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Musique arabo-andalouse : De sa permanence... des hommes de lettres, des arts et des interprètes

par El Hassar Bénali

Suite et fin
 

Mandassi, Bentriqui, Bouletbag, Benm’saib, Bensahla, Bendebbah...
authentiques continuateurs de la prosodie andalouse

Said Benabdellah al-Mandassi et son disciple Ahmed Bentriqui précurseurs de cette expérience musicale ont composé à la fois dans le zadjal et la poésie dialectale. Ils sont considérés comme d’authentiques continuateurs de la prosodie andalouse. Leurs zedjal se sont même frayés un chemin dans la chanson andalouse dite «sanaa» voire, à titre d’exemple, les morceaux qui sont en même temps des chefs d’œuvre: « ya achikin nar al-mahiba» (inçiraf reml achiya, reml maya et maya) de Mohamed Touati (18ième siècle );« açabani mard el hawa» (inçiraf raml el maya ) de Ibn Nachit tilimsani (18ième siècle );«Ya houmiyati -l-loum (inçiraf maya),» ana ouchkati fi soultan « (m’çedder mazmoum, inçiraf rasd -dil ), «lakaitou habibi» de Said Ben Abdellah al-Mandassi (17ième siècle); « ya farid al-asr ahif » (inçiraf sika), «al-rabii akbal ya insan ou koum tara» (dardj raml el maya )de Mohamed Bendebbah(18ième siècle); «hark dhana mouhdjati » (btaihi raml al achiya) de Ahmed Bentriqui (17ième siècle ); «ya habibi alach djafit «( inçiraf ghrib, inçiraf djarka ) de Moulay Ahmed Ben Antar (18ième siècle );» ya lailati djaat bin chirah «( mouwachah ,inçiraf maya ) de Abi Djamaa talalissi tilimsani (15ième siècle)...Un grand nombre d’autres poésies y occupent une place en tant que « qyaçate » ou poèmes adaptés facilement reconnaissables ... Les musiciens se distingueront également par l’introduction dans la çanaa d’une grande partie du diwan de poésies de Sidi Abou Madyan (12ième siècle ):«tahya bikoum »( m’cedder zidane , dil , hsine), «al-kalb li yahouakoum» ( inçiraf hsine); «tabat oukati bi mahboubi» ( inçiraf mezmoum , inçiraf hsine) «tadalaltou fi -l-bouldan «( inçiraf sahli ),«idou biya al-wissal»(inçiraf ghrib)...L’accés au patrimoine littéraire et artistique algérien doit normalement se faire dès la prime enfance,à l’école avec ces belles et merveilleuses chansons du patrimoine algérien et plus largement, maghrébin.

L’étude , la recherche enfin la connaissance du patrimoine poético- artistique de la chanson andalouse dans le Maghreb laisse à l’évidence apparaître la nécessité d’une approche méthodologique qui rend indispensable aujourd’hui la réhabilitation des études du passé maghrébin avec ses différentes phases de sédimentation.     Sans ses études ,il sera difficile de situer et d’expliquer l’apport des grands centres de l’art et de la culture dans le Maghreb et leurs influences géographiques dites «sphères culturelles et artistiques». Nos livres d’histoire ne traitent nullement de ce passé riche en production poétique qui reste marqué aussi par une expérience parfois unique dans le Maghreb.

Celle-ci exige sa connaissance par les interprètes qui sont souvent dans l’ignorance totale de cette musique du point de vue de son histoire, de ses grands maîtres et de ses poètes - producteurs. Pour le public passionné de cette musique le seul moyen aussi d’ apprécier et de sentir la beauté de ce patrimoine d’auteur d’essence purement maghrébine reste son étude littéraire et musicale.

Or ,il faut dire que la mémoire souffre encore d’un déficit chronique en matière de connaissance de notre passé et moins encore de sa culture , de ses arts , de ses hommes du passé... L’héritage poético-musical a fait certes depuis l’objet de nombreuses altérations dues à l’oubli mais aussi à des simplifications. Dans le passé l’élite s’est toujours montrée fortement impliquée dans la protection de cet art tout comme les artistes - interprètes qui sont restés soucieux de préserver intact le patrimoine dans ses vertus et ses labyrinthes.

