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Vertige du football

par Akram Belkaïd, Paris

Le football européen serait-il en train de devenir fou ? C’est la question que l’on peut légitimement se poser après l’annonce du transfert de Christiano Ronaldo de Manchester United vers le Real de Madrid pour un montant record de 93 millions d’euros. Il faut se souvenir que le transfert de Zinedine Zidane de la Juventus vers le Real en 2001 n’avait coûté « que » 73 millions d’euros, une somme qui à l’époque déjà avait provoqué nombre de commentaires. Mais cette fois-ci, la démesure est plus criante. Avec Ronaldo, le Real s’est aussi payé le Brésilien Kaka pour 65 millions d’euros. Et ce n’est peut-être pas terminé...

 

 Stratégie d’investissement ou fuite en avant ?

 

En effet, Florentino Perez, président du club madrilène, mais aussi principal actionnaire du grand groupe de BTP, ACS, a tout bonnement annoncé qu’un total de 300 millions de dollars serait consacré à l’achat de grands joueurs. Perez, dont la fortune personnelle dépasserait le milliard d’euros, explique à qui veut l’entendre que ces dépenses seraient amorties en trois ans grâce notamment au « merchandising » organisé autour de ces stars : maillots, produits dérivés, objets griffés, les boutiques du Real sont censées tourner à plein régime pour récolter les euros. On sait que le football est depuis longtemps une affaire de gros sous, mais à ce niveau, le pari reste toutefois risqué.

Rappelons d’abord que la grande majorité des clubs de football européens sont très endettés. En Espagne, selon le quotidien Les Echos, la dette totale pour la première division est de 3,4 milliards de dollars, dont 562 millions d’euros pour le seul Real ! En Grande-Bretagne, autre pays du foot-business, la dette est de 3,6 milliards de dollars. Là-bas aussi, les transferts colossaux contribuent à entamer lourdement les finances des uns et à équilibrer de manière ponctuelle, et donc artificielle, les comptes des autres. Et l’entrée en Bourse de nombreux clubs n’a pas contribué à améliorer la situation, bien au contraire puisque la crise financière est passée par là.

Il y a de plus un élément fondamental qui est trop souvent négligé. Sans l’adhésion du public, tous ces paris sont voués à l’échec. En Espagne, le Real n’a pas le choix : pour la saison 2009-2010, il lui faudra être aux avant-postes avec tout ce que cela implique en terme de pressions diverses. S’il échoue, si l’équipe tourne mal, le public continuera certes à venir voir jouer les vedettes mais, faute de résultat, il finira par se lasser et les maillots de Ronaldo et de Kaka devront être bradés. Le Real a déjà eu une alerte il y a deux ans, quand son équipe était huée par ses supporters, mais il semble que la leçon n’a pas été retenue.

 

La dérive vers l’«entertainment»

 

Le résultat prévisible de tout cela, c’est que le football, sport qui s’est toujours suffi à lui-même en matière de spectacle, va être atteint de la même maladie que d’autres disciplines telles que le basket-ball, la Formule Un ou les courses de chevaux. Il va lui falloir s’acoquiner avec des animations en tous genres et des événements de divertissement pour continuer d’attirer du monde. Et viendra peut-être le jour où, une affiche Real-Barça ne suffisant plus à provoquer l’intérêt, il faudra organiser un défilé de pom-pom girls en ouverture et un miniconcert de Enrique Iglesias à la mi-temps. Le spectacle sera alors avant et après le match et c’est une certaine conception du foot et du sport qui aura disparu...