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Samir Tahar, le luthiste de la paix

par Allal Bekkaï

«Avec 45 albums et une dizaine de musiques pour films et pièces de théâtre, je n'ai jamais été invité en Algérie...»

Samir Tahar est né à Mostaganem, ville à vocation artistique et culturelle. Dès l'enfance, il est en contact avec le monde de la musique. Ainsi, il s'inscrit au sein de la grande troupe «El Masrah» (héritière de l'association culturelle Es-Syidia) alors dirigée par Abdelkader Benaïssa, enseignant, pour s'initier à la pratique du oûd et à la technique du chant arabe classique et andalou aux côtés de Mazouz Bouadjadj, Ould Abderrahmane Kaki, Mohamed Tahar et Ahmed Benaceur, entre autres. Il poursuit son cursus musical à l'institut populaire de musique arabe d'Oran créé en 1965 par le virtuose Ahmed Wahby. Juste après avoir obtenu son diplôme, il quitte l'Algérie pour émigrer en France dans les années 60. Dans la foulée, il enregistre ses premiers disques aux Editions «La Voix du Globe», chez Souleïman. Sa participation à diverses émissions de TV lui permet de s'affirmer à l'échelle nationale et internationale.

Son ascension l'amène au Maroc, en Tunisie, puis en Egypte où il approfondit ses connaissances dans le domaine de l'exploitation des «maqamat» (modes orientaux) et des «tubbu'» (modes arabo-andalous) ainsi que de la composition musicale. Il est diplômé de l'Institut de musique arabe. A son actif, plus de 45 albums ainsi que plusieurs musiques de films et de pièces de théâtre (Le Prophète, Charles de Foucauld, le Désert, l'Embouchure). Il est l'un des plus grands luthistes, compositeurs et interprètes arabes. Samir Tahar qui vit actuellement à Paris donne des cours personnalisés et privés sur place (à domicile) et par correspondance (méthode audiovisuelle), adaptés au niveau de l'élève, en matière de luth (oûd), ney (flûte en roseau), qanoun (cithare), derbouka, bendir, solfège avec études des «maqamat» et des «tubbu'», cours de chant «cherqi», andalou et mystique avec pose de la voix et initiation à la technique du souffle.

Parallèlement, sur le commerce sont proposés deux livres pédagogiques de Samir Tahar, à savoir «Méthode complète d'initiation au ney à la portée de tous» (en français) avec schémas et explications détaillées et «Méthode complète d'initiation au oûd (luth) à la portée de tous» (en français) avec schémas et explications détaillées ainsi que des instruments comme le «qanoun» (avec boîtier, bagues, cordes montées et notice explicative), la «derbouka» (avec sacoche et notice explicative) et l'«oûd» (avec sacoche et plectre). A propos de ney, il reconnaîtra à travers un courriel qu'il ne connaît que très peu d'Algériens «nayatis» tels le regretté El Ambarri de Mostaganem, le défunt Saïd de la RTA d'Oran et Saïdou également d'Oran. Il nous indiquera que, jadis, lors de ses concerts, il avait eu comme nayati l'Egyptien Abdelhamid Mashaal (professeur de ney) et aujourd'hui, c'est le Marocain Bachir Zaid qui fait partie de son orchestre.

 Par ailleurs, Samir Tahar a comme compagnon de scène le célèbre guitariste Orphyr Levy qui enregistra la partie oûd de Solitude nomade, morceau titre de l'album de Christine Ott. Ce dernier étudie actuellement le oûd et la musique arabe avec lui. Sa discographie composée d'albums est aussi riche que variée avec pour titres: Taqasims au oûd, Florilège oriental, Chanson à mon épouse et à ma fille, Nostalgie du pays, Ya Habibi (O bien-aimé), Séduction (oûd et piano), Arwah (Ames), Imani Fik (Ma foi est en toi), El Adra (La chaste), Ya Om (O mère), Hya (Elle), Esseba (Le prétexte), outre des taqasims (maqam Buhsalik et Ajam) et des chants (andalou, chaâbi algérien, soufi, mystique) qui sont proposés à titre gracieux sur le Net en qualité réduite (échantillons en format MP3) pour permettre un téléchargement rapide (gratuit). Signalons au passage que Samir Tahar a comme homonyme un écrivain beur.