La mémoire musicale andalouse à Tlemcen fut consignée dans des manuscrits d’auteurs : « djawahir hissane» de Mohamed M’rabet (1855) dont le manuscrit original fut découvert à la bibliothèque nationale de Paris et publié par le professeur Abdelhamid Hadjiat (Alger, SNED, 1985) ,le manuscrit original ,inédit encore d’Ibn Dhurra’ Trari Tlimsani al andaloussi (1862) , le manuscrit du maitre juif Médiouni Ichou dit Maqchich (1829-1899) conservé par Cheikh Abderrahmane Sekkal parmi les plus importants car la plupart d’entre eux renvoient à des textes originaux et à des œuvres complètes . La musique « çanaa» est à la fois poésie, mélodie et rythme.

Le dernier recueil écrit en 1862 par Ibn Dhurrâ Trari Tilimsani al-Andaloussi découvert sous forme de manuscrit à Alger, révèle qu’une bonne partie de l’héritage est tombé dans l’oubli.

La plupart des poésies ont perdu leurs mélodies alors que d’autres n’ont pu sauvegarder les rythmes qui constituent un aspect important de leur richesse originelle multiséculaire. Les grands maîtres de la musique andalouse ont toujours insisté sur la connexité mélodique et rythmique dans le chant andalou.

Sur ce plan nos connaissances restent très rudimentaires alors que les maîtres de cette musique s’attachent à faire remarquer que chaque nouba, dans son architecture, doit respecter un certain dessin rythmique.

Toujours est-il que même si les simplifications ont été systématiques sous l’effet des tendances néo-classiques, à Tlemcen le conservatisme en matière des rythmes n’est pas sans soulever des cas d’écoles entre les dépositaires de la tradition et ce , en attendant la recension et l’élaboration de règles en matière de rythmes et des tempos de la composition des noubas.

 

Les interprètes doivent prendre conscience de la valeur de notre héritage poético-musical et de ses auteurs

Les interprètes qui ignorent le sens des mots ou des locutions ont décidé d’eux-mêmes de les remplacer.On conçoit alors les erreurs et les falsifications qui nous sont arrivés et dont on peut difficilement prendre conscience aujourd’hui. Dans le «haouzi» il y a déjà une variété de dialectes avec des vocalises propres au langage archaique , post zianide.       La poésie dialectale «haouzi», véritable trésor de mythes expressifs , a fait l’objet à ce jour encore de rares études de grammairiens et de lexicographes. Les deux langages musicaux le premier savant , le second populaire vont coexister et parfois même s’interpénétrer d’une manière harmonieuse. En tant que mode d’expression , le «haouzi» profitera du système des symboles musicaux qui ont enrichi la musique dite andalouse ou maghrébine avec ses tempos , ses modes... C’est à Said al-Mandassi ( 16ième siècle ) que l’on doit l’usage du mot «haouzi» et à Bentriqui le mot « beldi » pour désigner ce genre poético-musical algérien du parler vivant.    Le « haouzi » s’entend et se lit comme un roman avec ses idylles mais non moins clandestines : Aicha, Aouali, Mouny , Khedda... Il offre un tableau réaliste de la société qui l’a produit et dont le champ créateur , le melting pot , fut le milieu de artisans à un moment où l’art de la «çanaa» était l’apanage de la bourgeoisie corporatiste. Dans la forme ,le haouzi en tant qu’héritage social établit son esthétisme en puisant des canons littéraires et artistiques en vigueur. Son motif reste invariablement l’amour et la beauté enfin , la repentance .Il est l’expression sensuelle d’un art de vivre , d’une créativité intellectuelle et artistique enfin, d’une nostalgie.

Nos livres d’histoire ne traitent nullement de ce passé artistique qui a besoin d’être éclairé. Dans d’autres cieux les grands poètes méritent mieux quand on sait qu’ils sont moins connus que les interprètes de leurs oeuvres à qui il est ,par contre , consacré maints hommages ...

Y a-t-il une rue , une école qui porte le nom de Said al-Mandassi, Ahmed Bentrqui dit Benzengli , Boumédiène Bensahla... ? Le problème n’est pas de se demander où ils sont nés , c’est que ces admirables poètes-compositeurs sont chantés partout à Tétouan, Fès, Alger, Blida ,Constantine, Tunis, Paris, Jérusalem...

L’histoire de la culture en Algérie est frappée d’amnésie.

