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L'Algérie peut-elle faire le saut du «prendre» à «l'entreprendre» ?

par Rachid Mohammed Brahim *

Suite et fin

 

Une dépense publique, quant à elle, suppose un choix de politique publique et une évaluation de cette politique. Or, nos résultats sont là devant nous: une spécialisation internationale qui fait vendre une matière première et importer tout le nécessaire à la recherche, la production et le transport de pétrole et de gaz, une productivité très faible, une désindustrialisation et une agriculture bloquée par la question du foncier, des services qui gonflent et qui restent majoritairement de bas de gamme, la construction qui réalise avec surcoût sans faire dans la qualité, et une économie qui évolue par saccade.

Une question mérite d'être posée: un Dinar investi dans la bande nord du pays compte tenu de toutes les externalités négatives, tous les encombrements qui sont légion nous donne-t-il en retour au moins sa valeur ? Une étude mérite d'être menée à ce sujet. La question du réaménagement territorial du pays serait d'actualité.

Si on avait pensé à partir de 200 km des côtes créer pour un début quatre villes nouvelles établies d'Est en Ouest, avec un maillage futur par des villages de sciences de créativité et d'innovation ; de vraies villes modernes sur le plan des commodités, des utilités, de l'architecture, et de l'activité économique strictement à base de NTIC et tout l'attirail de création d'entreprises de start-up, peut-être qu'un Dinar ainsi investi génèrerait quelques valeurs en plus (nos agglomérations actuelles ne sont que des agglutinations).

L'apport le plus important si on prenait garde à ce que l'informel ne puisse s'installer serait une culture moderne de l'économique. Notre jeunesse au lieu d'avoir les yeux rivés sur le nord et le « trabendo » aurait une nouvelle orientation. Plus que cela, si cette économie moderne s'implantait elle pourrait métastaser sur des parties du Nord et alors le changement deviendrait réalité, l'action de l'Etat aurait du sens.

Les politiques publiques doivent être ex ante, dérivées de choix publics réfléchis et mûrs. Le système de contrôle relève déjà des choix effectués il n'est pas ex post, il accompagne la mise en oeuvre, la décision étant ainsi rapide et adaptée à la situation.



Refaire la Banque

La question essentielle qui demeure posée est comment faire de la banque un outil d'intermédiation efficace entre l'épargne et l'investissement aux moindres coûts et délais.

Dès 1966-1967, le système bancaire devant accompagner le développement du secteur public a été soumis non pas à la Banque des banques qu'est la Banque centrale, mais à un pôle financier qui allait habiller les projets décidés au niveau du pôle réel l'organe central de planification (l'OCP). Le système d'allocation planifié des ressources rendait toute politique monétaire et financière secondaire par rapport au réel, et c'est ainsi que nous avions des banques qui devenaient des agences comptables des avances opérées par l'Etat. Elles devenaient même des appendices du Trésor public sur le long terme. L'intermédiation financière était ainsi amoindrie au profit de la Caisse de l'Etat.

Cet état de chose allait entraîner des habitudes et des coutumes de travail pratiquement déconnectées du métier des Banques. Les compétences ne se sont donc développées qu'en fonction de la gestion administrative qui consistait en une simplification des instruments (prêts, crédits, bons de caisse, et risque quasiment nul).

La relation banque-entreprise (relation fondatrice de l'économie d'Etat) a ainsi fourni un lit douillet à la Banque publique. Elle finançait les entreprises, l'argent était englouti, et le Trésor public venait renflouer la situation. La relation était profitable pour la banque, pourquoi allait-elle chercher autre chose tant que sa survie était ainsi assurée.

Devenue SPA par la fiction des «réformes». Les banques répondent-elles aujourd'hui aux normes du code de commerce et du code civil ?

Le déficit en management, en compétence, en métiers, l'incapacité d'évaluer le risque, l'absence de concurrence, le rejet du marketing et une segmentation commerciale douteuse (certaines régions voient la banque très loin de leur porte) sont autant de tares que la banque en tant que forme organisationnelle de l'économie moderne ne peut accepter.

Forme difforme de l'économie du «prendre» elle va vivre de niches telles le commerce extérieur (crédit documentaire) du marché des particuliers (crédit à la consommation).

Ce faisant, elle ne développera ni les produits ni les métiers d'une Banque. Elle ignorera le sens des vraies affaires et mettra tous les clients à la même échelle ne personnalisant pas sa relation avec les entreprises et les potentiels investisseurs. Elle préférera le court terme au long terme.

Du côté du secteur privé, s'il fallait une image du «prendre» Khalifa et BCIA sont de beaux exemples. Pour les banques étrangères, malgré des labels pompeux, elles se sont moulées dans les pratiques locales tellement profitables. Elles soutiennent dans leur stratégie dite d'accompagnement des sociétés de leurs pays d'origine et accentuent «l'import-import» en garantissant le crédit à la consommation multipliant énormément le chiffre d'affaires de cette branche de l'économie, ce qui veut dire drainer l'épargne vers les secteurs improductifs et probablement informels.Refaire la banque suppose, avant l'apurement du portefeuille et sa remise à flot, avant le règlement de l'irrécouvrable, la compétence humaine et la culture de la banque.

Le poste de chef d'agence, par exemple, est une culture avant tout. Savoir, savoir être, savoir paraître, le sens des relations, de la responsabilité, du devoir, de la discrétion doivent être des caractéristiques fondamentales de désignation à ce métier.

La première réforme bancaire c'est le management, surtout celui des ressources humaines. Pour preuve, les banques étrangères n'ont pas de problèmes d'organisation ou de structure du capital, mais subissent la culture locale de la ressource humaine héritée des banques locales.



Un vrai retour au vrai marché

Contrairement à la société de marché, un pays comme le nôtre voyait l'économique indistinctement fondu dans le politique et ne bénéficiant d'aucune autonomie. L'agent économique ne pouvait être distinct d'une réalité englobante et intégratrice. L'homo economicus n'avait pas sa place. Le prototype de la «débrouille» paramètre fondamental du «système» est l'homo systemicus, cet individu né de la négation de l'économique, et qui parvient par la ruse à pervertir toute organisation pour son unique intérêt.

Il ne peut accéder à ce but sans la corruption des instances de décision à quelque niveau que ce soit et sans la solidarité née de la réciprocité des services rendus. Ainsi, le mécanisme des prix est faussé et l'échange équivalent par définition perd sa caractéristique et devient variable avec un niveau d'inégalité fonction des parties à l'échange. Tous les instruments des politiques économiques publiques ne peuvent tout au plus qu'influencer l'offre et la demande sans jamais les déterminer.

A ce jeu de non équivalence, on constate la chute libre des investissements (ou dépenses publiques), l'essoufflement de l'industrie, la baisse du pouvoir d'achat et de la consommation. «Au cours des dernières années, le monde salarial algérien dans sa majorité s'est progressivement installé dans la pauvreté».

Il a été calculé que le revenu minimal permettant à une famille de 6 personnes de vivre modestement ne pouvait être inférieur à 35.000 DA par mois, or moins de 40 % des ménages sont en deçà du seuil envisagé. Alors, le salaire est-il un revenu fonction d'une rareté ou d'une compétitivité ? Le yoyo des prix de l'alimentation correspond-t-il à des variations de l'offre ou de la demande ou à la razzia des spéculateurs ? Une économie de marché ne peut être cela.

* Universitaire