Actuellement, cet artiste est en train monter un groupe de musiques et chants mystiques soufis. Ouvert à toutes les formes d'expression de l'art, il n'hésite pas à ce titre à encourager et à aider les jeunes.

Samir Tahar est un virtuose du oûd (luth), mais aussi un chanteur exceptionnel se démarquant par un jeu riche et chaud, au doigté rapide, puissant et précis. Chanteur et compositeur inspiré, il «se ressource à la fontaine d'une musique qui a gardé cet or pur des grandes premières gloires d'une civilisation toujours renouvelée et toujours présente». Il fait partie de la génération de musiciens arabes qui ont su donner à la Musique d'Orient et du Maghreb une dimension universelle. Sa personnalité et sa grande maîtrise des «maqams» et des «tubbu'» font de ses compositions, de ses «taqasims» (improvisations) et de ses chants une oeuvre musicale inégalable, tout en nuances et couleurs qui entraîne le vis-à-vis dans une quête au-delà de la simple écoute. Ses chansons classiques et mystiques, ponctuées de prodigieux «mawals» dans le style «tejwid» sur un parcours vocal de plusieurs octaves avec des subtiles modulations des «maqams», sont énormément appréciées par le public du Maghreb et du Moyen-Orient, mais aussi par celui des pays occidentaux.

Reconnu pour son talent et par la qualité de sa musique, Samir Tahar est invité à se produire dans un grand nombre de pays. Il participe à des émissions de radio et de TV, dans différents pays arabes et européens. Ses CD et cassettes sont en vente dans les cinq continents. Ses concerts de taqasims, de chants mystiques et mawals sont très appréciés aussi bien dans les salles de spectacles et théâtres que dans les églises et les cathédrales. Actuellement, cet artiste iconoclaste fait une série de concerts dans les Eglises de France, en hommage à Soeur Emmanuelle et aux 22 années de sa vie qu'elle a consacrées aux plus grands bidonvilles du Caire, partageant ainsi la misère des chiffonniers et des abandonnés par la société. Auparavant, il a écrit la musique du «Prophète» de Khalil Gibran, pièce qui a été jouée par Farid Chopel, Magot Dutilleuil, Winnie Deniset, Sylvie Devos avec une mise en scène d'Elias Tabet.

Par ailleurs, épris de justice et de liberté, Samir Tahar lutte contre le racisme et pour le respect des droits de l'homme. Plusieurs de ses chansons se rapportant à des faits réels dénoncent l'injustice et l'arbitraire. C'est à ce titre que l'enfant prodige de Mostaganem, ce luthiste de la paix a été sollicité un peu partout dans le monde, participant à divers festivals et plusieurs manifestations: Jérusalem pour la Paix maintenant, Maroc au festival du luth de Tétouan, Espagne, Egypte, Turquie, Allemagne, Canada, USA, Danemark, Belgique, Hollande, France, Sicile, Sardaigne, Palma, Grenade, Croatie, Angleterre, avec Amnesty International pour les droits de l'homme, pour la cause palestinienne avec Euro Palestine...

Exit l'Algérie où a priori il est victime d'un ostracisme qui ne dit pas son nom: «Avec 45 albums et une dizaine de musiques pour films et pièces de théâtre, je n'ai jamais été invité en Algérie» (pour laquelle il a pourtant composé une oeuvre intitulée «Watani El Djazaïr», ndlr), déplore-t-il. Et de préciser: «Bien sûr, j'ai été reçu par le secrétaire général du ministère de la Culture, à Alger. Il m'a promis des tas de choses qui sont restées sans suite...». Evoquant au passage le maestro Ourad Boumédiène et le compositeur Missoum, il regrettera avec amertume qu'ils aient été oubliés par les instances culturelles du pays et leurs oeuvres complètement ignorées. «Vous savez, ce pays s'en fout de ses artistes et créateurs d'un certain niveau...», lâchera-t-il avec une note pessimiste.