Ces poètes tous comme nos hommes de science, nos hommes d’art ont besoin d’être connus autant sont appréciées à ce jour encore leurs œuvres. Pourquoi les oeuvres et pas les auteurs , serions-nous alors obligés de nous poser la question , question qui interpelle la conscience des hommes de l’art et de la recherche mais également les interprètes de ce patrimoine poétique d’auteurs...    Comment secouer cette horrible torpeur qui pèse encore sur nos anciens artistes et compositeurs ? A-t-on une seule fois rendu cet hommage à ,par exemple, Said al-Mandassi, Ahmed Bentriqui ou encore à Mohamed Ben m’saib le plus populaire des poètes algériens connus pour ses poésies raffinées qui sont des hymnes de la chanson citadine admirées dans tout le Maghreb:«mal habibi malou », «al-hourm ya rassoul Allah» , « al kalb bat Sali », «fi -l- m’nam ya sayadi» ... et qui , dans sa vie tourmentée, s’est s’exalté jusqu’au mysticisme avec des chansons intemporelles ‘’yal wahdani, «nari oua korhti »... La plupart des poètes du haouzi étaient aussi des musiciens. Tlemcen demeurait une cité où il faisait bon vivre et où la beauté des paysages, le raffinement et la simplicité du mode de vie du caractère de ses vieux habitants étaient en harmonie avec les créations dans les différents domaines de l’art et de la littérature. La littérature musicale du haouzi incarne l’environnement de la cité; ainsi elle est un témoignage précieux des modes de vie de la cité , ses goûts , ses penchants artistiques. En musicien, l’auteur de mal «habibi malou» évoque dans ses poésies les instruments de musique , les modes , les rythmes ( goubbahi , baraouel...) ,les genres évoquant , à titre d’ exemple, le «Mahdjouz» qui n’existe plus qu’à Constantine. Il arrive souvent pour le poète-musicien d’indiquer dans le texte de sa poésie la tonalité dans laquelle doit se développer le chant d’où la subordination de la musique à la poésie. Plusieurs de leurs œuvres sont malheureusement restées à ce jour encore inédites ou ont fini par être perdues quand elles n’ont pas subies dans leurs interprétations , les outrages de l’homme et du temps.

A l’élément mélodique et rythmique s’ajoute de plus en plus aujourd’hui l’élément harmonique. La nouba est une sorte de fresque,d’encyclopédie musicale avec sa metchalia, touchia,m’cedder ...         Cette musique puise ses caractères fondamentaux de nos vieilles traditions de goût. Ce qu’il faut éviter ,c’est de placer cette musique sous l’angle d’une autre esthétique musicale orientale ou occidentale. Pour mettre en valeur cette musique il faut commencer tout d’abord par la comprendre. Comprendre comment elle a été construite non seulement pour le plaisir intellectuel mais surtout pour rendre et en traduire l’esprit ,en connaissance de cause, du contenu chaque thème ou morceaux chanté voire l’ utilisation les gammes , des motifs mélodiques... En connaître les règles ne pas leur faire fi ensuite donner libre cours aux facilités de création et d’imagination , de sensibilité enfin d’émotion. Il y a eu des expériences intéressantes quand aussi , certaines tentatives sont des parodies pitoyables. Cette musique est portée à la fois par une belle littérature et une musique qui fait sentir aujourd’hui un besoin profond de recherche et d’étude sur le plan de l’expression du domaine de l’art . Les ressources dans ce domaine il faut les puiser dans la tradition vivante des grands maîtres qui nous ont laissé chacun une expérience personnelle, à travers des interprétations qui sont parfois des chefs d’œuvres ,voir Cheikh Rédouane Bensari, Abdelkrim Dali ,Dahmane Benachour , Sadek al-Bidjai et aujourd’hui encore Mohamed Khaznadji , Mohamed Bahar , Tahar al- Fergani , Kaddour Dersouni ... Même si la tradition de cette musique est restée encore vivace en Algérie et dans le Maghreb le patrimoine de celle-ci a sans doute rétréci. Il y a lieu aujourd’hui de redonner à ce qui reste du vaste héritage toute la force de ceux , poètes et musiciens , qui , il y a plus de mille ans , l’ont créé. Défendre et protéger ce patrimoine , c’est avant tout bien le connaître et l’étudier afin d’établir les critères complexes de son historicité et de son classicisme .Une véritable résurrection dans ce domaine doit passer par la publication des manuscrits ,la création d’archives sonores et de musées de l’art classique maghrébin dit andalou.

Les discours et la volonté politique n’ont pas suffi encore à opérer une politique réaliste dans les domaines de la sauvegarde et de la valorisation des patrimoines.