l'armée israélienne, a déclaré, à ce sujet, que: « La blogosphère et les nouveaux médias sont une autre zone de guerre ».          Et les troupes du Shin-Bet (contre-espionnage israélien) sont depuis longtemps sur Facebook et Myspace (11).

Comme les génocidaires sionistes n'ont été ni condamnés, ni même inquiétés pour la liquidation de plus de 1400 palestiniens, il faut s'attendre à ce qu'ils recommencent sous peu. Alors, un petit conseil pour les activistes de la toile et les défenseurs de la liberté cyberspatiale: fournissez les logiciels de contournement et de navigation anonyme et consolidez, dès maintenant, l'infrastructure de vos sites de socialisation en Palestine. Vous serez minutieusement informés lorsque le prochain massacre aura lieu. À moins que Tsahal vous ait déjà contacté.

* Docteur en physique Montréal (Canada)



Références :

1. Joshua Kucera . (Page consultée le 22 juin 2009). What if Twitter is leading us all astray in Iran?, [En Ligne]. Adresse URL: http://trueslant.com/joshuakucera/2009/06/15/what-if-we-are-all-wrong-about-iran/

2. Technaute . (Page consultée le 22 juin 2009). Iran : Washington intervient auprès de Twitter, [En Ligne]. Adresse URL: http://technaute.cyberpresse.ca/nouvelles/internet/200906/16/01-876173-iran-washington-intervient-aupres-de-twitter.php

3. AFP . (Page consultée le 21 juin 2009). Clinton says Twitter is important for Iranian free speech, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.google.com/hostednews/afp/article/

ALeqM5h6iCR8fA4XQ4OHnzc0sxe3aadMxg

4. The Guardian. (Page consultée le 20 juin 2009). Internet has changed foreign policy for ever, says Gordon Brown, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.guardian.co.uk/politics/2009/jun/19/gordon-brown-internet-foreign-policy

5. TOR . (Page consultée le 21 juin 2009). Tor: l'anonymat en ligne, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.torproject.org/index.html.fr

6. CBC. (Page consultée le 22 juin 2009). Iran's emerging ?'netwar', [En Ligne]. Adresse URL: http://www.cbc.ca/technology/story/2009/06/16/iran-twitter-netwar-greg-walton-citizen-lab.html

7. Mefeedia. (Page consultée le 23 juin 2009). Pour Finkielkraut Internet est une poubelle, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.mefeedia.com/entry/pour-finkielkraut-internet-est-une-poubelle/17559592

8. Le Nouvel Observateur. (Page consultée le 23 juin 2009). Charlie Hebdo ouvre son site internet, [En Ligne].

Adresse URL: http://tempsreel.nouvelobs.com/
actualites/multimedia/20080912.OBS1041/


charlie_hebdo_ouvre_son_site_internet.html

Philippe Val est actuellement directeur de France-Inter (Radio-France). Ce polémiste controversé était à l'origine de la publication intégrale des caricatures du Prophète (SAWS) lorsqu'il était directeur de la rédaction de Charlie Hebdo.

9. Youtube. (Page consultée le 23 juin 2009). IDF Spokesperson's Unit, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.youtube.com/user/idfnadesk

10. Twitter. (Page consultée le 23 juin 2009). Hey there! Israelconsulate is using Twitter, [En Ligne]. Adresse URL: http://twitter.com/IsraelConsulate

11. Le Figaro.fr. (Page consultée le 23 juin 2009). Les espions israéliens ouvrent un blog, [En Ligne]. Adresse URL: http://www.lefigaro.fr/international/2008/03/18/01003-20080318ARTFIG00462-les-espions-israeliens-ouvrent-un-blog.php